Jeudi 7 janvier 2010

Quatrième de couverture : "Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue : Je t’aime. Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Il me sembla qu’elle nous parlait :
- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
- Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Tout le monde dit et répète « Je t’aime ». Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver."

Résumé : Jeanne, la narratrice, pourrait être la petite soeur d'Alice, précipitée dans un monde où les repères familiers sont bouleversés. Avec son frère aîné, Thomas, elle voyage beaucoup. Un jour leur bateau fait naufrage et, seuls rescapés, ils échouent miraculeusement sur une île inconnue. Mais la tempête les avait tant secoués qu'elle les avait vidés de leurs mots, privés de parole. Accueillis par Monsieur Henri, un musicien poète et charmeur, ils découvriront un territoire magique où les mots mènent leur vie : ils se déguisent, se maquillent, se marient.

Mon avis : un conte poétique, qui m'a à la fois fait penser au Petit Prince et à L'île des gauchers (puisqu'il s'agit là aussi d'une île imaginaire et utopique où un personnage entreprend un apprentissage. Mais le roman d'Alexandre Jardin est quand même très différent hein !). Je n'ai pas trop aimé l'héroïne, que je trouve un peu trop émotive, un peu mièvre ; mais bon, il faut prendre en compte le fait que c'est une petite fille !
Ce qui m'a surtout plu, c'est tout ce qui concerne les mots, et la grammaire : à travers des métaphores inattendues, l'auteur parvient véritablement à personnifier les mots, à expliquer de façon claire la nature des mots, les règles d'accord, les conjugaisons  : rien de bien compliqué mais c'est très amusant de voir ces petites règles sous un angle ludique, c'est vraiment très clair et bien imaginé ! La critique de l'analyse littéraire très froide et technique m'a aussi fait sourire, j'ai trouvé ça assez juste, même si l'auteur a quand même pris des exemples très caricaturaux : malgré mes études de lettres (qui me font donc bouffer pas mal d'analyse) j'ai trouvé ces passages plutôt incompréhensibles, même mes profs les plus impressionnants ne s'expriment pas ainsi !
J'ai trouvé que la vision du langage que nous donne l'auteur est peut-être un poil trop gentillette : les mots sont gentils, ils sont là pour servir l'amour... le dialogue est important, essentiel pour se comprendre et se tolérer, certes, mais je ne suis pas aussi optimiste que l'auteur, et je trouve cette vision des vertus du langage un peu réductrice, puisqu'elle nie la vérité et la beauté esthétique de tous les textes plus "violents"...  je conseillerais plutôt ce livre à des collégiens (même s'il peut être lu après bien entendu !), mais je sais que personnellement j'aurais bien plus apprécié cette lecture il y a quelques années. Une jolie découverte quand même, pas mal de très bons passages qui méritent d'être lus, même si j'ai été un peu déçue par certains aspects ; je ne pense pas que je lirai la suite (Les chevaliers du subjonctif).

Samedi 9 janvier 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/carmilla.jpgChallenge ABC 2010, 2ème livre lu ♦

Quatrième de couverture :
"Deux grands yeux s’approchèrent de mon visage et soudain, je ressentis une douleur fulgurante, comme si deux grandes aiguilles espacées de quelques pouces seulement s’enfonçaient profondément dans ma poitrine. Je me réveillai en hurlant. La chambre était éclairée par la chandelle qui était restée allumée toute la nuit, et je vis une silhouette féminine au pied de mon lit, un peu sur la droite."
L’action se passe dans un château de Styrie. L’héroïne, la jeune Laura, tombe sous le charme de la belle et mystérieuse Carmilla, dont l’arrivée énigmatique dans ce lieu isolé marque l’initiale d’une amitié tendre et exaltée.
De l’ouverture presque bucolique à la destruction du vampire que se révèle finalement être Carmilla, tout est là des ingrédients d’un roman gothique, classique du genre. Mais ici, le vampire est une femme, et à la transgression vampirique s’ajoute celle de l’homosexualité féminine, dans un récit tout de séduction et de sensualité.

Carmilla voit le jour en 1871, soit vingt-six ans avant son illustre successeur Dracula (1897), et ces vampires nous viennent d'Irlande, dont est originaire Sheridan Le Fanu, qui donne ici un chef d'œuvre incontesté. 

Mon avis : whaouh !!! J'aime j'aime j'aime ! On trouve d'abord dans cette histoire tous les ingrédients que j'aime retrouver dans la littérature en général, et dans les nouvelles fantastiques du XIXème siècle en particulier : un personnage qui mène une vie un peu oisive (je crois que vivre dans un château avec des domestiques à mon service est l'un des rêves de ma vie ^^) à qui on raconte/ qui vit une aventure extraordinaire. Ici, la narratrice est une jeune fille tout charmante de naïveté, Laura (marrant comme la naïveté peut, selon les récits - selon les styles ? - me paraître mièvre ou charmante...), qui va accueillir une autre jeune fille, moins naïve et qui semble cacher un lourd secret... bon, la quatrième de couverture, et même simplement la réputation de cette nouvelle (j'en avais quand même entendu parler avant de la lire, pas vous ?) nous gâchent la surprise de la fin, mais heureusement, cette nouvelle magnifique a plus à nous offrir qu'un peu de suspense.

La narratrice, Laura, écrit ce récit huit ans après les faits ; et pourtant, elle parvient parfaitement à tout nous restituer avec la candeur qu'elle avait au moment de sa rencontre avec Carmilla ; ce que j'ai trouvé à la fois étonnant et délicieux, c'est le décalage qu'on remarque entre le désir d'objectivité et de précision de la narratrice qui raconte ce qui lui est arrivé, et l'envoûtement, le déni de ce qui nous paraît pourtant très évident, qui perce toujours à travers ce récit. Et tout comme l'héroïne, je me suis sentie fascinée par le personnage de Carmilla : oui, on comprend vite qu'elle est louche cette petite, et pourtant, on a envie de la défendre, on admire sa beauté ; à aucun moment je ne me suis vraiment senti du côté de Laura, même quand il est clair que cette dernière est en danger. Au delà du premier degré du texte, on peut voir à travers cette histoire vampirique tout un tas de questions sur l'amour, qui peut être un mélange de peur, de fascination, d'attirance, de douceur, d'amitié et de violence ; les descriptions sensuelles de leur relation ambiguë, de même que les rêves étranges que connaît Laura, m'ont véritablement semblé merveilleusement écrites, je reste encore à présent sous le charme et ai très envie d'acheter ce livre pour le garder avec moi !

Un vrai coup de cœur donc, qui confirme mon amour pour les histoires vampiriques classiques et bien menées comme celle-ci (je suis relativement peu attirée par les romans parlant de vampires qui sortent en ce moment) ; j'avais beaucoup aimé Dracula, mais je préfère Carmilla, ce personnage me touche plus, sa beauté et son apparente fragilité la rendent plus mystérieuse je trouve, elle constitue donc un danger moins prévisible. d'autant plus qu'il s'agit d'une histoire mettant en scène uniquement des femmes. Carmilla m'a semblé plus rythmé, l'intrigue est plus resserrée, la tension dramatique plus grande : c'est du moins mon impression, mais mon souvenir concernant Dracula est maintenant un peu flou.

Dimanche 10 janvier 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/legoutapredeskakis.gifQuatrième de couverture : Un bassin, des massifs de roses et un plaqueminier donnent de quoi faire au jardinier d'une vieille dame qui, depuis la mort de son mari, se sent très seule et en danger dans sa grande maison au cœur de la ville. Les fleurs donnent des fruits, les kakis mûrissent et elle ne se prive pas d'en offrir, notamment à son locataire.
Des liens subtils se tissent entre eux, que vient troubler l'apparition d'une fiancée...

Mon avis : la quatrième de couverture correspond à la nouvelle éponyme qui clôt le recueil ; et d'ailleurs, il ne s'agit pas d'un jardinier, mais du locataire de la vieille dame, qui au départ ne s'occupait absolument pas du jardin. Cette dernière nouvelle, contrairement aux quatre autres nouvelles de ce recueil, donne une vision quasi-légendaire de l'univers des personnages : le lecteur apprend tout le passé de la vieille dame, son mariage, et la vie plutôt fastueuse et idyllique qu'elle a mené avec son défunt mari, dans une atmosphère qui rappelle un peu l'univers des contes. Bien sûr, le présent de la vieille dame est moins reluisant, c'est au final une nouvelle très mélancolique sur la solitude, la fuite du temps.

Les trois premières nouvelles, Les taches, l'appartement et le Père-Lachaise parlent aussi d'amour, de couple, mais les héros de ces nouvelles sont plus jeunes et ancrés dans une époque plus proche de la nôtre ; à travers ces nouvelles, l'auteur nous fait surtout voir la désillusion de jeunes femmes déçues par leur mariage, et qui cherchent à trouver une solution à leur problèmes ; on voit bien l'incompréhension (beaucoup de bels exemples de dialogues de sourds !), le décalage entre les mentalités de l'homme et de la femme, entre les différentes générations, entre ceux qui gardent une vision traditionnelle du couple, et ceux qui sont plus tentés par le modèle occidental. Les femmes peinent à sortir du carcan qu'on cherche à leur imposer, partagées entre l'envie de prendre soin de leur mari et de leur maison comme on leur a toujours enseigné, et par leur désir de liberté, ou tout simplement d'égalité ; mais il n'y a aucun manichéisme, aucune caricature, les hommes ne sont pas systématiquement assimilés à des bourreaux maltraitant leurs épouses soumise, tout reste complexe et lié à la psychologie de chaque personnage : certaines femmes de ce recueil ne comprennent pas le mode de vie moderne que leur mari leur propose, d'autres soumettent leur mari à leurs caprices.

Le tout est écrit dans un style serein, très lié à la nature, aux petites choses de la vie domestique, nourriture, vêtements, que de belles descriptions parviennent à sublimer ; j'avais déjà aimé ce style particulier à l'écrivaine irannienne quand j'avais lu un autre de ses recueils de nouvelles parlant aussi principalement du couple et de la vie des femmes, Comme tous les après-midi. Dans Le Goût âpre des kakis, on trouve plus d'images de conflits, et les personnages sont moins profondément liés à l'Iran, beaucoup vivent en Europe, ou sont attirés par le mode de vie européen, on sent vraiment une tension, une hésitation entre les deux cultures. La troisième nouvelle, L'Harmonica, m'a moins plu, elle met en scène des hommes amis qui vont se retrouver séparés par le mariage de l'un d'eux et leurs idéaux différents : je ne doute pas que ce changement de point de vue ait son intérêt, mais j'ai trouvé cette nouvelle un peu trop décousue ; mais toutes les autres m'ont vraiment beaucoup touchée ! J'aimerais à présent lire un roman de cet auteur, pour suivre ses personnages plus longtemps ; je pense que je lirai donc On s'y fera quand je le pourrai. Lire des livres de cette auteur est pour moi une occasion unique de connaître une culture qu'on connaît en fait très peu de l'intérieur, chacune de ses nouvelles est empreinte d'une atmosphère, d'un charme particulier, et c'est pourquoi je vous conseille les œuvres de Zôya Pirzâd !

Bonus : entretien avec l'auteur

Samedi 13 février 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lescontesduchatperche.jpgQuatrième de couverture : "Et comme le loup protestait de ses bonnes intentions, elle lui jeta par le nez :
- Et l'agneau, alors ?... Oui, l'agneau que vous avez mangé ?
Le loup n'en fut pas démonté.
- L'agneau que j'ai mangé, dit-il. Lequel ?
- Comment, vous en avez donc mangé plusieurs ! s'écria Delphine. Eh bien ! C'est du joli !
- Mais naturellement que j'en ai mangé plusieurs. Je ne vois pas où est le mal... Vous en mangez bien, vous !"

Mon avis : (hum, j'avais écrit mon avis sur un cahier que j'ai oublié loin de chez moi, je suis contrariée !) J'ai lu ce recueil, qui rassemble les Contes Bleus et Les Contes Rouges du Chat Perché, pour mon cours de littérature pour la jeunesse. J'avais lu certains de ces contes quand j'étais gamine, mais je ne m'en souvenais quasiment plus. Comme tous ces contes se situent dans le cadre d'une ferme, j'avais peur que les intrigues soient triviales, banales, et il est vrai que je préfère le merveilleux caractéristique des contes de fées traditionnels, mais ceux-ci sont quand même très bien faits, l'auteur a réussi à créer un imaginaire rural qui lui est particulier, où les animaux parlent ; ils sont solidaires des deux petites filles, les aident à réparer leurs bêtises afin qu'elles échappent aux punitions des parents, qui ne sont pas du tout individualisés et incarnent une autorité maussade et qui confine parfois à la cruauté... (le conte "l'Âne et le Cheval" surtout m'a frappée, les parents y sont carrément odieux !) !

Les intrigues sont assez bien ficelées pour qu'on ne devine pas la fin dès le début, même si on s'aperçoit vite que les mêmes schémas se retrouvent plus ou moins d'un conte à l'autre (il y a pas mal de métamorphoses qui s'annulent au dernier moment par exemple...) L'humour est aussi très présent dans ces contes, et il n'est peut-être pas complètement perceptible par les enfants, c'est peut-être cet aspect qui leur donne un charme supplémentaire, et qui en fait une lecture aussi agréable pour les adultes.

Samedi 27 février 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/contesdepluieetdelune.jpgChallenge ABC 2010, 7ème livre lu ♦

Quatrième de couverture : Le meilleur ouvrage de l'écrivain classique japonais Ueda Akinari (1734-1809) est ce recueil des Contes de pluie et de lune. Dans ces histoires fantastiques, le lecteur verra se lever, agir et disparaître toutes les variétés de fantômes. Un mélange savoureux de magie, de poésie et de réalité fait revivre d'un seul coup l'univers familier et enchanté des Japonais d'autrefois.

Liste des contes : Shiramine - Le rendez-vous aux chrysanthèmes - la maison dans les roseaux - carpes telles qu'en songe... - Buppôsô - le chaudron de Kibitsu - l'impure passion d'un serpent - le capuchon bleu - controverse sur la misère et la fortune

Mon avis : comme l'indique la quatrième de couverture, ce recueil de neuf contes fantastiques est assez varié ; c'est surtout une immersion complète dans l'imaginaire du Japon du XVIIIème siècle, immersion qui serait assez difficile sans la préface (courte et intéressante, elle présente le contexte politique et littéraire du recueil, l'auteur et le genre des contes fantastiques japonais), les notes et les commentaires qui enrichissent cette édition. Les commentaires (deux-trois pages pour chaque conte) expliquent en détail les références culturelles dont regorgent les contes (références politiques, religieuses, littéraires...)

Je suis restée assez imperméable à trois de ces contes : "Shiramine", "Buppôsô" et "Controverse sur la misère et la fortune", les références à des personnages historiques et des théories philosophiques et religieuses sont très nombreuses, ces contes ont dû charmer les lecteurs de l'époque mais aujourd'hui c'est assez obscur pour un lecteur ignorant de toutes ces choses, les notes sont là pour nous aider à nous repérer mais du coup on doit sans cesse stopper notre lecture pour s'y reporter et c'est assez fastidieux ; dans ces trois contes l'auteur développe des réflexions au détriment de l'intrigue fantastique en elle-même, qui est du coup très réduite.

Je vous conseille cependant tous les autres contes ! On y trouve des fantômes de femmes démoniaques qui cherchent à se venger de l'inconstance des hommes, des moines devenus fous ou changés en poissons, des hommes capables de mourir au nom de l'honneur et de l'amitié... j'ai surtout apprécié les contes qui mettent en scène des femmes, mi-soumises, mi-diaboliques, j'ai trouvé ces contes fascinants... et il s'agit vraiment d'un genre fantastique différent de celui qu'on connaît en occident, les fantômes ne sont pas toujours forcément sources de terreur, les personnages croient souvent qu'il s'agit de farces de renards ou de blaireaux, ces contes nous donnent un bel aperçu des superstitions et des coutumes du Japon ancien... le dépaysement est à la fois spatial et temporel !

Samedi 27 février 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/mourir.jpg[ Coup de coeur ]

Quatrième de couverture : Félix et Marie forment un jeune couple à qui la vie sourit... jusqu'à ce qu'ils se retrouvent soudain confrontés à la mort. Félix apprend de la bouche d'un éminent spécialiste que ses jours sont comptés. Il va d'abord s'efforcer de faire bonne figure, se prétendre de taille à affronter en philosophe un destin cruel, tout en souhaitant le bonheur de sa compagne. Bientôt, pourtant, le masque stoïque se fissure. A mesure qu'approche l'issue fatale, Félix ne veut plus admettre que Marie puisse jouir de la vie après sa disparition et lui demande de mourir avec lui. Entre l'amour et la mort, la jeune femme devra choisir...

Mon avis : ce livre confirme amplement mon admiration pour Schnitzler, que je citerai désormais quand on me demandera quels sont mes auteurs préférés (j'avais déjà lu Mademoiselle Else et La nouvelle rêvée, et c'est un article dans Muze qui m'avait donné envie de lire ce livre-ci.)

Cette longue nouvelle (150 pages) est écrite à la première personne, mais de façon habile on arrive à connaître successivement les pensées de Félix, et celles de Marie. Au début, le style m'a un peu déçue, les dialogues entre les héros (juste avant que Félix ne révèle à Marie qu'il ne lui reste plus qu'un an à vivre) m'ont semblé plats, j'ai trouvé qu'ils semblaient un peu artificiels, qu'ils sonnaient faux... mais en poursuivant ma lecture j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'une maladresse de l'auteur, qui a un style très maîtrisé par la suite, surtout pour les monologues intérieurs qui sont excellents ; cette fausseté des dialogues dès le début nous montre déjà que ce couple n'est pas si uni, si sincère que cela, chacun a une partie de lui-même qu'il cherche à cacher à l'autre, et leur "grand amour" est à moitié en toc.... c'est une histoire cruelle, je n'ai pas réussi à ressentir vraiment de sympathie pour Félix, qui ne cesse de se contredire, et est égoïste du début à la fin ; j'ai un peu plus de pitié pour Marie, qui assiste à l'agonie de son compagnon et est déchirée par la culpabilité, entre son amour et sa joie de vivre... Félix et Marie, ça pourrait être n'importe qui, leurs réactions n'ont rien d'héroïque, elles sont simplement réalistes, terriblement humaines !

En suivant le parcours des deux personnages, on a un aperçu des différentes façons d'envisager la vie, l'amour, la mort, trois notions qui obsèdent le couple, qui ne parviendra pas à faire semblant, à jouer la comédie jusqu'au bout, tout finira aussi mal qu'on aurait pu l'attendre ; et la fin, qui était inévitable, nous laisse pourtant désemparé : qu'en penser ? qu'aurions-nous fait à leur place ?... ces questions modèrent les grandes idées éthérées et "romantiques" qu'on peut avoir sur l'amour et nous peuvent nous remettre à notre place je pense, en nous montrant crûment la laideur que peut revêtir tout cela en réalité... je sors triste mais éblouie de cette lecture.

Extraits :
"Il lui fallait d'abord lutter pour parvenir à un mépris total de la vie, et alors, envisageant calmement le silence de l'éternité, il rédigerait en sage ses dernières volontés. Voilà ce qu'il voulait. Mais pas de ces dernières volontés comme les écrivent les individus vulgaires, textes qui révèlent toujours la crainte secrète de la mort. Les siennes devraient être un poème, un adieu tranquille et souriant au monde surmonté. Il ne parla pas à Marie de cette pensée. Elle ne l'aurait pas compris. (...) Le sentiment de sa supériorité s'affirmait en considérant tout ce qu'il pouvait lui cacher. Sa solitude croissait, et sa grandeur." (p. 45)

[à propos des philosophes] "Ces messieurs-là - il désigna des yeux le volume posé sur la couverture - sont de méprisables poseurs. (...) Mépriser l'existence quand on jouit d'une santé de fer, et regarder calmement la mort en face quand on voyage pour son plaisir en Italie et qu'autour de vous la vie resplendit de toutes ses couleurs, j'appelle tout simplement cela de la pose. Qu'on enferme ce monsieur dans une chambre, qu'on le condamne à la fièvre, à la suffocation, et qu'on lui dise : "Vous serez enterré entre le 1er janvier et le 1er février de l'année prochaine", on verra alors quels discours philosophiques il vous tiendra..." (p. 93)

Dimanche 28 février 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/soudaindanslaforetprofonde.jpgChallenge ABC 2010, 9ème livre lu ♦

Quatrième de couverture : Un village au bout du monde, triste et gris, encerclé par des forêts épaisses et sombres. Un village maudit : toutes les bêtes, tous les oiseaux et même les poissons de la rivière l'ont déserté. Depuis, ses habitants se barricadent chez eux dès la nuit tombée, terrorisés par la créature mystérieuse nommée Nehi, et interdisent aux enfants de pénétrer dans la forêt. Mais surtout, ils gardent le silence. Personne ne veut se souvenir des animaux ni évoquer la vie d'avant. Seule Emanuela, l'institutrice du village, tente d'enseigner aux élèves à quoi ressemblaient ces animaux disparus. Deux enfants de sa classe, Matti et Maya, décident alors d'élucider le mystère et s'aventurent dans la forêt en dépit de l'interdit...

Soudain dans la forêt profonde est un conte pour enfants et adultes. Au carrefour de la tradition biblique, du folklore yiddish et du conte européen, il nous offre une magnifique parabole sur la tolérance.

Mon avis : dans un monde imaginaire plutôt mystérieux, deux enfants, Matti et Maya, vont chercher à comprendre ce que tous les autres taisent : pourquoi les animaux ont-ils disparu, où sont-ils passé ? Pourquoi la forêt et la nuit effraient tant les villageois ? Pourquoi les adultes refusent-ils de parler de tout cela ? Qu'est-il arrivé à Nimi, l'enfant qui ne parle plus depuis qu'il est revenu de la forêt ? J'ai beaucoup aimé les descriptions qui sont faites du village, de la nature environnante, qui créent une atmosphère d'étrangeté... on sent vraiment qu'il existe un fossé entre l'ensemble des villageois qui constituent l'opinion publique, et les quelques personnages marginaux qui refusent d'accepter cet état de fait et se posent des questions. Ce fossé, l'auteur propose de le combler à force de tolérance, de gentillesse, d'humanité, un beau programme plein d'espoir, même si la fin du conte montre bien qu'il est pas si évident de changer les choses... les personnages sont plutôt développés pour des personnages de contes, et certains restent ambigus jusqu'au bout, comme Neihi. Ce conte m'a permis de découvrir agréablement l'auteur israélien Amos Oz, et j'ai bien l'intention de lire par la suite d'autres œuvres de cet écrivain.

Extrait : "La dérision est peut-être un rempart contre la solitude. En effet, les moqueurs veulent un public, et celui qui en est la victime est toujours seul."

Jeudi 29 avril 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/letourdecrou-copie-1.jpgQuatrième de couverture : Le tour d'écrou est sans doute le plus célèbre des récits de Henry James. Récit, c'est-à-dire plus qu'une nouvelle et moins qu'un roman : l'exacte mesure pour mener à son terme la plus perfide stratégie narrative qu'on puisse imaginer.
Car que raconte Le tour d'écrou ? L'histoire de deux enfants que viennent hanter sous les yeux désespérés d'une jeune gouvernante impuissante, les fantômes dépravés qui se jouent de leur innocence envoûtée ? Ou l'histoire d'une jeune femme qu'un mélange d'éducation rigoriste et de vagues rêveries sentimentales mène à la névrose hallucinatoire, et que l'obsession du mal - on voudrait que l'anglais permît le même jeu de mots que le français - conduit à un délire où un garçon de dix ans trouve la mort ? Histoire de fantômes ou histoire de fantasmes ?
L'auteur, avec une virtuosité diabolique, ne choisit pas entre ces deux interprétations, préférant donner, jusqu'à la dernière ligne de son récit, un "tour d'écrou" de plus à l'angoisse de son lecteur.

Mon avis : j'avais lu une critique négative de ce récit sur le blog de Matilda, et du coup je m'étais dit que je ne le lirais peut-être pas, en tout cas que cela ne serait pas une priorité. Mais j'ai dû le lire précipitamment pour la fac, j'avais un exposé à préparer en anglais sur The Others (très bon film d'Alejandro Amenabar avec Nicole Kidman, plus d'infos ici) et une des questions auxquelles je devais répondre était : en quoi le film reflète-t-il les thèmes présents dans Le tour d'écrou ? Du coup j'ai dû lire ce récit pour répondre à cette question, la veille de mon exposé, ce n'étaient donc pas des conditions de lectures vraiment optimales... la première moitié du bouquin, j'ai vraiment bien aimé, le récit se présente majoritairement sous la forme du journal de la gouvernante (qui est donc la narratrice) écrit a posteriori, les évènements sont racontés rétrospectivement.

J'avais lu plusieurs critiques de personnes qui avaient trouvé le style de l'auteur très alambiqué, mais moi je n'ai pas trouvé, j'ai au contraire trouvé le style plutôt agréable.... on se pose plein de questions : pourquoi le petit Miles (le petit garçon que garde la gouvernante - et sa petite sœur s'appelle Flora) a-t-il  été renvoyé du collège alors qu'il semble si angélique ? La gouvernante en pince-t-elle réellement pour son employeur ? Pourquoi son employeur ne donne-t-il jamais signe de vie et pourquoi refuse-t-il d'être contacté ? Qu'est-il arrivé à la précédente gouvernante ? Dès le début, on sait qu'il va se passer quelque chose de terrible (la narratrice n'arrête pas d'insister sur cela, mais ce suspense appuyé finit même par devenir un peu lourd...) mais comme tout semble aller bien d'abord, on se demande vraiment ce qui cloche au juste...

Et puis, tout de même, la gouvernante commence à voir les fantômes, et c'est là que j'ai commencé à aimer un peu moins, parce que sa réaction me paraît vraiment très étrange : elle insiste énormément sur le fait que ces visions la terrifient mais ne semble pas remettre en cause leur existence, et quand elle en parle autour d'elle, on lui dit "ah oui, ce sont les fantômes de Quentin Quint et Miss Jessel, les anciens domestiques", personne n'a l'air de vraiment se demander ce qu'ils font là. Il est ensuite question de la mauvaise influence que ces fantômes auraient sur les gosses, et là pareil, flou total, la quatrième de couverture parle de "fantômes dépravés qui se jouent de leur innocence envoûtée", mais le récit n'est pas plus explicite que cela, aucun évènement ne vient justifier ce jugement, je n'ai pas du tout compris en quoi ces fantômes corrompent les enfants, ce qu'ils peuvent bien faire de répréhensible avec eux... et ça semble pourtant évident pour la gouvernante qui est horrifiée mais ne juge pas nécessaire de nous donner plus d'informations là-dessus.

http://photos.froggytest.com/d/44620-2/Tour+d+ecrou.jpgAlors une atmosphère mystérieuse, des doutes, ok, mais il y a en tellement qu'à la fin j'avais l'impression d'ignorer plus de choses que j'en savais, et de me perdre en cours de route, plus j'avançais dans ma lecture, plus tout cela me paraissait abstrait, d'autant plus qu'à la fin je luttais vraiment contre la fatigue, dur. Je ne sais pas quoi penser de la toute fin, ma réaction a été à peu près : "Hein !?! WTF ???", et j'ai été assez embarrassée ensuite pour répondre à la question pour mon exposé d'anglais (même si j'ai réussi finalement). Je pense donc être plutôt passée à côté de ce récit, mais il est clair que j'aurais bien plus apprécié ma lecture si j'avais pu la faire dans de meilleures conditions. Je ne pense pas que ce récit soit mauvais, mais je pense qu'il demande pour ma part que je le relise attentivement en repensant à la fin, afin d'élaborer plusieurs hypothèses et voir si tout cela est cohérent... et je pense que ça doit l'être, vu que Wikipedia me dit que ce récit a été grandement loué par Oscar Wilde et Jorge Borges, deux auteurs que j'admire beaucoup, et qui ont dû examiner ce récit de manière plus consciencieuse que je ne l'ai fait...

Du même auteur, j'ai lu et aimé l'Image dans le tapis, qui est aussi une nouvelle énigmatique, mais qui est dans mon souvenir plus plaisante (plus accessible ?) que le tour d'écrou. J'ai vu que ce récit avait été adapté en BD (ici, et cf image de droite), j'aimerais bien lire cette BD si j'en ai l'occasion, peut-être qu'elle m'éclairerait sur le sens de ce récit. Ludo en commentaire nous conseille également de regarder le film Les Innocents, une adaptation du Tour d'écrou.

Lundi 7 juin 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/leclubdusuicide.jpgQuatrième de couverture : Toujours en quête d'aventures extravagantes, le prince Florizel et son compagnon, le colonel Geraldine, rencontrent un soir un étrange jeune homme qui les convie à une soirée du Club du suicide. Les deux amis découvrent avec horreur et fascination un diabolique jeu de cartes où le seul gain est la mort... Une histoire aussi inquiétante qu'ironique par l'auteur de L'étrange cas du Dr Jekyll et M. Hyde.

Mon avis : une série de trois nouvelles qui ont un rapport puisqu'elles ont toutes les trois un lien avec le Club du Suicide. La première nouvelle, intitulée "le Club du suicide", correspond au résumé de la quatrième de couverture, le prince Florizel découvre le Club du Suicide. On a un certain suspense, on ignore pendant une partie de la nouvelle le fonctionnement de ce club... une fois qu'ils ont compris son fonctionnement, les personnages sont alors pris au piège, ce qui relance la tension dramatique...

J'ai seulement été un peu déçue par le point de vue du héros, qui, dès qu'il parvient à prendre le pouvoir, condamne ce club qu'il juge immoral et criminel sans plus chercher à l'analyser. Peut-être suis-je un peu sadique, mais au fond je trouvais amusant ce Club du Suicide, qui punit en quelque sorte la fatuité des participants qui s'y inscrivent par jeu, sans le prendre au sérieux... le but du héros est de réparer le mal qui a été causé par ce Club, j'avoue que j'aurais préféré une histoire qui aurait suivi la malédiction d'un des membres qui aurait été complètement fasciné par ce club démoniaque...

Dans les deux nouvelles qui suivent, le Club du Suicide n'est plus à proprement parler le sujet de l'action, mais c'est la recherche et la poursuite de son Président qui constitue le nœud des intrigues. La deuxième nouvelle, "Histoire du docteur et de la malle de Saratoga" nous fait croiser un personnage un peu naïf, Silas Q. Scuddamore qui se retrouve malgré lui entraîné dans une histoire de meurtre... sa situation est désespérée et propre à inquiéter le lecteur qui se demande comment il va s'en sortir... interrogation qui ne se pose pas plus de quelques minutes hélas puisqu'un personnage bienfaiteur (même s'il reste ambigu) va immédiatement venir à son secours. Le problème est donc résolu un peu trop facilement et rapidement à mon goût, et celui qui devait être le héros de la nouvelle a finalement un rôle très minime, il est très passif, j'en espérais plus de sa part.

La troisième nouvelle m'a bien plus séduite : des gentilshommes sont invités d'une façon étonnante à une réception dans une demeure qui leur est inconnue, une curieuse sélection s'effectue, ceux qui restent sont mené dans un endroit étrange... bref, l'intérêt du lecteur est ranimé sans cesse et même si la toute fin n'est pas imprévisible, cette nouvelle est celle qui m'a le plus tenue en haleine.

Ces nouvelles sont donc assez originales et le narrateur a bien su maîtriser le rythme de son récit pour garder éveillée l'attention du lecteur, même si la deuxième nouvelle m'a parue un peu plate ; j'ai passé un bon moment à lire ces nouvelles, qui sont en vérité extraites du recueil Nouvelles mille et une nuits, recueil qui doit être bien plus imposant que ce qui nous est proposé là ! L'enchaînement rappelle fortement celui des Mille et une nuits (enfin, pour ce que j'en sais), puisqu'à la fin de chaque nouvelle la nouvelle suivante est annoncée ; il n'y a donc pas vraiment de chute, le dénouement de l'action se fait toujours un peu avant, et d'ailleurs ces nouvelles me feraient presque plus penser à des contes. Le style est soigné, et c'est amusant de voir que les paroles des personnages sont pleines de civilité et d'esprit alors même que leur situation est noire, et cet aspect rajoute un charme indéniable au texte.

Je remercie pour finir Matilda sans qui je n'aurais pas vécu cette lecture, puisque c'est elle qui m'a gentiment offert ce livre suite au concours qu'elle a organisé pour fêter le premier anniversaire de son blog !

Citation : "La jeunesse n'est que le temps de la lâcheté, (...) où les soucis paraissent plus noirs qu'ils ne le sont en réalité."

Lundi 21 juin 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/BrokebackMountain.jpgQuatrième de couverture : Brokeback Mountain : un bout de terre sauvage, hors du temps, dans les plaines du Wyoming. Ennis del Mar et Jack Twist, cow-boys, nomades du désert américain, saisonniers des ranchs, n'ont pas vingt ans. Ils se croisent le temps d'un été. La rencontre est fulgurante. Ni le temps, ni l'espace, ni les non-dits, ni la société n'auront raison de cet amour - que seule la mort brisera.

Le récit déchirant d'une passion, au cœur des grands espaces américains, ces somptueuses solitudes dont Annie Proulx est sans conteste l'écrivain le plus inspiré dans la littérature américaine contemporaine. Pour Ang Lee, réalisateur du film adapté du livre, Le secret de Brokeback Mountain qui a obtenu le Lion d'or 2005 à la Mostra de Venise, c'est "une grande histoire d'amour épique qui représente le rêve d'une complicité totale et honnête avec une autre personne".

Mon avis :  l'écriture de l'auteur est à l'image de l'amour entre Jack et Ennis : simple et brutal. Ma grand-mère, qui m'a prêté ce livre, m'a dit avoir été choquée par certaines scènes de sexe... elle est bien impressionnable, je m'imaginais du coup une simple histoire d'amour charnel entre deux hommes, sans sentiments... tandis que la quatrième de couverture laisse entendre au contraire qu'il s'agit d'une idylle super-romantique ("un amour que seul la mort brisera, le récit déchirant d'une passion", ces expressions empreintes d'un lyrisme exacerbé me faisaient un peu peur/fuir - j'aime bien les histoires d'amour mais pas trop niais quand même).

Et en fait, ce n'est ni l'un ni l'autre : ni une histoire de cul, ni un Roméo et Juliette gay, et tant mieux : c'est plutôt un compromis entre deux extrêmes, et j'ai trouvé cette histoire belle et plutôt réaliste. Il s'agit d'une nouvelle de 89 pages (avec une grande police), contrairement à ce que ma grand-mère disait les "scènes de sexe" (je mets entre guillemets tant j'ai du mal à les appeler ainsi) ne m'ont pas semblé vulgaires, et elles sont trop courtes pour être vraiment considérées comme des descriptions obscènes (remarquez, après avoir lu des bouquins comme La Pianiste il en faut peut-être un peu plus pour me choquer maintenant), je pense que ma grand-mère a surtout été heurtée car elle n'a pas l'habitude de trouver des scènes homsexuelles dans ses livres (elle devrait s'y faire). Ces scènes me semblent d'ailleurs nécessaires pour comprendre la nature de la relation qui unit les deux hommes. Ces deux-là s'aiment sans se le dire, on n'a pas de déclaration d'amour traditionnelle, on ignore leurs pensées, mais leurs actes parlent pour eux. Comme je l'ai déjà dit, leur amour, leur vie tout entière est brutale, cependant leurs gestes sont plein de sens, et je pense qu'ici les non-dits peuvent marquer le lecteur plus fortement que si on avait eu droit à une analyse de leurs sentiments  (la fin avec l'histoire des deux chemises m'a fait un pincement au cœur....)

Minou (c'est ainsi que tout le monde appelle ma grand-mère) a vu le film (ce qui n'est pas mon cas), et l'a beaucoup aimé, ce qui me laisse espérer que je l'aimerai aussi. Peut-être que je le regarderai avec elle. Le cadre dans le livre fait rêver, il a son importance, car cette nature immense et belle est à la fois ce qui fascine les deux hommes, ce qui leur permet de se rencontrer, mais aussi ce qui les sépare (toute leur vie ils vont travailler loin l'un de l'autre), j'ai hâte de voir ce que cela donnera en images. Comme la plume d'Annie Proulx m'a plu, j'aimerais aussi un jour lire le recueil dont est extraite cette nouvelle, Les pieds dans la boue.

Mardi 3 août 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/concertoalamemoiredunange.jpgQuatrième de couverture : Quel rapport entre une femme qui empoisonne ses maris successifs et un président de la République amoureux ? Quel lien entre un simple marin et un escroc international vendant des bondieuseries usinées en Chine ? Par quel miracle une image de sainte Rita, patronne des causes désespérées, devient-elle le guide mystérieux de leurs existences ? Tous ces héros ont eu la possibilité de se racheter, de préférer la lumière à l'ombre.
A chacun, un jour, la rédemption a été offerte. Certains l'ont reçue, d'autres l'ont refusée, quelques-uns ne se sont aperçus de rien. Quatre histoires liées entre elles. Quatre histoires qui traversent l'ordinaire et l'extraordinaire de toute vie. Quatre histoires qui creusent cette question : sommes-nous libres ou subissons-nous un destin ? Pouvons-nous changer ? Concerto à la mémoire d'un ange est suivi du Journal tenu par Eric-Emmanuel Schmitt durant l'écriture.

Mon avis :
- "L'Empoisonneuse" : une bonne idée de départ, grâce à un personnage ambigü, une femme âgée, meurtrière, qui tombe sous le charme d'un prêtre... personnage que j'ai cependant trouvé peu crédible, et je n'ai pas aimé le fait qu'il "prenne le dessus" par la suite et ai été un peu déçue par la suite des évènements.

- "Le retour" : l'histoire d'un homme qui apprend à prendre conscience de sa famille (je préfère ne pas en dire trop pour ne pas spoiler) pareil... une bonne idée de départ, mais qui s'essouffle vite, malgré le suspense, la fin m'a parue finalement peu surprenante, et même un plutôt mièvre.

- "Concerto à la mémoire d'un ange" : la nouvelle qui donne son nom au recueil... et je ne l'ai pas du tout aimée. Trop longue à démarrer, pas du tout crédible, je n'ai réussi à m'attacher à aucun des deux personnages, le style m'a laissée complètement indifférente, ou bien m'a agacée. En ce qui concerne l'histoire, j'ai la flemme de résumer, mais disons que c'est une sorte de réécriture de l'histoire d'Abel et Caïn.

- "Un Amour à l'Elysée" : un couple de puissants qui se déteste et se menace, une bonne idée de départ, encore une fois, qui laissait présager une fin amusante, perverse, mais encore une fois, la nouvelle s'amollit avant la fin, qui est niaise à souhait. (je dois cependant reconnaître que la lecture de cette nouvelle-ci a été plus distrayante que la lecture de la nouvelle précédente.)


A travers ces nouvelles, l'auteur cherche sans doute à nous amener à une réflexion, à nous poser des questions du type : sommes-nous les maîtres de notre destin ? peut-on changer ? Quelqu'un de mauvais peut-il devenir bon ? (et vice-versa). Mais je ne suis pas convaincue... une grosse déception pour moi, même si je dois admettre que je me doutais un peu, rien qu'à la quatrième de couverture, que ce recueil serait plus du niveau d'Odette Toulemonde* (bien mais sans plus) que de celui de la Rêveuse d'Ostende*...

J'aime beaucoup Schmitt en principe mais il m'a pas mal déçue ces derniers temps, il se peut que j'arrête de lire aveuglément tout ce qu'il écrit. Même si je n'oublie pas qu'il a aussi écrit de bien meilleure qualité (Lorsque j'étais une oeuvre d'art, La Part de l'autre, Le Visiteur, La Nuit de Valogne...) Le style est fluide mais parfois j'ai vraiment l'impression que Schmitt se fait plaisir en nous infligeant des passages où il exagère volontairement, en fait des tonnes, ce type d'écriture peut séduire certaines personnes mais alors moi ça m'a vraiment agacée, pitié !  -_-

Par exemple, cette phrase qui m'a choquée (où il est simplement question d'un type qui transpire) : "Ruisselant des épaules nues jusqu'au creux des reins, le colosse était transformé par la sueur en idole barbare : une aura d'évaporation nimbait son corps verni par les flammes fauves des chaudières." Mais bien sûr ! Je m'appesantis peut-être sur des détails qui n'intéressent que moi, mais franchement, Eric-Emmanuel, tu es capable de tellement mieux ! :(

Jeudi 26 août 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lafemmequidort.jpg(lu le 14 août)

Quatrième de couverture : Les histoires d'Ikezawa Natsuki nous entraînent, du Brésil à l'île d'Okinawa, dans des voyages amoureux, tour à tour réalistes et oniriques. Elles nous emportent dans des contrées, à mi-chemin du réel et du songe, où des forces anciennes sont encore à l'œuvre et influent sur les vivants. Elles nous parlent de la mystérieuse sémantique des rêves, de la fraîcheur vivace des sentiments surgie intacte de l'épaisseur du temps.

Mon avis :
un livre que j’ai eu envie de lire pour plusieurs raisons : c’est un recueil de nouvelles (j’aime !), que Matilda a lu et aimé, d’un auteur japonais (ça change donc de mes lectures habituelles), et surtout (attention, argument le plus important à mes yeux, mais qui est aussi le plus bidon), le titre, La femme qui dort, m’a fait penser à mon livre fétiche, Un homme qui dort, de Georges Perec (je pense que si je tombe sur des livres intitulés le chat qui dort, le vieillard qui dort… je me sentirais peut-être obligée de les lire aussi ^^)
 
Un recueil de trois nouvelles, chacune faisait un peu plus de trente pages, et le point commun de ces nouvelles, c’est sans doute leur douceur, ce sont des histoires qui nous font voyager, rêver, sans qu’on passe par des sentiments de peur ou de tristesse ; on dit souvent que « les gens heureux n’ont pas d’histoires », ces nouvelles nous prouvent le contraire, elles sont toutes profondément positives !
 
La nouvelle éponyme, qui est la dernière du recueil, est celle que j’ai le moins aimé ; cette « Femme qui dort » et vit pendant plusieurs jours une sorte de rêve mystique m’a moins touchée que les personnages des autres nouvelles, son aventure intérieure est une série de rites spirituels plutôt répétitifs, et l’accumulations de termes japonais m’a un peu perdue en route ; ces moments de veille m’ont aussi un peu déçue, j’aurais aimé qu’une réelle discussion s’initie avec son mari mais ce n’est pas le cas, et même s’il n’y aucune dispute, aucun évènement sombre à proprement parler, c’est cette nouvelle-ci qui m’a semblée la moins joyeuse, la plus mélancolique peut-être.
 
Je préfère donc garder en mémoire les deux autres nouvelles du recueil ; la deuxième, intitulée « Mieux encore que les fleurs » est une aventure sentimentale entre deux personnages fort différents, chacun timide à sa façon, et qui aurait pu être banale (encore que, j’ai trouvé que les deux personnages avaient un air de candeur, d’innocence dans leur relation charnelle, qui est très humaine, réaliste et émouvante), si elle n’était mêlé à une histoire plus fantastique à la fin ; mais ma nouvelle favorite reste la première, « les origines de N’kunre », qui m’a séduite par l’impression de sérénité qu’elle dégage… je l’ai lue juste avant de m’endormir, et ce conte utopique qui nous fait croire à une incantation capable de calmer les esprits des hommes a bercé mon endormissement d’une façon délicieuse.

Mardi 28 septembre 2010


Quatrième de couverture / extrait : "Comment s'était formée cette rue flottante ? Quels marins, avec l'aide de quels architectes, l'avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d'un gouffre de six mille mètres ? Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu'elles prenaient une teinte gris-de-France, ces toits d'ardoise, de tuile, ces humbles boutiques immuables ? Et ce clocher très ajouré ? Et ceci qui ne contenait que de l'eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson ?"


Liste des nouvelles : L'enfant de la haute mer / Le bœuf et l'âne de la crèche / L'inconnue de la Seine / Les boiteux du ciel / Rani / La jeune fille à la voix de violon / Les suites d'une course / La piste à la mare


Mon avis : Je n'avais jamais entendu parler de ce livre avant de voir le film La Tête en Friche (et j'ai dû entendre le nom de cet auteur une fois à la fac, mais c'est tout). En sortant du cinéma, je suis allée chez mon bouquiniste et là, contre toute attente...  j'y ai trouvé ce livre ! J'ai ensuite appris que Matilda organisait un challenge autour des livres évoqués dans le film, je m'y suis donc inscrite ^^ Voilà pour la petite histoire.

Le héros de chacune de ces nouvelles/contes est un personnage à l'écart, soit parce que quelque chose le rend marginal, soit parce qu'il est très seul. J'ai surtout aimé les nouvelles qui parlent indirectement de la mort (il y en a trois), c'est très imaginatif et cela donne de la mort une image onirique, le style est (relativement) simple, mais poétique, et nous emporte un autre monde. Toutes les nouvelles, d'une façon ou d'une autre, ont un côté fantastique plus ou moins prononcé, nous invite à voir les choses autrement... "Le boeuf et l'âne de la crèche" par exemple nous fait revivre la Nativité en s'intéressant au point de vue de l'âne et surtout du bœuf de l'étable. Une façon ludique et très originale d'évoquer cet épisode biblique ! Et le tout est empreint de douceur, je ne suis pas croyante et j'avais donc peur que cette nouvelle me barbe à cause de son sujet (mon rapport à la religion n'est pas simple, tantôt elle m'agace, tantôt elle me fascine) mais ça n'a pas été le cas, j'ai beaucoup aimé !

Mais ma nouvelle préférée est sans hésiter la nouvelle éponyme : cette "Enfant de la haute mer" est coincée dans une ville fantômatique et perdue au beau milieu de l'Océan ; sa solitude, le fait qu'elle se sente responsable d'un monde autonome, son innocence m'ont fait beaucoup penser au personnage du Petit Prince ! Je ne m'attendais pas à la fin (c'est une bonne chose que cette nouvelle soit la première du recueil, si je l'avais lue après elle m'aurait peut-être moins surprise) et elle m'a émue.

L'intrigue de "L'inconnue de la Seine" se déroule également en milieu aquatique, mais nous plonge cette fois-ci sous la mer, là où tous les noyés qui ne veulent pas remonter à la surface continuent à mener une drôle d'existence : même si les valeurs ne sont pas forcément les mêmes que dans le monde des vivants, l'instinct grégaire y est toujours présent, et notre héroïne va comprendre que même dans cet autre monde, la liberté ne va pas de soi et doit être acquise. Une nouvelle assez triste, en fait... le thème des "boiteux du ciel" est similaire mais nous emmène dans les airs, et la fin est plus optimiste.

Les autres nouvelles sont moins liées à la mort mais parlent aussi du rapport à l'autre : peut-on être libre tout en vivant en harmonie dans un groupe ? nos différences sont-elles un atout ou un handicap ? Ces nouvelles ("La jeune fille à la voix de violon" ; "Rani", qui nous raconte l'histoire d'un amérindien, et "les suites d'une course" dans laquelle un homme a des... problèmes d'identité) m'ont moins touchée, je ne saurais pas trop dire pourquoi... même si le registre fantastique est toujours là, je les ai trouvées moins profondément fantaisistes, j'ai été moins "embarquée" dans l'imagination de l'auteur. La dernière nouvelle, "La piste à la mare" aurait très bien pu aussi ne me plaire que moyennement mais j'adore la chute, qui change un peu tout, et c'est cette note déjantée finale qui manque à mon avis aux trois nouvelles que j'ai le moins aimé. Un recueil que j'ai trouvé donc un peu inégal, mais j'ai tellement aimé les quatre premières nouvelles que mon avis général reste très positif et me donne envie de m'intéresser de plus près à l'œuvre de Supervielle !


Bonus : j'ai découvert d'où venait précisément le logo du challenge La Tête en Friche ! Elle vient du court-métrage fait à partir du conte L'Enfant de la haute-mer ! J'ai apprécié l'ambiance générale du court-métrage, les paroles, peu nombreuses, sont des extraits fidèles du texte de Supervielle. Je regrette un peu que certains passages qui me semblaient importants dans la nouvelle pour comprendre la situation (et surtout la fin, qui est magnifique et éclaire tout le reste !) soient absents, mais ça reste une jolie vidéo. Cliquez pour visionner le court-métrage.

Bonus n°2 : j'allais oublier ! Pour le Challenge La Tête en Friche, on doit donner la définition d'un mot qu'on ne connaissait pas et que le livre nous a appris. Mon mot : Cacique, n. m. : ancien chef amérindien d'Amérique centrale.

Jeudi 7 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/premieramouroates.jpg(sous-titre : conte gothique)

Quatrième de couverture : Pour une raison qui demeure obscure à Josie, sa mère, Délia, a précipitamment abandonné le domicile conjugal et l'a emmenée vivre avec elle dans la maison de sa grand-mère, Esther Burkhardt. C'est là qu'elle fait la connaissance de Jared, un cousin nettement plus âgé qu'elle. Tout auréolé du prestige des études théologiques qu'il poursuit dans le cadre du séminaire presbytérien, sanglé dans d'impeccables chemises blanches amidonnées, distant et mystérieux, Jared exerce sur la fillette la plus grande fascination. Par un capiteux après-midi d'été, Josie le rencontre sur le bord de la rivière derrière la maison des Burkhardt...
Dès les premières pages de ce conte dont on ne sait s'il est immoral ou onirique, le lecteur est envoûté par l'étrange atmosphère de la maison Burkhardt, royaume des secrets familiaux que se chuchotent les adultes. Alors qu'elle cherche, entre terreur et amour, à se frayer un chemin vers elle-même, une fillette aborde à des rivages dangereux. Et ce livre inquiétant qui ne dit rien sur le sexe et tout sur les vertiges des phantasmes est sans doute l'un des plus érotiques qui soient.

Mon avis : un livre que j'ai eu envie de lire pour diverses raisons : 1) j'avais envie de découvrir cet auteur 2) j'allais à la bibli pour rendre des livres, pas pour en emprunter, alors en emprunter un aussi court (il fait 90 pages) me semblait être un compromis satisfaisant 3) la couverture m'attirait, de même que le titre sympathique, c'est aussi le titre d'un livre de Tourgueniev (pas lu) et de Gorki (pas lu non plus mais dans ma PAL) 4) la quatrième de couverture nous dit qu'il s'agit d'un livre "des plus érotiques qui soient", hinhin je veux voir ça !

Bon, ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais. Le résumé nous faisait bien deviner qu'il allait se passer des choses entre Josie et son cousin, mais je m'attendais à une vraie histoire d'amour, à un éveil des sens, à quelque chose de plutôt doux (bon c'est vrai, la quatrième de couverture parle d'un livre "inquiétant" et nous informe que le cousin est "nettement plus pagé", mais quand même)... et le problème c'est que Josie n'est pas une ado puisqu'elle n'a que... 11 ans :s !

On a donc affaire à une histoire plus perverse qu'érotique, plus horrible que simplement inquiétante... la petite Josie est quasiment livrée à elle-même (et donc à son ignoble cousin) : même si elle en sait plus sur le monde des adultes que ce qu'on veut bien lui en dire, elle ne semble pas avoir conscience du caractère complètement malsain de la relation qu'elle entretient avec son cousin. Sa mère, soit ne s'occupe pas d'elle, soit lui fait sans cesse comprendre que les questions qu'elle pose ne sont pas pertinentes - alors même que les interrogations de Josie n'ont rien d'absurde ! Mais cette mère, Délia est un bien étrange personnage, égoïste et contradictoire - je l'ai détestée - qui fait mine d'être blasée, niant l'importance des sentiments et du passé, elle finit invariablement par conclure que toutes choses ne sont que des mots, et qu'on peut donc ignorer... alors qu'en réalité elle mène une existence triviale sans rapport avec les réflexions creuses qu'elle inflige à sa fille, qui manque donc totalement de repères (je ne pense pas avoir un idéal d'éducation rigide - je n'ai jamais vraiment réfléchi à l'éducation que j'aimerais donner à mes potentiels futurs enfants, en fait), c'est n'importe quoi.

Délia est de toute façon à l'image de tous les adultes du livre : profondément hypocrite. Le pire bien sûr, c'est Jared, qui masque sa folie et ses penchants sexuels infâmes derrière une image bien sérieuse et proprette de futur ecclésiastique. Les sévices que Jared lui inflige sont ignorés de tous, et le calvaire de Josie  - qui n'est pas vraiment décrit comme tel puisqu'on a son point de vue à elle et qu'elle pense aimer son bourreau... amour monstrueux, et qui rend la situation encore pire aux yeux du lecteur, enfin c'est comme ça que je l'ai ressenti ! - ne connait pas de véritable dénouement (ni positif, ni négatif), et c'est dommage, la fin m'a un peu déçue.

L'atmosphère est bien décrite, j'ai eu l'impression en lisant ce conte de lire quelque chose de différent, d'inhabituel ; on a une sorte d'ambiance de jungle, le registre fantastique est présent, le cousin étant aussi vu comme un serpent, un faucon... le point de vue adopté est celui de Josie, mais il est rapporté de façon originale : tantôt on a un récit à la première personne du singulier (normal), tantôt, à la deuxième, qui fait penser aux discours que pourrait tenir le cousin : c'est comme une voix sombre qui lui dicte sa conduite, lui fait comprendre qu'elle n'a pas le choix... ce procédé nous permet de comprendre quelle est l'emprise que Jared a sur elle, puisque ses pensées deviennent les siennes, elle n'a aucun recul, aucune possibilité de résister.

Ce conte ne manque pas d'intérêt, j'ai envie de lire d'autres œuvres de cet auteur, mais j'aurais aimé qu'un rebondissement vienne balayer tout ça à la fin, c'est plus contemplatif qu'autre chose, malgré la brièveté du texte j'ai fait plusieurs pauses. Je retiens surtout cette impression de malaise que j'ai eue tout le long et qui ne s'est pas dissipée à la fin.... ce n'est pas vraiment ce que je recherchais aujourd'hui, mais je pense que c'est ce que voulait l'auteur, donc de ce point de vue là c'est une réussite ! J'ai peur que l'univers de ce conte,  avec le marais, les photographies des petites filles, les blessures physiques... me marque un peu trop, mais je pense qu'a posteriori je jugerai ce conte plus positivement que je ne le fais à présent ! ^^

Jeudi 28 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lesdiaboliques.jpgCHALLENGE ABC 2010, 22ème livre lu ♦

Quatrième de couverture (extrait de la préface) : "Quant aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les Diaboliques ? N'ont-elles pas assez de diabolisme en leur personne pour mériter ce doux nom ? Diaboliques ! il n'y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré. Il n'y en a pas une seule à qui on puisse dire le mot de 'Mon ange' sans exagérer. Comme le Diable, qui était un ange aussi, mais qui a culbuté, - si elles sont des anges, c'est comme lui, - la tête en bas, le... reste en haut !"

Liste des nouvelles : Le Rideau cramoisi  - Le Plus Bel Amour de Don Juan - Le Bonheur dans le crime - Le Dessous de cartes d'une partie de whist - A un dîner d'athées - La Vengeance d'une femme

Mon avis : une lecture que j'avais prévue de faire depuis des années, et que je suis heureuse d'avoir faite malgré une très légère déception (deux nouvelles m'ont déçue, mais je préfère surtout me souvenir des trois nouvelles que j'ai adorées) ! Dans ce recueil, le narrateur joue délibérément avec son lecteur, et notamment avec sa patience... au début de chaque nouvelle, il nous est promis un récit effrayant ou frappant, mais à chaque fois, une série de prologues en retarde la narration : présentation du cadre du récit principal (le plus souvent mondain), avec présentation du narrateur, de la personne grâce à qui il a appris cette histoire s'il n'en est pas le témoin direct, du cadre du récit secondaire... l'auteur n'hésite pas à nous faire un portrait psychologique très détaillé d'un personnage, on pense alors naturellement qu'il va avoir un rôle important dans l'histoire qu'on attend, notre intérêt est donc éveillé... mais trois pages plus loin on se rend compte qu'il ne sera plus question de lui et que le présenter de façon si précise n'était pas utile au récit qu'on attend toujours ! Et quand enfin la révélation finale a lieu, elle est bien souvent déceptive : on ne connaît pas forcément le dénouement dans sa totalité, parfois les horreurs qu'on nous promet depuis 40 pages (la plupart de ces nouvelles sont vraiment longues) ne sont que suggérées, presque rien n'est dit et on n'est pas beaucoup plus avancé à la fin !

Je vais d'abord évoquer la troisième nouvelle "Le Dessous de cartes d'une partie de whist" qui est celle qui m'a le moins plu : sans les notes à la fin du livre je pense que je n'aurais même pas compris de quoi il était question finalement, et en lisant cette nouvelle je me suis même ennuyée : il y a tant de prologues, tant de descriptions avant qu'on en vienne aux faits (qui sont très peu développés, je suis restée sur ma faim) que j'ai eu l'impression de me perdre au milieu de tout cela, le style m'a parfois paru un peu trop emberlificoté, il y a pas mal d'allusions à des oeuvres d'art que je ne connais pas, et à l'actualité politique de l'époque... cette lecture a donc été plutôt pénible, je n'ai pas eu l'impression d'être capable de l'apprécier (même si certains passages pris à part m'ont paru très beaux, le passage à la fin de l'article est d'ailleurs extrait de cette nouvelle). L'autre nouvelle que je n'ai pas trop aimée est "A un dîner d'athées", pour à peu près les mêmes raisons : on a une longue présentation du cadre mondain, qui est assez intéressante d'un point de vue historique, mais que j'ai trouvée vraiment trop longue par rapport à l'histoire qui sera racontée, et j'ai également trouvé les réflexions politiques du narrateur trop présentes.

L'auteur se montre excellent donc dans lart de broder... même si cette tendance aux digressions m'a parfois déplu car je l'ai trouvée excessive dans les deux nouvelles que je viens d'évoquer, elle ne m'a pas gênée dans le reste du recueil, où le procédé est à mon avis utilisé de façon plus efficace, et où on comprend bien mieux quel est le but de l'auteur : nous faire languir pour mieux nous fasciner et exciter notre curiosité.

 Je n'ai pour le moment parlé que de la forme originale de ces nouvelles, qui sont caractérisées par leur lenteur très inhabituelle pour le genre, mais il est maintenant temps de vous parler des histoires en elles-mêmes, qui mettent en scène des personnages de femmes extraordinaires ! Femmes enchanteresses, très paradoxales, personnages féminins qui provoquent les histoires d'amour passionnées qu'elles vivent (ce qui est très osé pour l'époque où il est toujours convenu que les femmes doivent garder un rôle passif...) sans quitter le masque de froideur et de vertu qu'elles arborent en public ("Le Rideau cramoisi"), ou femmes dépravées pas si vicieuses que ça ("La Vengeance d'une femme"), dans tout les cas, ces femmes restent auréolées d'un mystère jamais complètement dissous, notre connaissance des faits étant toujours limitée par le point de vue masculin des narrateurs.

Même si on peut dessiner de nombreux parallèles entre tous les personnages féminins du recueil, on continue d'être surpris par leur complexité et leur diversité. Leurs histoires mêlent amour, mort, folie, elles sont souvent violentes, immorales, elles souillent les valeurs communément défendues dans la société, et dans certains cas même, le narrateur prend nos hypothèses à contre-pied et c'est alors l'innocence inattendue de toutes ces "Diaboliques" qui vient nous choquer, comme dans "Le Plus Bel Amour de Don Juan" par exemple. (à propos de cette nouvelle, elle m'a rappelée la pièce de théâtre La Nuit de Valognes, d'Eric-Emmanuel Schmitt, qui en est l'évidente réécriture)

La nouvelle qui m'a le plus époustouflée, et de loin, est "Le Bonheur dans le crime" : pas de dénouement brutal et terrible certes (pas de prologue interminable non plus, au contraire, un début alléchant), mais une histoire assez riche en péripéties, assez développée pour satisfaire notre appétit romanesque, et d'une immoralité jubilatoire.

Le style de l'auteur dont la lenteur volontaire m'a parfois exaspérée, m'a à d'autres moments complètement comblée  : je le comparerais  à un bijou finement ciselé, avec des tournures originales, des images recherchées qui m'ont parue uniques, et le tout se déguste et m'a donné une sensation de maîtrise totale.... dépaysant, et si différent du style de l'ensemble de la production contemporaine !!! Pour en jouir pleinement, un certain état d'esprit, une certaine concentration est nécessaire mais j'ai le sentiment que le plaisir que j'en tire est incomparable, et cela me donne envie de lire plus d'oeuvres de ce siècle dans les moins à venir, longtemps que je ne m'y étais pas plongée, et cela m'avait un peu manqué je crois !

Extrait :
[à propos des jeunes filles nobles qui ne se marieront jamais car elles refusent toute mésalliance]
"Les filles, ruinées par la Révolution, mouraient stoïquement vieilles et vierges, appuyées sur leurs écussons qui leur suffisaient contre tout. Ma puberté s'est embrasée à la réverbération ardente de ces belles et charmantes jeunesses qui savaient leur beauté inutile, qui sentaient que le flot de sang qui battait dans leurs coeurs et teignait d'incarnat leurs joues sérieuses, bouillonnait vainement."

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