Si Matilda ne m'avait pas
Et c'est un peu ce que le narrateur dit au final, si on caricature. Mais il ne le dit pas de cette manière suffisante que j'imaginais, non pas du tout. Et les trucs horribles qu'il vit, d'abord on n'a pas envie d'en rire (parce que c'est vrai... ça ne suffit pas toujours comme argument, les témoignages-choc ne m'attirent pas mais ce n'est pas ça non plus), mais ensuite il ne nous appuie pas sur les paupières pour nous faire chouiner, et les siennes restent sèches - ce qui n'en est pas moins douloureux.
Même si les deux situations sont très différentes - Jean-Philippe Blondel se prend tout de plein fouet -, ça parle de famille et de mort et la démarche vis-à-vis du lecteur ne me semble finalement pas très éloignée de celle d'Annie Ernaux dans Une autre fille (ma lecture précédente pour ceux qui ne suivent pas). Jean-Philippe perd sa mère, son frère et son père dans deux accidents de voiture à 4 ans d'écart (je crois), se retrouvant à peu près seul au monde à 22 ans. Ses seules attaches ? Sa petite amie Laure - nouvellement ex au moment du drame - et son meilleur ami Samuel - avec qui est partie sa-nouvellement-ex-petite-amie, vous suivez toujours ?
L'enjeu du bouquin, c'est un peu celui-ci : comment fait-on pour continuer à vivre avec un jeu de cartes aussi merdique ?
On sait bien que le jeune narrateur ne va pas péter les plombs au point de se foutre en l'air, puisqu'il nous écrit tout ça des années après..... pour autant, il est évident que dans une telle situation, plus rien ne coule de source, tout est à faire. La vie est en quelque sorte ramenée à son plus simple appareil, dévêtue de toutes les habitudes qui la construisent en la faisant tenir dans un cadre. Qu'est-ce qui peut alors nous retenir, à quoi se raccrocher ?
La réponse peut sembler incongrue, mais qu'auriez-vous fait à sa place, franchement ? Jean-Philippe va partir en voyage aux USA avec ses deux acolytes, trio ressoudé par la force des choses alors qu'il s'apprêtait à s'émietter, avec pour objectif ultime de visiter Morro Bay, un lieu qu'il connaît seulement de nom grâce à une chanson qu'il écoute en boucle, et que voici :
(je découvre seulement maintenant cette fameuse chanson sans laquelle ce roman n'existerait pas. Amusant de constater que, d'après ce que le narrateur en dit, je ne l'imaginais pas du tout comme ça, je m'étais fait ma propre idée.... on voit bien que ce qui compte, ce n'est pas tant la chanson en elle-même, mais le sens que le personnage lui donne !)
Cette histoire de Morro Bay correspond assez à l'idée que je me fais des micro-perspectives telles qu'elles sont définies dans ma nouvelle préférée, "Voix" d'Antonio Tabucchi (sauf qu'une micro-perspective, normalement c'est petit, simple à faire. Là ça semble un gros morceau, mais quand même, n'est-ce pas a priori une raison de vivre bien mince, quasi-absurde, de rejoindre ce lieu inconnu alors qu'on vient de perdre toute sa famille ???). L'idée, c'est d'avoir un objectif, quel qu'il soit. Et effectivement, partir n'est peut-être pas une mauvaise solution.
Comme vous l'avez compris, ceci n'est pas vraiment une fiction dans la mesure où Jean-Philippe Blondel raconte ce qui lui est réellement arrivé (bon il a peut-être brodé, je n'en sais rien et peu importe, le canevas est là !). C'est donc un récit assez brut où le lecteur doit s'adapter, le road-trip nous est livré tel qu'il s'est passé, il n'est donc pas là pour nous divertir en satisfaisant notre besoin de tourisme par procuration. Ce n'est pas un roman qu'on lit pour voyager aux Etats-Unis, mais pour accompagner l'auteur dans son passé qu'il fait renaître sous nos yeux : les deux points de vue s'entrechoquent, on a à la fois le Jean-Philippe de 22 ans qui se débat comme il peut sans qu'on sache ce qui va advenir de lui, et parfois, la voix de l'écrivain qui nous aide à prendre un peu de recul mais sans qu'on soit bien assuré de la suite... de manière générale, j'ai eu le sentiment de rester collée à l'époque passée quand même : on a aussi beaucoup de flash-backs, de souvenirs de sa famille, les souvenirs d'enfance avec sa mère surtout m'ont touchée.... cela permet bien de cerner de mieux en mieux le personnage, sa vie telle qu'elle a été, et de voir que vraiment, rien n'est simple. Alors les souvenirs sont écrits au présent, les différentes temporalités se superposent en se mélangeant, tout semble plus ou moins hâché, saccadé ; d'un passé bel et bien mort il ne reste que des bribes survivant tant bien que mal dans sa mémoire (quelle responsabilité !), et son présent explosé ne tient plus debout.... pas facile de rattacher les morceaux et de continuer à aller de l'avant au milieu d'un tel cataclysme !
J'ai tout spécialement apprécié l'honnêteté du narrateur qui ne cherche ni à donner une image des défunts plus reluisante que celle qu'il avait vraiment, ni à dorer son propre blason : tantôt il m'a semblé bizarrement froid, tantôt on le voit à nu en pleine souffrance.... pas de logique narrative artificielle derrière, mais la vie, c'est-à-dire les réactions tout aussi vraies qu'invraisemblables que chacun peut expérimenter quand la réalité devient plus folle que la plus grotesque des fictions : chaque chemin est compliqué, et à chacun de faire avec, comme il peut. (et si on est plusieurs pour lutter contre l'horreur, c'est mieux effectivement ! Je pourrais aussi vous parler longuement de l'intérêt que j'ai trouvé à lire son histoire d'amour/amitié avec Samuel et Laure... ce roman m'a vraiment plu pour des raisons diverses, j'applaudis sa richesse dont ma critique ne permet pas vraiment de rendre compte !!!). Si je me laissais aller à une conclusion cliché, je dirais que ce roman est une belle "leçon de courage" ? cela ne serait sûrement pas faux, du courage il n'en est pas dénué ! Mais il n'en fait pas l'étalage et ce n'est certainement pas une leçon - plutôt un encouragement, un livre-médicament qui, sans nous faire la morale, nous aide à relativiser nos malheurs en nous donnant la preuve qu'aucun n'est insurmontable, pourvu qu'on accepte le décalage entre la difficulté des obstacles et la faiblesse de nos moyens, sans pour autant baisser les bras.
Extrait :
Je le sais.
Je crois que je suis le seul à le savoir. (...)
Cela arrive alors que rien ne le laisse présager. Mes parents ont fermé leur porte. Il est deux ou trois heures du matin. Je me réveille parce que quelque chose cloche. Et ce qui cloche, c'est ce son étouffé par l'oreiller. Je feins de dormir.
La seule fois où je me retourne et que je demande ce qui se passe, il ne répond pas. Le lendemain et les semaines suivantes, il m'évite.
Je me dis que j'aurai l'explication plus tard. Je me dis que nous avons la vie devant nous.
Je ne pleure jamais dans la vie quotidienne.
Je pleure silencieusement devant les films, en lisant des livres, en écoutant de la musique. Dans la vie courante, je reste de marbre.
Je me demande de quelle maladie nous souffrons tous les deux."
Quatrième de couverture :
« Depuis, quand on me croise, on compatit. On me touche le coude, on m'effleure le bras, on refoule des larmes, on me dit que c'est bien, que je suis courageux, que ça va aller, hein ? Je ne réponds pas. Je laisse glisser. Je continue d'enchaîner les longueurs dans ma piscine intérieure et je fais attention à ce que le chlore ne rougisse pas mes yeux.»
Avoir vingt-deux ans - et plus aucune attache. Rouler sur les routes californiennes. Vivre des rêves éveillés et des cauchemars diurnes. Comprendre que l'important, désormais, c'est de continuer coûte que coûte. Et de rester vivant.