Jeudi 6 octobre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/divers/morrobay.jpgMorro Bay Rock, source

(critique positive même si on ne dirait pas au début, accrochez-vous !)

Dimanche 25 septembre, il y a donc plus d'une semaine, j'étais dans le train et j'envoyais un texto à Matilda pour lui dire que je venais de finir Et rester vivant, roman de la rentrée littéraire qu'elle m'a conseillé et prêté (comme je suis chouchoutée ! :p), et que j'avais commencé la veille dans un autre train. (je passe ma vie dans des trains, j'adore ça, surtout si ça me permet de rejoindre les gens que j'aime !).

Si Matilda ne m'avait pas forcée poussée, je ne me serais peut-être pas penchée sur ce livre. Je ne connais pas l'auteur. Je ne connais pas la maison d'édition, Buchet/Chastel (ça c'est un détail, et d'ailleurs ça ne va pas durer, surtout si je choisis ce livre pour mon cours de librairie, pour répondre au commentaire d'Envolée-Littéraire : je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé quel livre je vais prendre pour ce travail, peut-être que cela sera celui-ci, peut-être pas !). Et surtout, a priori, je n'aime pas le titre.
 
"Et rester vivant."

Est-ce que ces quelques mots vous font la même impression qu'à moi, quand je ne savais rien du tout sur ce livre ? C'est comme s'ils disaient "Vous allez voir, j'ai vécu plein de trucs horribles, que je vais vous raconter, mais ça se finit bien, parce que je suis tellement courageux que j'ai choisi de rester vivant, finalement, je suis super-fort, héhé !."
Et c'est un peu ce que le narrateur dit au final, si on caricature. Mais il ne le dit pas de cette manière suffisante que j'imaginais, non pas du tout. Et les trucs horribles qu'il vit, d'abord on n'a pas envie d'en rire (parce que c'est vrai... ça ne suffit pas toujours comme argument, les témoignages-choc ne m'attirent pas mais ce n'est pas ça non plus), mais ensuite il ne nous appuie pas sur les paupières pour nous faire chouiner, et les siennes restent sèches - ce qui n'en est pas moins douloureux.

Même si les deux situations sont très différentes - Jean-Philippe Blondel se prend tout de plein fouet -, ça parle de famille et de mort et la démarche vis-à-vis du lecteur ne me semble finalement pas très éloignée de celle d'Annie Ernaux dans Une autre fille (ma lecture précédente pour ceux qui ne suivent pas). Jean-Philippe perd sa mère, son frère et son père dans deux accidents de voiture à 4 ans d'écart (je crois), se retrouvant à peu près seul au monde à 22 ans. Ses seules attaches ? Sa petite amie Laure - nouvellement ex au moment du drame - et son meilleur ami Samuel - avec qui est partie sa-nouvellement-ex-petite-amie, vous suivez toujours ?

L'enjeu du bouquin, c'est un peu celui-ci : comment fait-on pour continuer à vivre avec un jeu de cartes aussi merdique ?
On sait bien que le jeune narrateur ne va pas péter les plombs au point de se foutre en l'air, puisqu'il nous écrit tout ça des années après..... pour autant, il est évident que dans une telle situation, plus rien ne coule de source, tout est à faire. La vie est en quelque sorte ramenée à son plus simple appareil, dévêtue de toutes les habitudes qui la construisent en la faisant tenir dans un cadre. Qu'est-ce qui peut alors nous retenir, à quoi se raccrocher ?

La réponse peut sembler incongrue, mais qu'auriez-vous fait à sa place, franchement ? Jean-Philippe va partir en voyage aux USA avec ses deux acolytes, trio ressoudé par la force des choses alors qu'il s'apprêtait à s'émietter, avec pour objectif ultime de visiter Morro Bay, un lieu qu'il connaît seulement de nom grâce à une chanson qu'il écoute en boucle, et que voici :
 

(je découvre seulement maintenant cette fameuse chanson sans laquelle ce roman n'existerait pas. Amusant de constater que, d'après ce que le narrateur en dit, je ne l'imaginais pas du tout comme ça, je m'étais fait ma propre idée.... on voit bien que ce qui compte, ce n'est pas tant la chanson en elle-même, mais le sens que le personnage lui donne !)

Cette histoire de Morro Bay correspond assez à l'idée que je me fais des micro-perspectives telles qu'elles sont définies dans ma nouvelle préférée, "Voix" d'Antonio Tabucchi (sauf qu'une micro-perspective, normalement c'est petit, simple à faire. Là ça semble un gros morceau, mais quand même, n'est-ce pas a priori une raison de vivre bien mince, quasi-absurde, de rejoindre ce lieu inconnu alors qu'on vient de perdre toute sa famille ???). L'idée, c'est d'avoir un objectif, quel qu'il soit. Et effectivement, partir n'est peut-être pas une mauvaise solution.

Comme vous l'avez compris, ceci n'est pas vraiment une fiction dans la mesure où Jean-Philippe Blondel raconte ce qui lui est réellement arrivé (bon il a peut-être brodé, je n'en sais rien et peu importe, le canevas est là !). C'est donc un récit assez brut où le lecteur doit s'adapter, le road-trip nous est livré tel qu'il s'est passé, il n'est donc pas là pour nous divertir en satisfaisant notre besoin de tourisme par procuration. Ce n'est pas un roman qu'on lit pour voyager aux Etats-Unis, mais pour accompagner l'auteur dans son passé qu'il fait renaître sous nos yeux : les deux points de vue s'entrechoquent, on a à la fois le Jean-Philippe de 22 ans qui se débat comme il peut sans qu'on sache ce qui va advenir de lui, et parfois, la voix de l'écrivain qui nous aide à prendre un peu de recul mais sans qu'on soit bien assuré de la suite... de manière générale, j'ai eu le sentiment de rester collée à l'époque passée quand même : on a aussi beaucoup de flash-backs, de souvenirs de sa famille, les souvenirs d'enfance avec sa mère surtout m'ont touchée.... cela permet bien de cerner de mieux en mieux le personnage, sa vie telle qu'elle a été, et de voir que vraiment, rien n'est simple. Alors les souvenirs sont écrits au présent, les différentes temporalités se superposent en se mélangeant, tout semble plus ou moins hâché, saccadé ; d'un passé bel et bien mort il ne reste que des bribes survivant tant bien que mal dans sa mémoire (quelle responsabilité !), et son présent explosé ne tient plus debout.... pas facile de rattacher les morceaux et de continuer à aller de l'avant au milieu d'un tel cataclysme !

J'ai tout spécialement apprécié l'honnêteté du narrateur qui ne cherche ni à donner une image des défunts plus reluisante que celle qu'il avait vraiment, ni à dorer son propre blason : tantôt il m'a semblé bizarrement froid, tantôt on le voit à nu en pleine souffrance.... pas de logique narrative artificielle derrière, mais la vie, c'est-à-dire les réactions tout aussi vraies qu'invraisemblables que chacun peut expérimenter quand la réalité devient plus folle que la plus grotesque des fictions : chaque chemin est compliqué, et à chacun de faire avec, comme il peut. (et si on est plusieurs pour lutter contre l'horreur, c'est mieux effectivement ! Je pourrais aussi vous parler longuement de l'intérêt que j'ai trouvé à lire son histoire d'amour/amitié avec Samuel et Laure... ce roman m'a vraiment plu pour des raisons diverses, j'applaudis sa richesse dont ma critique ne permet pas vraiment de rendre compte !!!). Si je me laissais aller à une conclusion cliché, je dirais que ce roman est une belle "leçon de courage" ? cela ne serait sûrement pas faux, du courage il n'en est pas dénué ! Mais il n'en fait pas l'étalage et ce n'est certainement pas une leçon - plutôt un encouragement, un livre-médicament qui, sans nous faire la morale, nous aide à relativiser nos malheurs en nous donnant la preuve qu'aucun n'est insurmontable, pourvu qu'on accepte le décalage entre la difficulté des obstacles et la faiblesse de nos moyens, sans pour autant baisser les bras.

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/Etrestervivant.jpgExtrait :
"Parfois, mon frère pleure, la nuit.
Je le sais.
Je crois que je suis le seul à le savoir. (...)
Cela arrive alors que rien ne le laisse présager. Mes parents ont fermé leur porte. Il est deux ou trois heures du matin. Je me réveille parce que quelque chose cloche. Et ce qui cloche, c'est ce son étouffé par l'oreiller. Je feins de dormir.
La seule fois où je me retourne et que je demande ce qui se passe, il ne répond pas. Le lendemain et les semaines suivantes, il m'évite.
Je me dis que j'aurai l'explication plus tard. Je me dis que nous avons la vie devant nous.

Je ne pleure jamais dans la vie quotidienne.

Je pleure silencieusement devant les films, en lisant des livres, en écoutant de la musique. Dans la vie courante, je reste de marbre.
Je me demande de quelle maladie nous souffrons tous les deux."

Quatrième de couverture :
« Depuis, quand on me croise, on compatit. On me touche le coude, on m'effleure le bras, on refoule des larmes, on me dit que c'est bien, que je suis courageux, que ça va aller, hein ? Je ne réponds pas. Je laisse glisser. Je continue d'enchaîner les longueurs dans ma piscine intérieure et je fais attention à ce que le chlore ne rougisse pas mes yeux.»

Avoir vingt-deux ans - et plus aucune attache. Rouler sur les routes californiennes. Vivre des rêves éveillés et des cauchemars diurnes. Comprendre que l'important, désormais, c'est de continuer coûte que coûte. Et de rester vivant.


Mercredi 19 octobre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/riennesopposealanuit-copie-1.jpg
Quatrième de couverture :
Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence.

Encore un article écrit des jours après ma lecture, sur (encore) un livre de la rentrée littéraire où il est question (encore) de famille et de mort.

Et encore une chanson pour illustrer :

(si vous ne voyez pas quel est le rapport entre cette chanson et ce bouquin... eh bien écoutez donc)

Tout d'abord, un grand merci à PriceMinister qui m'a offert ce livre parce que je le vaux bien dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire !

J'aime Delphine de Vigan depuis que j'ai lu No et moi, roman über-chouette qu'elle m'a dédicacé lors de ma première venue au Salon du Livre de Paris il y a trois ans (j'avais osé m'approcher d'elle parce qu'elle était toute seule à son stand et j'avais été extrêmement impressionnée !). que j'ai relu plusieurs fois, et j'ai aussi lu (et relu) Jours sans faim, qui est aussi très bien. [N.B. : elle a aussi écrit Jolis garçons - recueil de nouvelles, Un soir de décembre - que je viens d'emprunter - et Les heures souterraines - que je possède en livre audio mais n'ai toujours pas écouté.]
Si je vous fais cette mini-rétrospective de mon rapport à cet auteur, c'est parce que ça explique en partie mon envie de lire Rien ne s'oppose à la nuit, livre autobiographique où elle parle de sa mère qui s'est suicidée (en photo sur la couverture)... ayant déjà été touchée par sa sensibilité auparavant, j'ai eu envie de me plonger dans celui-ci, après quelques hésitations toutefois, le sujet me semblant très dur, si ce bouquin n'avait pas été signé de Vigan il ne m'aurait peut-être jamais intéressée.

Mon verdict ? J'ai aimé, oui... même si j'ai peut-être préféré les deux autres. No et moi parce qu'il était plus gai, plus léger. Jours sans faim parce que... les livres réussis évoquant l'anorexie ont toujours une place particulière dans mon cœur, je m'identifie énormément à ces héroïnes - alors que je ne suis pas anorexique, mais allez comprendre pourquoi certains livres nous touchent inexplicablement plus que d'autres.... !

Même si cela n'a pas été LA révélation, ce livre est cependant loin de m'avoir laissée indifférente, Rien ne s'oppose à la nuit est un livre fort...  Et on ose à peine le critiquer tant on sent le cœur qu'y a mis l'auteur. Que critiquer vraiment, d'ailleurs ? C'est un livre réussi malgré son sujet casse-gueule - encore un livre sur le deuil, et plus précisément sur le suicide, sujet terrible - comment ne pas aller trop loin dans l'apitoiement et l'horreur ?, un livre qui raconte des histoires de famille, comment intéresser les lecteurs à une histoire touffue et personnelle sans tomber dans l'anecdote people ? Je me méfie généralement des livres qui promettent du trash et de l'authentique, parce que j'ai souvent peur de tomber sur... un témoignage catastrophe qui compte sur son potentiel tire-larmes pour faire oublier son absence totale de style, vous voyez de quel genre de livres je veux parler ? Pis si on s'avise de cracher sur un bouquin de ce type, il va toujours y avoir quelqu'un pour nous traiter de monstre parce qu'on est forcément amputé du myocarde si on a pas été convaincu par cette histoire poignante. Et là vous me répliquerez avec raison : "Oui, mais de toute façon les livres dont tu parles ne prétendent pas être de la littérature...." c'est vrai... mais pas toujours. Et puis n'empêche, je me méfie. A tort cette fois-ci, parce qu'avec Delphine de Vigan bien sûr, on est tranquille, la qualité est au rendez-vous ! (j'espère que je n'aurai jamais à contredire cette phrase...)

Pourquoi ai-je l'air un peu mitigée, alors ?
Ben... je dirais que ce livre a les défauts de ces qualités. A travers l'écriture de cet ouvrage, l'auteur a cherché à comprendre le mal-être de sa mère en retraçant toute sa vie. Et on la suit de très près dans cette entreprise : ce roman n'est pas le résultat policé et artificiel de ses recherches, il ne s'agit pas du tout d'une biographie traditionnelle qui laisserait de côté son narrateur, non, on accompagne au contraire Delphine de Vigan dans son projet, elle nous raconte sa façon d'enquêter (en recueillant notamment des interviews des proches de sa mère), les difficultés traversées au cours de l'écriture de ce livre, les raisons qui la poussent à continuer malgré tout... tout cet aspect nous rend plus proche encore de Delphine, mais d'un autre côté, difficile de s'immerger complètement dans le récit de la vie de sa mère dans ces conditions, on sent toujours une tension entre passé  et présent, la "réalité" décrite (guillemets parce qu'on se rend bien compte de la relativité de cette réalité reconstruite, constituée des souvenirs indirects issus de témoignages, d'interprétations, commentaires personnels...). Tout cela participe à l'inconfort provoqué par cette lecture, inconfort parfois presque pénible - comme il aurait été plus simple de considérer Lucile comme un simple personnage de fiction comme les autres ! on la suivrait plus facilement en prenant finalement son destin moins à cœur... ! - mais qui fait aussi une grande partie de l'originalité et de la force de l’œuvre.

Cette lecture n'est pas non plus exempte de frustrations : il y a ce que l'auteur tait volontairement - la vie commune de ses parents -, et ce qu'elle ne sait pas, ce qu'on ne saura jamais avec certitude, parce qu'on ignore les pensées de Lucile, et parce que certains secrets résistent au temps, surtout ceux que les personnes concernées ont emporté dans leur tombe... et ce roman est aussi une ultime tentative d'accéder enfin à la vérité de cette mère restée bien souvent mystérieuse... tentative qui n'est pas complètement vaine, mais c'est avec peine qu'on voit les limites de ce rapprochement grâce à l'écriture, ce roman est habité par le manque, le flou, les regrets de ne pas pouvoir tout dire parce qu'on ne sait pas tout. Il s'agit d'un roman, mais on sent combien l'auteur a du mal à romancer justement, elle nous fait part de son intention d'être précise et juste, de respecter les faits quand elle les connaît, ce qui est inconnu le restera, les trous ne sont pas comblés artificiellement.
Il reste toutefois beaucoup de matière : la famille Poirier a eu une histoire riche, tout à fait romanesque, avec une récurrence d'évènements tragiques qui nous rappelleraient presque les malédictions familiales zoliennes ! Ce qui m'a surtout frappée, ce sont les réactions des personnages face à tous ces drames : alors que le moindre de ces "problèmes" pourrait faire l'objet d'un roman psychologique, ils n'en font pas tout un plat et continuent d'avancer malgré tout... et en effet, dans la vie, c'est comme ça que ça se passe : quand quelque chose de vraiment grave arrive, on évite généralement de rester bloqué dessus et on essaie au contraire de tourner la page, parce qu'il le faut bien. Cela donne quand même lieu à des passages un peu surréalistes où sont évoqués en 2 lignes des évènements vraiment choquants mais qui ne feront l'objet d'aucune remarque supplémentaire.... et j'admire Delphine de Vigan d'avoir justement été capable de rendre compte de tous ces détails horribles mais vrais (qu'il n'a pas dû être facile de dévoiler pour certains), sans pour autant tomber dans la surenchère en utilisant ces éléments de manière pathétique alors qu'ils n'ont pas été traités comme tels dans les faits !

Le roman est assez long pour qu'on s'attache vraiment aux différents personnages, qui sont nombreux et dont la personnalité se déploie sous les yeux du lecteur au fil des années. Il s'agit des parents de Lucile, Liane et Georges, et de ses frères et soeurs : Lisbeth, Barthélémy, Antonin, Jean-Marc, Milo, Justine, Violette et Tom (si j'ai bien compris, les prénoms ont tous été changés ; eh bien je les trouve particulièrement bien choisis). Au début je craignais de ne pas réussir à m'intéresser vraiment à la destinée de chacun, mais c'est venu et au final, ils m'ont marquée bien plus que je ne l'aurais pensé : ce roman m'a attristée, et même parfois dégoûtée. L'auteur aux prises avec ce passé trouble ne nous épargne ni les évènements les plus durs, ni le récit de sa propre fragilité face à cette histoire lourde à porter. Je lui en ai parfois presque voulu de nous imposer ça, mais au final, malgré / grâce aux allers-retours entre présent et passé et aux manques du récit, qui m'ont gênée mais qui sont évidemment nécessaires à ce roman en affirmant sa singularité, je pense avoir été touchée assez profondément.... (plus d'une semaine que je repousse la rédaction de cet article en me disant que je ne vais pas savoir quoi dire, que j'ai déjà dû oublier bien des choses... mais tout m'est revenu en tête en écrivant, et j'admets que des bribes du roman m'ont hantée chaque jour depuis que je l'ai fini)

[alors finalement, je serais bien incapable de répéter que ce roman m'a déçue. Disons plutôt qu'il est moins facile à digérer que les autres... mais c'est peut-être justement son point fort ?]

Lundi 24 octobre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/amitieamoureuse-copie-1.jpgEncore un livre de la rentrée littéraire (décidément, on ne m'arrête plus !).... mais qui sera cependant rangé dans ma catégorie "romans avant 1960". Amitié amoureuse est en effet la réédition d'un best-seller de 1897.

Quatrième de couverture :
Roman épistolaire, Amitié amoureuse repose sur la correspondance suivie de deux trentenaires : Denise, jeune veuve élevant seule sa fille, et Philippe qui ne semble pas avoir eu de femme dans sa vie. 

De leur rencontre lors d’une soirée très ennuyeuse naîtra une indéfectible amitié. Cinq ans durant, ils ne cesseront de s’écrire, parfois même deux fois par jour. Évidemment, quand l’un se déclare, l’autre le repousse au nom du sentiment qui les unit déjà. Ils cultivent ainsi une relation ambiguë, passant beaucoup de temps ensemble, y compris les vacances. Ils s’essayent à l’amitié, à l’amour, et finalement optent pour un compromis fait de douleur et de tendresse : « Cher, qu’importe de vieillir quand on est deux, si merveilleusement, si amoureusement amis ! »

Derrière Philippe de Luzy et Denise Trémors se cachent Guy de Maupassant et Hermine Oudinot Lecomte du Nouÿ qui, de 1883 à la mort de l’auteur de Bel-Ami en 1893, entretiennent des rapports assez semblables à ceux des protagonistes du roman.


     ... d'après ce que j'ai pu lire sur le net, il n'est en vérité pas absolument certain que Guy de Maupassant et l'auteur de ce roman aient eu une telle correspondance, mais c'est toujours agréable de se l'imaginer (et on comprend bien que l'éditeur mette cet aspect en avant en espérant ainsi attirer des lecteurs admiratifs de Maupassant). Ce roman est dédié à Laure de Maupassant, la femme de Guy... ce qui est d'autant plus savoureux si comme j'aime le penser, Maupassant correspond bien au personnage masculin du roman !

Enfin, qu'il ait vécu une relation de ce genre ou non ne change de toute façon rien à la qualité de ce roman épistolaire, qui m'a enchantée pour deux raisons : d'abord, de manière tout à fait objective, j'ai adoré me plonger dans l'univers d'une correspondance de la fin du XIXème. Suivre la vie assez oisive de ces deux personnages rentiers, rythmée par des obligations mondaines mais aussi, dans le cas de Denise, des plaisirs plus simples que lui procure sa fille, m'a beaucoup plu, surtout parce qu'on sent ici une certaine distance entre les personnages et ce monde : certes ils s'y plaisent, et ont de nombreux amis qu'ils "visitent", mais on sent toutefois une dichotomie entre leur amitié, faite de sincérité et de désir d'intimité, et les relations de sociabilité plus superficielles qu'ils doivent entretenir dans leur entourage pour ne pas être exclus de ce cercle et subir les commérages qu'engendrerait l'amitié exclusive qui se construit progressivement entre eux.

     Comme leur vie est surtout remplie de futilités (ce terme est peut-être trop fort et péjoratif, si j'en trouve un meilleur je le changerai) sur lesquelles eux-mêmes ne s'appesantissent pas, leur amitié - ou plus précisément, les sentiments troubles qui naissent entre eux - occupent, sans surprise, une partie majeure de leur correspondance ; si comme moi vous êtes adeptes des romans psychologiques qui laissent une large place aux moments d'introspection, vous allez probablement vous régaler !

Comme je l'ai déjà dit en évoquant le cadre, ce roman porte vraiment une empreinte "XIXème siècle", ce qui entraîne évidemment des tournures et un vocabulaire particuliers... les personnages expriment leurs sentiments d'une manière qui peut aujourd'hui nous sembler excessive, la récurrence du mot "cœur" par exemple peut amuser, et on tombe aussi de temps à autre sur des mots plus rares (et précieux, dans tous les sens du terme) comme "pococurantisme", "pyrrhonnisme", "jaboter", " saboulé"... personnellement ce genre de style (fleuri mais assez simple pour rester compréhensible) me ravit ! Et plus on creuse, plus on se rend compte que sous ce vernis de mots doux rendus presque banals à force d'être répétés, on peut aussi trouver de véritables sentiments, dont les nuances subtiles et changeantes méritent tout à fait d'être décrites avec le soin que leurs auteurs y apportent. Chaque lettre est courte (240 lettres réunies en moins de 400 pages), ce qui rend la lecture facile et fluide, il y a bien quelques lettres plus "fortes" qui marquent un tournant mais globalement le ton reste léger, et c'est surtout en reliant toutes les lettres entre elles qu'on comprend la nature souvent équivoque de leurs liens.
     L'évolution de leur relation au fil des années est touchante et j'ai souvent craint qu'ils basculent dans un extrême ou dans un autre, je dirais que c'est là que se tient la tension dramatique du roman, qui est du reste assez absente (les fâcheux uniquement amoureux d'actions aventureuses grogneront qu'"il ne se passe rien"). On note quand même des étapes dans leur amitié, qui sont marquées par la division du roman en cinq livres, précédés à chaque fois de quelques citations, les trois quarts du temps de Stendhal (qui a également préfacé l'ouvrage).
   

http://bouquins.cowblog.fr/images/divers/amitieamoureuseitalienne.jpgune édition italienne de 1927 du roman
 

     Seuls (petits) bémols, à lire toutes ces lettres brèves à la suite, on oublie un peu qu'elles s'étalent dans le temps, et ainsi, vers la fin surtout, la succession rapide de sentiments parfois opposés donne une impression d'inconstance plutôt irritante... mais il faut garder en tête le temps qui s'écoule entre chaque lettre pour se rendre compte que tous les revirements décrits dans les lettres ne se font pas en accéléré, mais sont les conséquences du temps qui passe.... (même si personnellement à certains moments je trouve qu'ils vont bien vite quand même !)
    J'ai aussi été régulièrement exaspérée par la représentation de la femme qu'on sent parfois dans l'esprit de nos personnages, plus souvent chez Denise que chez Philippe d'ailleurs : quand elle est faible, elle s'accuse alors d'être "bien femme", et quand elle se montre au contraire forte, Philippe applaudit la "virilité de son caractère".... l'amalgame entre féminité et faiblesse m'a fait fulminer, mais je sais que ça correspond à la mentalité de l'époque... et heureusement, loin de prendre toujours complètement au sérieux cette représentation cliché et insupportable, les personnages jouent avec en l'évoquant parfois avec ironie !

    Pour des raisons personnelles que je ne détaillerai pas ici mais qui sont faciles à deviner (imaginez ce que vous voulez, peu me chaut), cette lecture tombait tout à fait à point pour moi, le thème pouvait être on ne peut plus proche de ce que je vis actuellement, et je me suis donc beaucoup identifiée aux personnages, à Philippe d'abord, puis à Denise dans un deuxième temps (j'avoue ma tendance au bovarysme !). Ce roman m'a tellement parlé qu'il se peut qu'il devienne une de mes bibles. Pour vous donner une idée, sur les 386 pages qu'il comporte, j'ai relevé dans mon carnet pas moins de 38 passages (dont quelques-uns de plusieurs pages) que j'aimerai relire de nombreuses fois, voire connaître par cœur pour certains ! Je m'interdis sur ce sujet d'en dire plus, par peur justement d'en dire trop.
    En tout cas je peux vous recommander cet ouvrage, qui m'a paru plus actuel que bien des romans contemporains que j'ai lus récemment ! Sa lecture m'a été un délice, j'ai souvent souri, et j'ai parfois vraiment été frappée par la justesse de certains propos, comme si ce livre avait été écrit pour moi....

Extraits :
“P.S. : je ne veux pas manquer à mon rôle de femme qui est de mettre les affaires les plus importantes dans un misérable post-scriptum, à la fin d’une lettre pleine de riens.”

Mon ami,
Je suis un peu triste d'être si longtemps sans nouvelles ; cela m'ôte tout courage pour vous envoyer des nôtres.
Vous l'avez éprouvé vous-même : involontairement le silence entraîne à croire qu'on est oublié : la crainte d'être importune achève de couper les ailes à toute pensée désireuse de s'envoler vers l'ami, et on n'écrit pas, et on est triste, et tout cela pourtant n'est qu'un rêve méchant qui hante mal à propos l'esprit inquiet.


Quelles pauvres poupées nous sommes, imaginatives, insatiables, coquettes et tourmentées, sérieuses et légères, insatisfaites toujours ! Notre amitié déjà vieille, quel vent de folie me fait l'agiter, l'animer d'un souffle qui ne peut la rendre ni plus solide ni plus durable ?
Le fond de tout ceci n'est-il pas triste et décevant, et faut-il profaner par une tendresse plus familière cette délicieuse atmosphère d'amour qui m'enivre éperdument et dans laquelle il fait si bon vivre ?
Ah ! toute cette comédie de phrases vous fera-t-elle comprendre mon trouble et mes angoisses ?


http://bouquins.cowblog.fr/images/divers/critiquefigaroamitieamoureuse.jpg
BONUS :

Pour ceux que ça amuserait, je vous invite à lire une critique de l'époque de ce roman : voyez ICI la critique du Figaro du 18 février 1897. (5ème page, 2ème moitié de la deuxième colonne, en zoomant beaucoup on parvient très bien à lire !)

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"Aimer à lire, c'est faire un échange des heures d'ennui que l'on doit avoir en sa vie, contre des heures délicieuses." Montesquieu

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