Samedi dernier, je suis enfin allée m'inscrire dans la petite bibliothèque de ma nouvelle ville. J'y allais surtout pour visiter, ayant déjà des livres à lire je n'avais pas prévu d'en emprunter tout de suite mais la bibliothécaire m'a dit "Vous pouvez aller choisir vos livres pendant qu'on termine l'inscription", je n'ai pas pu résister ; j'ai donc emprunté l'album Sleeping with Ghosts de Placebo, le DVD Taxi Driver, et deux romans : Seul dans le noir, de Paul Auster, et le livre dont je m'apprête à vous parler, que j'ai emprunté un peu au hasard, parce qu'il était sur le présentoir et parce que sa brièveté - 77 pages - m'a donné bonne conscience. J'ai déjà lu Journal du dehors d'Annie Ernaux, j'étais curieuse de lire autre chose d'elle... et la simplicité du titre (et de la couverture) m'ont également attirée.
Quatrième de couverture (extrait) :
«Car il a bien fallu que je me débrouille avec cette mystérieuse incohérence : toi la bonne fille, la petite sainte, tu n'as pas été sauvée, moi le démon j'étais vivante. Plus que vivante, miraculée. Il fallait donc que je vienne au monde et que je sois sauvée.»
Pas besoin de résumé annexe (cela dit si vous en voulez un, hop), il me semble que l'extrait de quatrième de couverture est assez transparent (Matilda, toi qui as lu assez de livres évoquant le thème de la famille et de la mort ces derniers temps, je ne te conseille peut-être pas de lire ce livre immédiatement...) ! Pas de suspense dans ce livre, pas d'action à proprement parler, mais vous me connaissez bien maintenant, vous savez qu'il ne s'agit pas forcément d'ingrédients essentiels à mes yeux ;)
Au moment d'écrire cet article, je reprends le livre en main et découvre la toute première page (juste avant la page de titre), que je n'avais pas lue, elle présente la collection dans laquelle cette œuvre est publiée, ce qui n'est pas du tout indifférent comme vous allez le voir :
Quatrième de couverture (extrait) :
«Car il a bien fallu que je me débrouille avec cette mystérieuse incohérence : toi la bonne fille, la petite sainte, tu n'as pas été sauvée, moi le démon j'étais vivante. Plus que vivante, miraculée. Il fallait donc que je vienne au monde et que je sois sauvée.»
Pas besoin de résumé annexe (cela dit si vous en voulez un, hop), il me semble que l'extrait de quatrième de couverture est assez transparent (Matilda, toi qui as lu assez de livres évoquant le thème de la famille et de la mort ces derniers temps, je ne te conseille peut-être pas de lire ce livre immédiatement...) ! Pas de suspense dans ce livre, pas d'action à proprement parler, mais vous me connaissez bien maintenant, vous savez qu'il ne s'agit pas forcément d'ingrédients essentiels à mes yeux ;)
Au moment d'écrire cet article, je reprends le livre en main et découvre la toute première page (juste avant la page de titre), que je n'avais pas lue, elle présente la collection dans laquelle cette œuvre est publiée, ce qui n'est pas du tout indifférent comme vous allez le voir :
"Quand tout a été dit dans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka aurait préféré la ranger dans un tiroir.
Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire.
Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire.
La collection "Les Affranchis" fait donc cette demande à ses auteurs : "Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite."
.... ce texte, que je range ici dans la catégorie "Romans contemporains" est donc en réalité une lettre autobiographique, ce que je n'avais compris que vers la fin. Ça commence par la description d'une photo d'un bébé qui n'est autre que la sœur de l'auteur, et de fil en aiguille, cette lettre recouvre (à peu près) tout ce qu'Annie Ernaux peut nous dire au sujet de cette sœur morte avant sa naissance, dont elle sait si peu de choses et qui a pourtant énormément marqué sa vie - en creux.
Quel rapport entretient-elle avec cette absente que ses parents lui ont toujours cachée ? Comment a-t-elle appris son existence, comment a-t-elle géré cette nouvelle, comment comprend-elle aujourd'hui les causes d'un tel mystère autour de ce personnage qui aurait dû être si proche d'elle ? Annie Ernaux ne cherche pas à généraliser, elle parle bien de son histoire à elle, et uniquement cela, mais avec une clarté et une finesse qui font que le lecteur s'intéresse à tout cela sans se sentir intrus, plus le récit avance et plus on sent à quel point cet évènement tragique et la dimension de secret qui a tourné autour ont eu de l'importance pour elle.
Ne pas lire ce court texte d'une traite (j'ai en lu les trois quarts dans une laverie) m'a permis de m'en imprégner, j'ai songé à cette petite fille morte en attendant mon train et cela m'a glacée, j'ai eu un moment d'extrême tristesse face à l'injustice et à l'horreur de la chose, comme si tout cela m'avait réellement concernée. Je n'ai pas de petite soeur morte, mais je me suis sentie solidaire d'Annie Ernaux, et son histoire peut faire écho à nos propres ténèbres : d'autres morts, d'autres secrets de famille, et de manière plus large, toutes ces choses difficiles qu'on subit sans pouvoir les contrôler, choses terribles mais avec lesquelles on doit apprendre à vivre tant bien que mal, jusqu'à ce que ces choses s'intègrent à notre identité profonde ; et ainsi, Annie Ernaux rattache ce drame à sa vocation d'écrivain.
En empruntant ce livre, j'avais peur de me retrouver face à ce que j'appelle toujours "un récit larmoyant". Cela n'a rien de drôle, et j'ai été très touchée à un moment donné, mais l'auteur a la sagesse de ne pas jouer avec le pathos qui suinte des faits. Elle semble au contraire très neutre ; cette apparente froideur m'a un peu bloquée au début, mais on la comprend rapidement, c'est la seule manière dont Annie Ernaux arrive à parler de cette sœur qu'elle ne peut pas pas pleurer spontanément, puisqu'elle n'a pas connu directement la douleur de sa perte. Au fur et à mesure que la lettre se déploie, j'ai eu le sentiment d'un rapprochement effectif, d'une sorte de "réconciliation" entre cette sœur inaccessible et l'auteur : alors qu'au commencement elle semble irrémédiablement coupée d'elle, elle finit dans les dernières pages par s'adresser à elle de manière plus systématique, et c'est alors seulement que j'ai compris ce texte comme une lettre... les mots ont finalement rendu un peu plus présente la sœur disparue, et en fermant l'ouvrage je me suis sentie soulagée. J'espère que l'auteur a ressenti un apaisement similaire (cela serait la moindre des choses, et je suppose que c'était le but.)
.... ce texte, que je range ici dans la catégorie "Romans contemporains" est donc en réalité une lettre autobiographique, ce que je n'avais compris que vers la fin. Ça commence par la description d'une photo d'un bébé qui n'est autre que la sœur de l'auteur, et de fil en aiguille, cette lettre recouvre (à peu près) tout ce qu'Annie Ernaux peut nous dire au sujet de cette sœur morte avant sa naissance, dont elle sait si peu de choses et qui a pourtant énormément marqué sa vie - en creux.
Quel rapport entretient-elle avec cette absente que ses parents lui ont toujours cachée ? Comment a-t-elle appris son existence, comment a-t-elle géré cette nouvelle, comment comprend-elle aujourd'hui les causes d'un tel mystère autour de ce personnage qui aurait dû être si proche d'elle ? Annie Ernaux ne cherche pas à généraliser, elle parle bien de son histoire à elle, et uniquement cela, mais avec une clarté et une finesse qui font que le lecteur s'intéresse à tout cela sans se sentir intrus, plus le récit avance et plus on sent à quel point cet évènement tragique et la dimension de secret qui a tourné autour ont eu de l'importance pour elle.
Ne pas lire ce court texte d'une traite (j'ai en lu les trois quarts dans une laverie) m'a permis de m'en imprégner, j'ai songé à cette petite fille morte en attendant mon train et cela m'a glacée, j'ai eu un moment d'extrême tristesse face à l'injustice et à l'horreur de la chose, comme si tout cela m'avait réellement concernée. Je n'ai pas de petite soeur morte, mais je me suis sentie solidaire d'Annie Ernaux, et son histoire peut faire écho à nos propres ténèbres : d'autres morts, d'autres secrets de famille, et de manière plus large, toutes ces choses difficiles qu'on subit sans pouvoir les contrôler, choses terribles mais avec lesquelles on doit apprendre à vivre tant bien que mal, jusqu'à ce que ces choses s'intègrent à notre identité profonde ; et ainsi, Annie Ernaux rattache ce drame à sa vocation d'écrivain.
En empruntant ce livre, j'avais peur de me retrouver face à ce que j'appelle toujours "un récit larmoyant". Cela n'a rien de drôle, et j'ai été très touchée à un moment donné, mais l'auteur a la sagesse de ne pas jouer avec le pathos qui suinte des faits. Elle semble au contraire très neutre ; cette apparente froideur m'a un peu bloquée au début, mais on la comprend rapidement, c'est la seule manière dont Annie Ernaux arrive à parler de cette sœur qu'elle ne peut pas pas pleurer spontanément, puisqu'elle n'a pas connu directement la douleur de sa perte. Au fur et à mesure que la lettre se déploie, j'ai eu le sentiment d'un rapprochement effectif, d'une sorte de "réconciliation" entre cette sœur inaccessible et l'auteur : alors qu'au commencement elle semble irrémédiablement coupée d'elle, elle finit dans les dernières pages par s'adresser à elle de manière plus systématique, et c'est alors seulement que j'ai compris ce texte comme une lettre... les mots ont finalement rendu un peu plus présente la sœur disparue, et en fermant l'ouvrage je me suis sentie soulagée. J'espère que l'auteur a ressenti un apaisement similaire (cela serait la moindre des choses, et je suppose que c'était le but.)
Par contre tu me donnes envie de lire, et de cette collection j'ai acheté la lettre de Linda Lê, A l'enfant que je n'aurais pas ou quelque chose comme ça. Je me demande à qui je le prêterais à la fin :p