Singulier roman que cette croisée de destins et de personnages : il surprend et fascine, tant il ne ressemble à rien de connu tout en conservant une structure parfaitement attendue. Manière de symphonie, où Gide, qui tenait Les Faux-Monnayeurs pour l'un de ses textes les plus aboutis, orchestre les thèmes qui lui sont chers : l'adolescence et ses tourments, les troubles d'identité, mais surtout le mensonge, le faux sous toutes ses facettes, qu'il débusque avec acharnement, pour qu'enfin les masques tombent.
Mon avis : il y a quelques mois j'ai étudié ce livre à la fac, sa structure surtout, alors même si je ne l'avais pas lu, je connaissais déjà pas mal l'histoire. Le style est particulier, différent de ce à quoi je m'attendais à vrai dire, je m'attendais à quelque chose de plus classique, de moins impertinent, j'ai donc été agréablement surprise. Le fait que ce roman mette en scène des adolescents (entre autres)participe sans doute à cette impertinence, on a pas mal de langage familier, d'expressions argotiques qui ne sont aujourd'hui plus guère utilisées et qui par conséquent, assez paradoxalement, passeraient presque pour être des expressions soutenues (exemple : "faire le marlou" pour "faire le malin") : le tout donne une atmosphère spéciale au roman, ces lycéens et écoliers se prennent au sérieux, jouent les pédants, mais ils sont plus amusants qu'exaspérants, car on sent bien que toute cette frime n'est là que pour les soutenir, ils cherchent à se donner de l'importance, alors qu'au fond, ils se cherchent, voire, sont paumés.
Pas vraiment de héros dans ce roman, différentes intrigues s'entremêlent, plusieurs personnages sont d'importance similaires ; au centre tout de même, il y a Bernard, le jeune fugueur, Olivier, son ami, et Edouard, l'oncle d'Olivier, très lié aux deux adolescents, et personnage d'écrivain, qui correspond plutôt à Gide (si on cherche à mettre en évidence ce genre de correspondances) : on a plusieurs extraits de son journal ; et parmi tous les passages que j'ai appréciés et que j'ai eu envie de prendre en note, nombreux sont ceux qui en sont extraits. Le narrateur (externe et qui fait mine de ne pas être omniscient), qui intervient assez souvent, nous fait suivre tour à tout les différents personnages ; à certains moments, il fait même une pause dans son récit pour nous dire ce qu'il pense de l'avancée du roman, d'untel ou untel... un jeu souriant avec le lecteur s'instaure alors.
Les personnages sont nombreux, l'histoire part un peu dans tous les sens, tantôt on s'intéresse de près à tel personnage, pour ensuite quasiment l'oublier par la suite... oh, je sais bien que tout cela est très construit, que rien n'est là par hasard, mais au moment de tourner la dernière page, je me sens déchirée, entre une impression de trop, et de trop peu : l'impression d'avoir suivi quelque chose de très riche, mais d'avoir été stoppée dans mon élan. J'ai trouvée la fin trop abrupte, j'aurais aimé que le roman continue, que vont devenir tous ces personnages ? Je ne suis pas d'accord.
Je reste un peu perplexe, en fait, la densité de ce roman m'a plu, mais finalement je me sens presque dupée. Je pense aussi que je n'ai pas lu ce livre de la façon dont il le méritait, ma lecture n'a pas été assez attentive, elle a été trop traînante, et sans avoir eu de difficulté à suivre, j'ai parfois eu la sensation que je n'avais pas tout en tête, et je me déçois, sur ce coup-là. Même au moment de me demander ce que j'ai finalement vraiment pensé de ce roman, que je suis embrouillée... une lecture agréable, des personnages attachants, un style savoureux, délicieusement ampoulé pour-de-faux, qui sert de nombreux très beaux passages, et je me suis successivement identifiée à plusieurs personnages amoureux ou à la recherche d'attention.... mais j'ai un goût d'inachevé, à relire pour moi dans quelques années, et c'est pourquoi je me félicite de l'avoir acheté au vide-greniers. Je crois bien en attendant que c'est une œuvre qui risque de me marquer. De Gide, j'avais déjà lu La Symphonie pastorale*, et j'ai infiniment préféré les Faux-Monnayeurs. (deux oeuvres vraiment très différentes, mais je dois aussi admettre que la Symphonie pastorale m'a laissé bien peu de souvenirs !)
Extraits : (nombreux, mais je me contiens, j'en ai noté bien plus !)
"Tout ce qui n'est créé que par la seule intelligence est faux."
"Incapable de pénétrer les sentiments secrets de Laura, il prenait pour de la froideur son retrait et ses réticences. Il eût été bien gêné d'y voir clair et c'est ce que Laura comprenait ; de sorte que son amour dédaigné n'employait plus sa force qu'à se cacher et à se taire."
"Je voudrais, tout le long de ma vie, au moindre choc, rendre un son pur, probe, authentique. Presque tous les gens que j'ai connus sonnent faux. Valoir exactement ce qu'on paraît ; ne pas chercher à paraître plus qu'on ne vaut... on veut donner le change, et l'on s'occupe tant de paraître, qu'on finit par ne plus savoir qui l'on est..."
"Il me semble parfois qu'écrire empêche de vivre, et qu'on peut s'exprimer mieux par des actes que par des mots."
"Je crois que c'est le propre de l'amour, de ne pouvoir demeurer le même ; d'être forcé de croître, sous peine de diminuer ; et que c'est là ce qui le distingue de l'amitié."
"Le scepticisme n'a jamais rien donné de bon. On sait de reste où il mène... à la tolérance ! Je tiens les sceptiques pour des gens sans idéal, sans imagination ; pour des sots..."
"Lorsque j'étais plus jeune, je prenais des résolutions, que je m'imaginais vertueuses. Je m'inquiétais moins d'être qui j'étais, que de devenir qui je prétendais être. A présent, peu s'en faut que je ne voie dans l'irrésolution le secret de ne pas vieillir."