Mercredi 19 octobre 2011

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Quatrième de couverture :
Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence.

Encore un article écrit des jours après ma lecture, sur (encore) un livre de la rentrée littéraire où il est question (encore) de famille et de mort.

Et encore une chanson pour illustrer :

(si vous ne voyez pas quel est le rapport entre cette chanson et ce bouquin... eh bien écoutez donc)

Tout d'abord, un grand merci à PriceMinister qui m'a offert ce livre parce que je le vaux bien dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire !

J'aime Delphine de Vigan depuis que j'ai lu No et moi, roman über-chouette qu'elle m'a dédicacé lors de ma première venue au Salon du Livre de Paris il y a trois ans (j'avais osé m'approcher d'elle parce qu'elle était toute seule à son stand et j'avais été extrêmement impressionnée !). que j'ai relu plusieurs fois, et j'ai aussi lu (et relu) Jours sans faim, qui est aussi très bien. [N.B. : elle a aussi écrit Jolis garçons - recueil de nouvelles, Un soir de décembre - que je viens d'emprunter - et Les heures souterraines - que je possède en livre audio mais n'ai toujours pas écouté.]
Si je vous fais cette mini-rétrospective de mon rapport à cet auteur, c'est parce que ça explique en partie mon envie de lire Rien ne s'oppose à la nuit, livre autobiographique où elle parle de sa mère qui s'est suicidée (en photo sur la couverture)... ayant déjà été touchée par sa sensibilité auparavant, j'ai eu envie de me plonger dans celui-ci, après quelques hésitations toutefois, le sujet me semblant très dur, si ce bouquin n'avait pas été signé de Vigan il ne m'aurait peut-être jamais intéressée.

Mon verdict ? J'ai aimé, oui... même si j'ai peut-être préféré les deux autres. No et moi parce qu'il était plus gai, plus léger. Jours sans faim parce que... les livres réussis évoquant l'anorexie ont toujours une place particulière dans mon cœur, je m'identifie énormément à ces héroïnes - alors que je ne suis pas anorexique, mais allez comprendre pourquoi certains livres nous touchent inexplicablement plus que d'autres.... !

Même si cela n'a pas été LA révélation, ce livre est cependant loin de m'avoir laissée indifférente, Rien ne s'oppose à la nuit est un livre fort...  Et on ose à peine le critiquer tant on sent le cœur qu'y a mis l'auteur. Que critiquer vraiment, d'ailleurs ? C'est un livre réussi malgré son sujet casse-gueule - encore un livre sur le deuil, et plus précisément sur le suicide, sujet terrible - comment ne pas aller trop loin dans l'apitoiement et l'horreur ?, un livre qui raconte des histoires de famille, comment intéresser les lecteurs à une histoire touffue et personnelle sans tomber dans l'anecdote people ? Je me méfie généralement des livres qui promettent du trash et de l'authentique, parce que j'ai souvent peur de tomber sur... un témoignage catastrophe qui compte sur son potentiel tire-larmes pour faire oublier son absence totale de style, vous voyez de quel genre de livres je veux parler ? Pis si on s'avise de cracher sur un bouquin de ce type, il va toujours y avoir quelqu'un pour nous traiter de monstre parce qu'on est forcément amputé du myocarde si on a pas été convaincu par cette histoire poignante. Et là vous me répliquerez avec raison : "Oui, mais de toute façon les livres dont tu parles ne prétendent pas être de la littérature...." c'est vrai... mais pas toujours. Et puis n'empêche, je me méfie. A tort cette fois-ci, parce qu'avec Delphine de Vigan bien sûr, on est tranquille, la qualité est au rendez-vous ! (j'espère que je n'aurai jamais à contredire cette phrase...)

Pourquoi ai-je l'air un peu mitigée, alors ?
Ben... je dirais que ce livre a les défauts de ces qualités. A travers l'écriture de cet ouvrage, l'auteur a cherché à comprendre le mal-être de sa mère en retraçant toute sa vie. Et on la suit de très près dans cette entreprise : ce roman n'est pas le résultat policé et artificiel de ses recherches, il ne s'agit pas du tout d'une biographie traditionnelle qui laisserait de côté son narrateur, non, on accompagne au contraire Delphine de Vigan dans son projet, elle nous raconte sa façon d'enquêter (en recueillant notamment des interviews des proches de sa mère), les difficultés traversées au cours de l'écriture de ce livre, les raisons qui la poussent à continuer malgré tout... tout cet aspect nous rend plus proche encore de Delphine, mais d'un autre côté, difficile de s'immerger complètement dans le récit de la vie de sa mère dans ces conditions, on sent toujours une tension entre passé  et présent, la "réalité" décrite (guillemets parce qu'on se rend bien compte de la relativité de cette réalité reconstruite, constituée des souvenirs indirects issus de témoignages, d'interprétations, commentaires personnels...). Tout cela participe à l'inconfort provoqué par cette lecture, inconfort parfois presque pénible - comme il aurait été plus simple de considérer Lucile comme un simple personnage de fiction comme les autres ! on la suivrait plus facilement en prenant finalement son destin moins à cœur... ! - mais qui fait aussi une grande partie de l'originalité et de la force de l’œuvre.

Cette lecture n'est pas non plus exempte de frustrations : il y a ce que l'auteur tait volontairement - la vie commune de ses parents -, et ce qu'elle ne sait pas, ce qu'on ne saura jamais avec certitude, parce qu'on ignore les pensées de Lucile, et parce que certains secrets résistent au temps, surtout ceux que les personnes concernées ont emporté dans leur tombe... et ce roman est aussi une ultime tentative d'accéder enfin à la vérité de cette mère restée bien souvent mystérieuse... tentative qui n'est pas complètement vaine, mais c'est avec peine qu'on voit les limites de ce rapprochement grâce à l'écriture, ce roman est habité par le manque, le flou, les regrets de ne pas pouvoir tout dire parce qu'on ne sait pas tout. Il s'agit d'un roman, mais on sent combien l'auteur a du mal à romancer justement, elle nous fait part de son intention d'être précise et juste, de respecter les faits quand elle les connaît, ce qui est inconnu le restera, les trous ne sont pas comblés artificiellement.
Il reste toutefois beaucoup de matière : la famille Poirier a eu une histoire riche, tout à fait romanesque, avec une récurrence d'évènements tragiques qui nous rappelleraient presque les malédictions familiales zoliennes ! Ce qui m'a surtout frappée, ce sont les réactions des personnages face à tous ces drames : alors que le moindre de ces "problèmes" pourrait faire l'objet d'un roman psychologique, ils n'en font pas tout un plat et continuent d'avancer malgré tout... et en effet, dans la vie, c'est comme ça que ça se passe : quand quelque chose de vraiment grave arrive, on évite généralement de rester bloqué dessus et on essaie au contraire de tourner la page, parce qu'il le faut bien. Cela donne quand même lieu à des passages un peu surréalistes où sont évoqués en 2 lignes des évènements vraiment choquants mais qui ne feront l'objet d'aucune remarque supplémentaire.... et j'admire Delphine de Vigan d'avoir justement été capable de rendre compte de tous ces détails horribles mais vrais (qu'il n'a pas dû être facile de dévoiler pour certains), sans pour autant tomber dans la surenchère en utilisant ces éléments de manière pathétique alors qu'ils n'ont pas été traités comme tels dans les faits !

Le roman est assez long pour qu'on s'attache vraiment aux différents personnages, qui sont nombreux et dont la personnalité se déploie sous les yeux du lecteur au fil des années. Il s'agit des parents de Lucile, Liane et Georges, et de ses frères et soeurs : Lisbeth, Barthélémy, Antonin, Jean-Marc, Milo, Justine, Violette et Tom (si j'ai bien compris, les prénoms ont tous été changés ; eh bien je les trouve particulièrement bien choisis). Au début je craignais de ne pas réussir à m'intéresser vraiment à la destinée de chacun, mais c'est venu et au final, ils m'ont marquée bien plus que je ne l'aurais pensé : ce roman m'a attristée, et même parfois dégoûtée. L'auteur aux prises avec ce passé trouble ne nous épargne ni les évènements les plus durs, ni le récit de sa propre fragilité face à cette histoire lourde à porter. Je lui en ai parfois presque voulu de nous imposer ça, mais au final, malgré / grâce aux allers-retours entre présent et passé et aux manques du récit, qui m'ont gênée mais qui sont évidemment nécessaires à ce roman en affirmant sa singularité, je pense avoir été touchée assez profondément.... (plus d'une semaine que je repousse la rédaction de cet article en me disant que je ne vais pas savoir quoi dire, que j'ai déjà dû oublier bien des choses... mais tout m'est revenu en tête en écrivant, et j'admets que des bribes du roman m'ont hantée chaque jour depuis que je l'ai fini)

[alors finalement, je serais bien incapable de répéter que ce roman m'a déçue. Disons plutôt qu'il est moins facile à digérer que les autres... mais c'est peut-être justement son point fort ?]
Par Emily alias enlivrons-nous le Jeudi 20 octobre 2011
Excellente ta critique MeL ! Sur bien des points, je crois qu'elle rejoint ce que j'en ai pensé (moi aussi, finalement je laisse traîner, décanter même avant de faire ma critique, car c'est tellement vaste !)...Cela m'a donné envie de lire ce qu'a écrit De Vigan avant, ce livre m'a rendu humain un auteur que je voyais comme un monstre commercial. bref, merci encore de me l'avoir prêté !
 

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