Quatrième de couverture / extrait : "Comment s'était formée cette rue flottante ? Quels marins, avec l'aide de quels architectes, l'avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d'un gouffre de six mille mètres ? Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu'elles prenaient une teinte gris-de-France, ces toits d'ardoise, de tuile, ces humbles boutiques immuables ? Et ce clocher très ajouré ? Et ceci qui ne contenait que de l'eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson ?"
Liste des nouvelles : L'enfant de la haute mer / Le bœuf et l'âne de la crèche / L'inconnue de la Seine / Les boiteux du ciel / Rani / La jeune fille à la voix de violon / Les suites d'une course / La piste à la mare
Mon avis : Je n'avais jamais entendu parler de ce livre avant de voir le film La Tête en Friche (et j'ai dû entendre le nom de cet auteur une fois à la fac, mais c'est tout). En sortant du cinéma, je suis allée chez mon bouquiniste et là, contre toute attente... j'y ai trouvé ce livre ! J'ai ensuite appris que Matilda organisait un challenge autour des livres évoqués dans le film, je m'y suis donc inscrite ^^ Voilà pour la petite histoire.
Le héros de chacune de ces nouvelles/contes est un personnage à l'écart, soit parce que quelque chose le rend marginal, soit parce qu'il est très seul. J'ai surtout aimé les nouvelles qui parlent indirectement de la mort (il y en a trois), c'est très imaginatif et cela donne de la mort une image onirique, le style est (relativement) simple, mais poétique, et nous emporte un autre monde. Toutes les nouvelles, d'une façon ou d'une autre, ont un côté fantastique plus ou moins prononcé, nous invite à voir les choses autrement... "Le boeuf et l'âne de la crèche" par exemple nous fait revivre la Nativité en s'intéressant au point de vue de l'âne et surtout du bœuf de l'étable. Une façon ludique et très originale d'évoquer cet épisode biblique ! Et le tout est empreint de douceur, je ne suis pas croyante et j'avais donc peur que cette nouvelle me barbe à cause de son sujet (mon rapport à la religion n'est pas simple, tantôt elle m'agace, tantôt elle me fascine) mais ça n'a pas été le cas, j'ai beaucoup aimé !
Mais ma nouvelle préférée est sans hésiter la nouvelle éponyme : cette "Enfant de la haute mer" est coincée dans une ville fantômatique et perdue au beau milieu de l'Océan ; sa solitude, le fait qu'elle se sente responsable d'un monde autonome, son innocence m'ont fait beaucoup penser au personnage du Petit Prince ! Je ne m'attendais pas à la fin (c'est une bonne chose que cette nouvelle soit la première du recueil, si je l'avais lue après elle m'aurait peut-être moins surprise) et elle m'a émue.
L'intrigue de "L'inconnue de la Seine" se déroule également en milieu aquatique, mais nous plonge cette fois-ci sous la mer, là où tous les noyés qui ne veulent pas remonter à la surface continuent à mener une drôle d'existence : même si les valeurs ne sont pas forcément les mêmes que dans le monde des vivants, l'instinct grégaire y est toujours présent, et notre héroïne va comprendre que même dans cet autre monde, la liberté ne va pas de soi et doit être acquise. Une nouvelle assez triste, en fait... le thème des "boiteux du ciel" est similaire mais nous emmène dans les airs, et la fin est plus optimiste.
Les autres nouvelles sont moins liées à la mort mais parlent aussi du rapport à l'autre : peut-on être libre tout en vivant en harmonie dans un groupe ? nos différences sont-elles un atout ou un handicap ? Ces nouvelles ("La jeune fille à la voix de violon" ; "Rani", qui nous raconte l'histoire d'un amérindien, et "les suites d'une course" dans laquelle un homme a des... problèmes d'identité) m'ont moins touchée, je ne saurais pas trop dire pourquoi... même si le registre fantastique est toujours là, je les ai trouvées moins profondément fantaisistes, j'ai été moins "embarquée" dans l'imagination de l'auteur. La dernière nouvelle, "La piste à la mare" aurait très bien pu aussi ne me plaire que moyennement mais j'adore la chute, qui change un peu tout, et c'est cette note déjantée finale qui manque à mon avis aux trois nouvelles que j'ai le moins aimé. Un recueil que j'ai trouvé donc un peu inégal, mais j'ai tellement aimé les quatre premières nouvelles que mon avis général reste très positif et me donne envie de m'intéresser de plus près à l'œuvre de Supervielle !
Bonus : j'ai découvert d'où venait précisément le logo du challenge La Tête en Friche ! Elle vient du court-métrage fait à partir du conte L'Enfant de la haute-mer ! J'ai apprécié l'ambiance générale du court-métrage, les paroles, peu nombreuses, sont des extraits fidèles du texte de Supervielle. Je regrette un peu que certains passages qui me semblaient importants dans la nouvelle pour comprendre la situation (et surtout la fin, qui est magnifique et éclaire tout le reste !) soient absents, mais ça reste une jolie vidéo. Cliquez pour visionner le court-métrage.
Bonus n°2 : j'allais oublier ! Pour le Challenge La Tête en Friche, on doit donner la définition d'un mot qu'on ne connaissait pas et que le livre nous a appris. Mon mot : Cacique, n. m. : ancien chef amérindien d'Amérique centrale.
Mais en fait, évidement que je le connaissais ce mot : un cacique (à prononcer avec l'accent :p) en espagnol, c'est un tyran …