[ Coup de coeur ]
Quatrième de couverture : Félix et Marie forment un jeune couple à qui la vie sourit... jusqu'à ce qu'ils se retrouvent soudain confrontés à la mort. Félix apprend de la bouche d'un éminent spécialiste que ses jours sont comptés. Il va d'abord s'efforcer de faire bonne figure, se prétendre de taille à affronter en philosophe un destin cruel, tout en souhaitant le bonheur de sa compagne. Bientôt, pourtant, le masque stoïque se fissure. A mesure qu'approche l'issue fatale, Félix ne veut plus admettre que Marie puisse jouir de la vie après sa disparition et lui demande de mourir avec lui. Entre l'amour et la mort, la jeune femme devra choisir...
Mon avis : ce livre confirme amplement mon admiration pour Schnitzler, que je citerai désormais quand on me demandera quels sont mes auteurs préférés (j'avais déjà lu Mademoiselle Else et La nouvelle rêvée, et c'est un article dans Muze qui m'avait donné envie de lire ce livre-ci.)
Cette longue nouvelle (150 pages) est écrite à la première personne, mais de façon habile on arrive à connaître successivement les pensées de Félix, et celles de Marie. Au début, le style m'a un peu déçue, les dialogues entre les héros (juste avant que Félix ne révèle à Marie qu'il ne lui reste plus qu'un an à vivre) m'ont semblé plats, j'ai trouvé qu'ils semblaient un peu artificiels, qu'ils sonnaient faux... mais en poursuivant ma lecture j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'une maladresse de l'auteur, qui a un style très maîtrisé par la suite, surtout pour les monologues intérieurs qui sont excellents ; cette fausseté des dialogues dès le début nous montre déjà que ce couple n'est pas si uni, si sincère que cela, chacun a une partie de lui-même qu'il cherche à cacher à l'autre, et leur "grand amour" est à moitié en toc.... c'est une histoire cruelle, je n'ai pas réussi à ressentir vraiment de sympathie pour Félix, qui ne cesse de se contredire, et est égoïste du début à la fin ; j'ai un peu plus de pitié pour Marie, qui assiste à l'agonie de son compagnon et est déchirée par la culpabilité, entre son amour et sa joie de vivre... Félix et Marie, ça pourrait être n'importe qui, leurs réactions n'ont rien d'héroïque, elles sont simplement réalistes, terriblement humaines !
En suivant le parcours des deux personnages, on a un aperçu des différentes façons d'envisager la vie, l'amour, la mort, trois notions qui obsèdent le couple, qui ne parviendra pas à faire semblant, à jouer la comédie jusqu'au bout, tout finira aussi mal qu'on aurait pu l'attendre ; et la fin, qui était inévitable, nous laisse pourtant désemparé : qu'en penser ? qu'aurions-nous fait à leur place ?... ces questions modèrent les grandes idées éthérées et "romantiques" qu'on peut avoir sur l'amour et nous peuvent nous remettre à notre place je pense, en nous montrant crûment la laideur que peut revêtir tout cela en réalité... je sors triste mais éblouie de cette lecture.
Extraits :
"Il lui fallait d'abord lutter pour parvenir à un mépris total de la vie, et alors, envisageant calmement le silence de l'éternité, il rédigerait en sage ses dernières volontés. Voilà ce qu'il voulait. Mais pas de ces dernières volontés comme les écrivent les individus vulgaires, textes qui révèlent toujours la crainte secrète de la mort. Les siennes devraient être un poème, un adieu tranquille et souriant au monde surmonté. Il ne parla pas à Marie de cette pensée. Elle ne l'aurait pas compris. (...) Le sentiment de sa supériorité s'affirmait en considérant tout ce qu'il pouvait lui cacher. Sa solitude croissait, et sa grandeur." (p. 45)
[à propos des philosophes] "Ces messieurs-là - il désigna des yeux le volume posé sur la couverture - sont de méprisables poseurs. (...) Mépriser l'existence quand on jouit d'une santé de fer, et regarder calmement la mort en face quand on voyage pour son plaisir en Italie et qu'autour de vous la vie resplendit de toutes ses couleurs, j'appelle tout simplement cela de la pose. Qu'on enferme ce monsieur dans une chambre, qu'on le condamne à la fièvre, à la suffocation, et qu'on lui dise : "Vous serez enterré entre le 1er janvier et le 1er février de l'année prochaine", on verra alors quels discours philosophiques il vous tiendra..." (p. 93)