Quatrième de couverture : “Je préférerais ne pas” : telle est la réponse, invariable et d’une douceur irrévocable qu’oppose Bartleby, modeste commis aux écritures dans un cabinet de Wall Street, à toute demande qui lui est faite. Cette résistance absolue, incompréhensible pour les autres, le conduira peu à peu à l’isolement le plus total.
Bartleby, s’il n’a pas l’ampleur de Moby Dick et Pierre ou les ambigüités compte pourtant parmi les écrits les plus importants d’Herman Melville (1819-1891). Les thèmes existentiels de ses romans d’aventures y sont transposés, avec une tension comparable, dans la simple histoire de la vie d’un employé.
Ce texte bref, mais aux significations inépuisables, a exercé une fascination durable sur des écrivains et philosophes comme Maurice Blanchot, Georges Bataille, Michel Foucault ou Gilles Deleuze.
Mon avis : cette nouvelle m'a été conseillée par Ludo, qui m'a rappelé qu'elle a inspiré Georges Perec pour Un homme qui dort (qui est un de mes livres fétiches, on ne le dira jamais assez). On note en effet chez les deux personnages le même refus de jouer le jeu de la vie en société (de la vie tout court pourrait-on dire si on considère comme "la vie" l'état d'esprit commun à tous qui consiste à penser qu'on doit faire quelque chose de notre existence, l'animer par des activités, interagir un minimum avec nos congénères etc...)
Je ne m'attendais pas néanmoins à ce que les deux œuvres soient si différentes ! Ce n'est pas un reproche, j'ai bien aimé Bartleby (mais en effet, mon admiration pour Un homme qui dort est bien supérieure), mais malgré leurs grandes similitudes, par certains aspects elles m'ont semblé inverses : dans Un homme qui dort, bien que le récit soit à la deuxième personne du singulier, on a le point de vue interne de notre rebelle indifférent à tout... il ne prend pas vraiment en compte la présence des autres, ou plutôt, il les observe mais ces passants sont plus examinés comme des objets que comme des personnages avec qui il pourrait communiquer par exemple. Il est donc physiquement (et mentalement bien sûr) seul, et il ne travaille pas (son état commence même par le fait qu'il ne se rende pas à un examen).
Dans la nouvelle de Melville, c'est assez différent : le récit est à la première personne du singulier, mais le narrateur est celui qui sera le patron de Bartleby, et non pas Bartleby lui-même.... on a donc un point de vue extérieur sur son comportement, et il n'est pas physiquement isolé du reste du monde, puisque (pendant un certain temps du moins) il travaille. J'ai d'abord été un peu déçue quand j'ai compris qu'on ne connaîtrait jamais ses pensées : Bartleby est un personnage bien plus impénétrable que mon homme qui dort... mais d'un autre côté, avoir le point de vue d'un personnage extérieur est intéressant, et on ne l'a pas du tout dans l'oeuvre de Perec. Les fins des deux œuvres sont aussi diamétralement opposées ! Dans un certains sens, même si Bartleby semble au premier abord plus "normal", moins déconnecté du monde parce qu'il travaille, on s'aperçoit peu à peu qu'il est un personnage encore plus radical, qu'il va encore plus loin ; on peut se sentir complice du héros de Perec, se reconnaître en lui, le comprendre intimement, tandis que Bartleby reste inaccessible, le lecteur n'est pas plus avancé, pas plus proche de lui que ne le sont les gens qui le côtoient.
Comme toute notre connaissance du personnage de Bartleby nous est transmise par le témoignage d'un personnage, j'avais aussi un peu peur que ce personnage soit trop fermé, qu'il ne cherche pas du tout à comprendre Bartleby, mais le narrateur qui nous est proposé est au contraire lucide et sympathique ! Son ton est toujours clair, j'ai aimé la présentation qu'il fait de son bureau et de ses employés avant d'introduire le personnage qui nous intéresse le plus. Ses deux collègues principaux, Dindon et Lagrinche, sont dépeints avec humour, et même s'ils ne sont pas forcément très crédibles (le premier est calme et efficace le matin, nerveux et fatigant l'après-midi, quand à l'autre... c'est l'exact inverse bien sûr), il forme un duo remuant comique qui constrastera évidemment beaucoup avec le comportement immuable de Bartleby.
Etant donné sa fonction, on pourrait s'attendre à ce que le narrateur soit autoritaire et sans indulgence... mais ce drôle de patron va au contraire faire preuve de beaucoup de compréhension (il va essayer en tout cas), et même si cet incroyable Bartleby va rapidement le gêner, il sera le seul à avoir de la compassion à son égard, et se sentira même responsable de lui. A la fin, j'ai même eu plus pitié de notre pauvre narrateur que de Bartleby : Bartleby est un personnage assez grandiose, tragique même, et même si ça n'est pas développé, je pense que le narrateur se sent un minimum coupable de ce qui lui arrivera... culpabilité pourtant injuste car il le personnage le plus méritant, le plus humain, et si on devait juger Bartleby sévèrement, on pourrait en venir à la conclusion que son comportement n'est peut-être que l'expression d'une folie et d'un égoïsme hors du commun, et le narrateur était de toute façon impuissant face à un tel phénomène ! Bartleby est en réalité un personnage effrayant et déprimant car il met en évidence la vanité naturelle de notre condition humaine en nous faisant prendre conscience de la futilité de toute notre agitation, qui de toute façon nous mènera tous à la même fin.
Bartleby, s’il n’a pas l’ampleur de Moby Dick et Pierre ou les ambigüités compte pourtant parmi les écrits les plus importants d’Herman Melville (1819-1891). Les thèmes existentiels de ses romans d’aventures y sont transposés, avec une tension comparable, dans la simple histoire de la vie d’un employé.
Ce texte bref, mais aux significations inépuisables, a exercé une fascination durable sur des écrivains et philosophes comme Maurice Blanchot, Georges Bataille, Michel Foucault ou Gilles Deleuze.
Mon avis : cette nouvelle m'a été conseillée par Ludo, qui m'a rappelé qu'elle a inspiré Georges Perec pour Un homme qui dort (qui est un de mes livres fétiches, on ne le dira jamais assez). On note en effet chez les deux personnages le même refus de jouer le jeu de la vie en société (de la vie tout court pourrait-on dire si on considère comme "la vie" l'état d'esprit commun à tous qui consiste à penser qu'on doit faire quelque chose de notre existence, l'animer par des activités, interagir un minimum avec nos congénères etc...)
Je ne m'attendais pas néanmoins à ce que les deux œuvres soient si différentes ! Ce n'est pas un reproche, j'ai bien aimé Bartleby (mais en effet, mon admiration pour Un homme qui dort est bien supérieure), mais malgré leurs grandes similitudes, par certains aspects elles m'ont semblé inverses : dans Un homme qui dort, bien que le récit soit à la deuxième personne du singulier, on a le point de vue interne de notre rebelle indifférent à tout... il ne prend pas vraiment en compte la présence des autres, ou plutôt, il les observe mais ces passants sont plus examinés comme des objets que comme des personnages avec qui il pourrait communiquer par exemple. Il est donc physiquement (et mentalement bien sûr) seul, et il ne travaille pas (son état commence même par le fait qu'il ne se rende pas à un examen).
Dans la nouvelle de Melville, c'est assez différent : le récit est à la première personne du singulier, mais le narrateur est celui qui sera le patron de Bartleby, et non pas Bartleby lui-même.... on a donc un point de vue extérieur sur son comportement, et il n'est pas physiquement isolé du reste du monde, puisque (pendant un certain temps du moins) il travaille. J'ai d'abord été un peu déçue quand j'ai compris qu'on ne connaîtrait jamais ses pensées : Bartleby est un personnage bien plus impénétrable que mon homme qui dort... mais d'un autre côté, avoir le point de vue d'un personnage extérieur est intéressant, et on ne l'a pas du tout dans l'oeuvre de Perec. Les fins des deux œuvres sont aussi diamétralement opposées ! Dans un certains sens, même si Bartleby semble au premier abord plus "normal", moins déconnecté du monde parce qu'il travaille, on s'aperçoit peu à peu qu'il est un personnage encore plus radical, qu'il va encore plus loin ; on peut se sentir complice du héros de Perec, se reconnaître en lui, le comprendre intimement, tandis que Bartleby reste inaccessible, le lecteur n'est pas plus avancé, pas plus proche de lui que ne le sont les gens qui le côtoient.
Comme toute notre connaissance du personnage de Bartleby nous est transmise par le témoignage d'un personnage, j'avais aussi un peu peur que ce personnage soit trop fermé, qu'il ne cherche pas du tout à comprendre Bartleby, mais le narrateur qui nous est proposé est au contraire lucide et sympathique ! Son ton est toujours clair, j'ai aimé la présentation qu'il fait de son bureau et de ses employés avant d'introduire le personnage qui nous intéresse le plus. Ses deux collègues principaux, Dindon et Lagrinche, sont dépeints avec humour, et même s'ils ne sont pas forcément très crédibles (le premier est calme et efficace le matin, nerveux et fatigant l'après-midi, quand à l'autre... c'est l'exact inverse bien sûr), il forme un duo remuant comique qui constrastera évidemment beaucoup avec le comportement immuable de Bartleby.
Etant donné sa fonction, on pourrait s'attendre à ce que le narrateur soit autoritaire et sans indulgence... mais ce drôle de patron va au contraire faire preuve de beaucoup de compréhension (il va essayer en tout cas), et même si cet incroyable Bartleby va rapidement le gêner, il sera le seul à avoir de la compassion à son égard, et se sentira même responsable de lui. A la fin, j'ai même eu plus pitié de notre pauvre narrateur que de Bartleby : Bartleby est un personnage assez grandiose, tragique même, et même si ça n'est pas développé, je pense que le narrateur se sent un minimum coupable de ce qui lui arrivera... culpabilité pourtant injuste car il le personnage le plus méritant, le plus humain, et si on devait juger Bartleby sévèrement, on pourrait en venir à la conclusion que son comportement n'est peut-être que l'expression d'une folie et d'un égoïsme hors du commun, et le narrateur était de toute façon impuissant face à un tel phénomène ! Bartleby est en réalité un personnage effrayant et déprimant car il met en évidence la vanité naturelle de notre condition humaine en nous faisant prendre conscience de la futilité de toute notre agitation, qui de toute façon nous mènera tous à la même fin.