- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
- Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Tout le monde dit et répète « Je t’aime ». Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver."
Résumé : Jeanne, la narratrice, pourrait être la petite soeur d'Alice, précipitée dans un monde où les repères familiers sont bouleversés. Avec son frère aîné, Thomas, elle voyage beaucoup. Un jour leur bateau fait naufrage et, seuls rescapés, ils échouent miraculeusement sur une île inconnue. Mais la tempête les avait tant secoués qu'elle les avait vidés de leurs mots, privés de parole. Accueillis par Monsieur Henri, un musicien poète et charmeur, ils découvriront un territoire magique où les mots mènent leur vie : ils se déguisent, se maquillent, se marient.
Mon avis : un conte poétique, qui m'a à la fois fait penser au Petit Prince et à L'île des gauchers (puisqu'il s'agit là aussi d'une île imaginaire et utopique où un personnage entreprend un apprentissage. Mais le roman d'Alexandre Jardin est quand même très différent hein !). Je n'ai pas trop aimé l'héroïne, que je trouve un peu trop émotive, un peu mièvre ; mais bon, il faut prendre en compte le fait que c'est une petite fille !
Ce qui m'a surtout plu, c'est tout ce qui concerne les mots, et la grammaire : à travers des métaphores inattendues, l'auteur parvient véritablement à personnifier les mots, à expliquer de façon claire la nature des mots, les règles d'accord, les conjugaisons : rien de bien compliqué mais c'est très amusant de voir ces petites règles sous un angle ludique, c'est vraiment très clair et bien imaginé ! La critique de l'analyse littéraire très froide et technique m'a aussi fait sourire, j'ai trouvé ça assez juste, même si l'auteur a quand même pris des exemples très caricaturaux : malgré mes études de lettres (qui me font donc bouffer pas mal d'analyse) j'ai trouvé ces passages plutôt incompréhensibles, même mes profs les plus impressionnants ne s'expriment pas ainsi !
J'ai trouvé que la vision du langage que nous donne l'auteur est peut-être un poil trop gentillette : les mots sont gentils, ils sont là pour servir l'amour... le dialogue est important, essentiel pour se comprendre et se tolérer, certes, mais je ne suis pas aussi optimiste que l'auteur, et je trouve cette vision des vertus du langage un peu réductrice, puisqu'elle nie la vérité et la beauté esthétique de tous les textes plus "violents"... je conseillerais plutôt ce livre à des collégiens (même s'il peut être lu après bien entendu !), mais je sais que personnellement j'aurais bien plus apprécié cette lecture il y a quelques années. Une jolie découverte quand même, pas mal de très bons passages qui méritent d'être lus, même si j'ai été un peu déçue par certains aspects ; je ne pense pas que je lirai la suite (Les chevaliers du subjonctif).