Un peu moins de 600 pages ; j’ai lu les 50 premières en une semaine (ou plutôt, j’ai lu les 50 premières en deux jours, et j’ai ensuite passé 4-5 jours sans lire), mais une fois que j’ai repris ma lecture, je l’ai achevée en deux jours. Pour apprécier ce livre, il a fallu que j’accepte de me laisser emporter par lui, par ses personnages surtout. Si je devais rapprocher ce roman de l’œuvre d’un autre auteur, je penserais à Paul Auster : un personnage d’écrivain, un univers dense, fourmillant, avec plusieurs degrés qui s’imbriquent. .. mais à la différence des romans de Paul Auster, j’ai eu le sentiment que dans celui-ci la vie était plus mise en valeur que la littérature, qu’elle n’était pas uniquement un prétexte justifiant l’existence de son personnage d’auteur. J’adore Paul Auster, mais dans un sens, Le Monde selon Garp m’a peut-être paru plus « humain » que la Nuit de l’Oracle, car plus réaliste et plus proche de ses personnages. (au final je préfère peut-être quand même le roman d'Auster... mais cela ne sera peut-être pas le cas de tout le monde !)
Le roman de John Irving m’a paru très ambitieux, mais il tient ses promesses ; il est généreux avec nous, lecteurs, en nous donnant toutes les clés pour comprendre les personnages et leur vie. Il commence par nous plonger dans la vie de la mère du héros avant sa naissance, et je me suis rapidement attachée à Jenny Fields, au point de regretter par avance qu’on s’éloigne d’elle pour se concentrer ensuite sur Garp. Je crois d’ailleurs que c’est pour ça que j’ai délaissé le livre au bout de 50 pages : Garp étant né, je sentais bien qu’on allait bientôt se concentrer sur lui, et je n’avais aucune envie d’abandonner sa mère ; ce que je ne savais pas, c’est d’abord qu’on ne perdrait la jamais de vue, car Garp resterait proche de sa mère toute sa vie, même quand ils ne vivront plus ensemble… et puis, Garp est aussi (largement) un personnage qui mérite qu’on s’intéresse à lui, même si j’ai eu plus de mal à le cerner, à comprendre ce qui était le plus important pour lui (mais je crois que lui aussi a des difficultés à définir ce qu’il veut vraiment).
Si le roman est long, c’est parce que l’auteur n’hésite jamais à nous raconter une scène en détails, même s’il s’agit d’une simple anecdote. On a l’impression que pour John Irving, tout sert l’intrigue, il ne se contente pas de raconter ce qu’il est obligé de raconter pour avoir une histoire, non, il donne une épaisseur à tout ça : il crée un monde. En le sentant « digresser » quand il commence à nous raconter un truc concernant un personnage qu’on ne sera probablement pas amené à revoir, j’ai parfois pensé « mais enfin, on s’en fout, de ça » ; mais en fait non, on ne s’en fout pas, et John Irving parvient si bien à donner de l’intérêt à tout ce qu’il raconte, il est un conteur si enthousiaste, qu’on se laisse prendre au jeu et à la fin du passage qui nous semblait inutile, on se dit qu’on est quand même content qu’il existe, et puisqu’il fait partie de la vie de Garp, oui, effectivement, il mérite d’être dans le bouquin. C’est à ça que je pense quand je dis qu’il s’agit d’un roman généreux.
J’ai aussi adoré qu’on ait de larges extraits de la prose de Garp (procédé aussi utilisé par Paul Auster, mais pas de façon aussi développée si mes souvenirs sont bons) ; cela me frustre quand on nous parle d’un personnage d’écrivain sans pouvoir lire ce qu’il écrit, cela le rend trop abstrait. J’ai trouvé amusant le décalage entre le narrateur (externe et omniscient) et les propos de Garp concernant son œuvre ; d’un côté, le narrateur nous fait connaître de long en large la vie de Garp, les rapports qu’il entretient avec sa famille, ses difficultés d’écrivain et l’œuvre qui en résulte malgré tout etc ; de l’autre, on a Garp qui rejette les journalistes et de manière générale tous les partisans de la critique contextuelle, qui prétendent mieux comprendre son œuvre grâce à la connaissance de sa vie. Dans ces conditions, seul le lecteur a une vision globale de Garp et des rapports que sa vie entretient avec son oeuvre : Garp et son entourage manquent en effet de recul, quant aux personnages vraiment extérieurs, ils sont au contraire trop loin du « monde » de Garp pour le comprendre. J’ai été passionnée par ce thème de l’écriture liée à la vie, suivre les aléas de l’inspiration de Garp, mémoire VS imagination, le voir dénigrer l’autobiographie et pourtant inscrire dans ses romans de nombreux éléments de sa propre vie, comprendre en quoi l’écriture peut être thérapeutique et libératrice pour lui, observer les différentes réactions de son entourage, mère, épouse, amis et éditeur….
Deux (tout) petits bémols : la narration est très fluide, le roman très prenant se lit vite (une fois qu’on a accroché), mais si on s’y arrête, le style m’a parfois légèrement déçue, la faute aux personnages « qui secouent la tête » (cette expression cliché qui sert à rien me met en colère) et à la prolifération de « Bonté divine ! » - mais bon, je pardonne facilement ces quelques maladresses (qui n’en sont peut-être que pour moi) à John Irving, d’autant plus que certaines sont peut-être tout simplement causées par la traduction ! c’est un livre que j’essaierai de lire en version originale, s’il me prend l’envie de le relire dans quelques années. Je préfère ne pas m’appesantir sur ces détails mais plutôt admirer sa virtuosité de conteur, il maîtrise comme un chef des techniques pour « tenir » son lecteur et le faire bouillir, par exemple en nous mettant sous le nez les conséquences d’un évènement horrible, puis prenant bien son temps pour nous annoncer quel est l’évènement horrible en question ! (car si le roman est linéaire, Irving joue cependant habilement avec les ellipses)
Autre bémol, la fin, qui m’a ennuyée alors que tout le reste m’avait passionnée : dans un (trop) long épilogue, on apprend la destinée de tous les personnages jusqu’à leur mort ; connaissant John Irving (dans la mesure où on peut connaître un auteur en ayant lu un seul roman de lui), c’est tout à fait logique, il a accordé trop d’attention à tous ses personnages pour terminer son livre sans qu’on sache ce qu’il advient d’eux… mais bon, ça s’étire, ça s’étire, et comme le dénouement principal a déjà eu lieu, pour moi le livre était bel et bien fini et j’ai eu l’impression de subir des bonus pas forcément bienvenus ; mais il faut noter aussi qu’arrivée au dernier chapitre, j’étais exténuée, j’aurais probablement plus apprécié cet épilogue si je l’avais lu à tête reposée ce matin !
Je ne vois pas comment conclure ce billet un peu décousu (j’aime pas les conclusions, raaah), mais si vous avez lu cet article ou au moins les trucs en gras, vous avez sûrement compris que j’ai beaucoup aimé (je n’ose pas lire tout de suite un autre bouquin du même auteur, peur d’être déçue en lisant quelque chose de moins bien ou de trop similaire) et que j’ai été scotchée par sa richesse incroyable ! En plus (aaah, ça y est, je tiens ma conclusion), c’est le livre préféré de Tote.
Quatrième de couverture (= extraits de critiques élogieuses)
« Chaque génération a son livre. Le Monde selon Garp de John Irving pourrait bien être pour les enfants de la crise l'équivalent de l'Attrape-coeurs de Salinger pour ceux des années cinquante. » Jacques Cabau, Le Point
« Un des plus beaux, des plus étonnants monstres de la nouvelle fiction américaine. » Michel Braudeau, L'Express
« C'est peut-être cela un grand livre : une parodie qui se révèle plus vraie que la réalité qu'elle est censée grimacer. » Pierre Lepape, Télérama
"- L'art n'aide personne, dit Garp. En fait, l'art n'est d'aucune utilité pour personne ; les gens ne peuvent pas le manger, il ne les habillera pas, pas plus qu'il ne les abritera - et, s'ils sont malades, il ne les aidera pas à guérir.
Telle était, Helen le savait, la théorie de Garp sur l'inutilité fondamentale de l'art ; il rejetait l'idée que, du point de vue social, l'art eût la moindre valeur - qu'il pût en avoir, qu'il dût en avoir. Les deux choses ne devaient surtout pas être confondues, estimait-il ; il y avait l'art, et il y avait l'aide dont les gens avaient besoin. Et il y avait lui, qui, maladroitement, s'essayait aux deux - le vrai fils de sa mère, finalement. Mais, fidèle à sa théorie, il voyait dans l'art et dans l'engagement social deux domaines distincts. Les gâchis éclataient lorsque des imbéciles tentaient de combiner les deux champs. Garp devait toute sa vie garder la conviction, conviction qui d'ailleurs l'exaspérait, que la littérature était une denrée de luxe ; il aurait souhaité qu'elle fût plus utilitaire - et pourtant, dès qu'elle l'était, il en avait horreur." (p.252)
"Ils laissèrent Garp fulminer en silence. Qu'auraient-ils pu faire d'autre ? Ce n'était pas là l'un des points forts de Garp : la tolérance à l'égard des intolérants. Les fous le rendaient fou. On aurait dit qu'il se sentait personnellement révolté de les voir céder à la folie - en partie, sans doute, parce que lui-même devait si souvent lutter pour se comporter de façon sensée. Lorsqu'il voyait des gens renoncer à lutter pour préserver leur raison, ou échouer, Garp les soupçonnait de ne pas déployer assez d'énergie." (p. 526)
Autres critiques : ici (SC) et là (Livraddict)
A propos du film : fiche allociné et fiche SC
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