Mercredi 7 juillet 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lesenfantsterribles.gifCHALLENGE ABC 2010, 14ème livre lu ♦

Quatrième de couverture : A la sortie du lycée Condorcet, Paul est terrassé par une boule de neige lancée par son idole, Dargelos, le coq du collège.
Trop faible ; il n'ira plus en classe, sa sœur le soignera dans leur chambre, navire imaginaire qui, tous les soirs, appareille pour des contrées lointaines. Ni Gérard qui aime Elisabeth, ni Agathe qui aime Paul n'empêcheront le frère et la sœur de s'adorer et se déchirer. Cette œuvre clef de Jean Cocteau est un conte fantastique, un roman de poète dont le récit devient chant. La chambre est un sanctuaire où l'on célèbre un culte à l'amour et à la mort.
Il y a une prêtresse, il y a un trésor, il y a des victimes sacrifiées. Il y a envoûtement et malédiction.

Mon avis : un livre au style étrange, différent de ce que j'ai eu l'occasion de lire ces derniers temps, et un style qui sort de l'ordinaire, c'est toujours une bouffée d'air que je respire à pleins poumons. J'ai lu ce petit livre en deux jours, seulement dans des moments volés, bus, tram, dans un parc en attendant mon train... il faut savoir que je n'ai pas (plus) du tout l'habitude de grapiller des moments de lecture, j'aime en général lire plusieurs heures d'affilée, lire un livre d'une seule traite.... lire dix minutes par-ci par-là, ce n'est pas mon truc, mais j'aimerais justement réapprendre à lire de cette façon, cela me serait bien utile. Là au début ce n'était pas du tout évident, car même si l'intrigue est plutôt facile à suivre (fans de livres d'action et rien d'autre, vous risquez de vous ennuyer), il faut plonger dans une atmosphère particulière, tout est très imagé, au début par exemple une petite bataille de collégiens est présentée comme une guerre d'importance mêlant des héros... on retrouve cette façon décalée, poétique de voir les choses dans tout le livre. Dans la première partie surtout (il y en a deux).

Suite à un accident qui semblait pourtant bénin, Paul se retrouve alité, et commence alors pour lui,  son ami Gérard et sa sœur une vie oisive mais sans ennui qui va durer plusieurs années.... leur rythme de vie bizarre, leurs jeux qui consistent à s'extraire du monde, ce qu'ils considèrent comme leurs trésors, tout cela m'a fascinée. Les enfants sont livrés à eux-mêmes tout en étant entretenus par quelques adultes (dont on saura très peu de choses), et j'avouerai que j'ai envié leur situation ^^ ! Un autre personnage viendra les rejoindre dans "la chambre", et cette chambre, qu'ils essaieront toujours de reconstituer même quand ils la quitteront, est très importante, elle est considérée comme un temple. La prêtresse dont la quatrième de couverture parle, c'est Elisabeth, la soeur de Paul. Tous deux ont une relation unique, fusionnelle et ambigüe.

Dans la deuxième partie, nos personnages continuent leur vie immobile, même si quelques changements ont eu lieu.... dans cette partie, c'est la fin de leur âge d'or, de leur innocence, les personnages unis jusqu'ici vont se monter les uns contre les autres, des sentiments viennent tout compliquer, et finalement ce qui semblait être un conte éthéré tourne à la tragédie... la tendresse turbulente du début ne laissait pas présager une telle violence, et finalement je suis sortie de ce livre un peu étourdie et confuse. Deux ou trois descriptions m'ont paru un peu longues (enfin, elles ne sont pas tellement longues, mais vu le style parfois un peu étonnant, je les ai trouvées un peu trop abstraites - et souvenez-vous des circonstances de ma lecture, être pleinement concentrée n'était pas toujours aisé), mais en-dehors de cette minuscule réserve, j'ai trouvé ce livre magique, je me suis souvent arrêtée par plaisir, pour relire une phrase. Maintenant, j'aimerais bien voir le film...

Extraits :

"Il est de ces maisons, de ces existences qui stupéfieraient les personnes raisonnables. Elles ne comprendraient pas qu'un désordre qui semble à peine devoir continuer quinze jours puisse tenir plusieurs années. Or ces maisons, ces existences problématiques se maintiennent bel et bien, nombreuses, illégales, contre toute attente. Mais, où la raison n'aurait pas tort, c'est que si la force des choses est une force, elle les précipite vers la chute.
   Les êtres singuliers et leurs actes asociaux sont le charme d'un monde pluriel qui les expulse. On s'angoisse de la vitesse acquise par le cyclone où respirent ces âmes tragiques et légères. Cela débute par des enfantillages ; on n'y voit d'abord que des jeux."

"Projets d'avenir, études, places, démarches ne les préoccupaient pas davantage que garder les moutons ne tente un chien de luxe."

Lundi 12 juillet 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/TessdUrberville.jpg[ CHALLENGE ABC 2009, lettre H - 25ème livre lu ]
[ Matilda's Contest ]

Quatrième de couverture : Un grand classique anglais où la fatalité mène le jeu en dehors de toute morale, de tout préjugé social. Cette force aveugle, présente à chaque instant, couvre de son ombre le visage de Tess, héroïne et victime désignée. Réalisme et poésie se côtoient. Thomas Hardy dépeint admirablement la nature et la vie des paysans en cette fin de XIXème siècle. Les paysages du Wessex qu'il sait si bien décrire offrent un admirable cadre, parfois riant, parfois âpre, à cette fresque victorienne. Les personnages se détachent, scrutés jusqu'à l'âme, sur ce décor brossé avec tendresse.

Paru en 1891, Tess d'Urberville a inspiré à Roman Polanski, presque cent ans plus tard, l'un de ses plus beaux films.

Mon avis : Tiens, je ne m'attendais pas à une histoire de ce genre. J'avais bien pris garde de ne pas lire de résumé pour ne pas gâcher ma lecture (et j'ai snobé la quatrième de couverture. Quand il s'agit de "grands classiques", je me méfie, les éditeurs - et les profs, mais c'est une autre histoire -  souvent ne se gênent pas pour raconter la fin, ils s'imaginent sans doute que les romans qu'ils rééditent sont universellement connus dans tous leurs détails ? Sauf que non ! Et heureusement qu'on peut encore lire un roman du passé sans forcément connaître la fin d'avance...). Je crois bien que la première fois que j'ai "entendu parler" de ce livre, c'était dans Comme un roman de Daniel Pennac. Ma grand-mère ensuite m'a incité à le lire, et c'est ainsi que ce livre s'est retrouvé dans mon challenge ABC 2009 (challenge périmé, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire...).

Simplement à partir du titre (je dirais même, simplement à cause de la particule), je m'étais imaginée que ce roman relaterait une histoire d'amour dans un milieu noble. Pour le côté "histoire d'amour", j'avais visé juste ; mais alors, de milieu noble, point du tout ! Notre fameuse héroïne, Tess, s'appelle en vérité aux yeux du monde Tess Durbeyfield... Durbeyfield, déformation dégradée de d'Urberville, nom de ses nobles ancêtres, noblesse légendaire mais bien éloignée dans les faits, puisque Tess mène une rude vie de paysanne dans la campagne anglaise (ça, j'aurais pu le deviner si j'avais lu la quatrième de couverture qui indique que "Thomas Hardy dépeint admirablement la nature et la vie des paysans en cette fin de XIXème siècle", huhu.)

Qu'importe, j'ai donc été embarquée dans un milieu bien plus modeste et rural que ce que je prévoyais, je ne vais pas m'en plaindre. Au début du roman, Tess est la jeune paysanne typique, fraîche avec de jolies joues roses, rêvant vaguement à l'amour de façon tout à fait ingénue, même si ce n'est pas le premier de ses soucis puisqu'elle doit travailler dur pour aider sa famille nombreuse et pauvre à laquelle elle est naturellement toute dévouée. Elle est bien gentille, elle va devoir quitter le foyer familial pour travailler pour un jeune homme riche et séducteur, et il va sans dire que la pauvre, malgré une résistance farouche (c'est une fille vertueuse), elle va vite tomber dans le panneau.... et tous les malheurs de sa vie découleront de cette première erreur. Au début, je dois bien admettre que je n'étais pas très emballée par Tess, qui me semblait être un personnage un peu trop cliché pour que je m'y intéresse et m'y attache vraiment.... mais peu à peu, j'ai eu beaucoup de sympathie pour elle, et je l'ai suivie dans ses (més)aventures avec plaisir. (ignoble petite sadique que je suis)

On sent bien qu'on lit un livre du XIXème siècle ; c'est plutôt facile à lire de mon point de vue (plus que ce à quoi je m'attendais, puis bon peut-être qu'à force je suis rodée, et ce qui m'aurait apparu comme une difficulté il y a 5 ans m'est aujourd'hui une originalité stylistique plaisante :)), mais ce sont surtout  les mœurs des personnages qui sont très différentes des nôtres. On est de toute façon bien forcé de garder en tête cet éloignement temporel, sans quoi on serait outré (je le serais en tout cas) par la conception de l'honneur de l'époque, et les conséquences désastreuses d'un manquement à un idéal moral si vain sont, quand on les juge avec notre regard d'aujourd'hui, complètement absurdes....de même certains préjugés sur les femmes énoncés comme des vérités générales (surtout tout ce qui concerne la nécessaire soumission au mari !) m'ont fréquemment fait lâcher un petit soupir, mais bon, j'ai bien conscience que c'était conforme à la mentalité de l'époque, et je dois aussi défendre Thomas Hardy qui aurait pu se montrer infiniment plus sévère (et donc lourd) : s'il évoque tous ces préjugés, c'est souvent pour les remettre en question (du moins je préfère le comprendre comme ça, ne me détrompez pas !), et il nous a épargné beaucoup de passages religieux qu'il aurait pu facilement insérer, là toutes les références à Dieu restent pittoresques et très supportables. Tout ce qui arrive à Tess est très injuste, et je dirais que globalement elle n'a vraiment pas de chance, heureusement elle ne stagne pas et ne cesse d'essayer de s'en sortir, et je n'ai pas arrêté d'espérer que tout s'arrange pour elle !

Le style du XIXème siècle fait donc comme une petite musique, profondément dépaysante ; le narrateur intervient assez souvent (mais avec de petits sabots), soit pour donner un peu de peps à une description (cf extrait ci-dessous), soit pour railler (plus ou moins) légèrement les personnages, souvent hélas pour casser l'ambiance en rappelant à Tess que son destin est noir et que c'est pas la peine de s'enthousiasmer (méchant narrateur !). Cependant j'ai parfois regretté un léger manque de rythme... je ne me suis pas vraiment ennuyée car comme je l'ai dit les péripéties sont relativement nombreuses ; oh, ne vous emballez pas, rien de très rocambolesque, chaque "étape" (le roman est divisé en sept "phases", et pour vous donner une idée, les deux premières s'appellent "jeune fille" et "femme") est très développée donc on n'a pas non plus un enchaînement rapide des différentes actions, mais ce n'est pas ça qui m'a gênée, non, j'ai beaucoup aimé qu'on s'arrête avec Tess dans chacun des endroits qu'elle parcourt, qu'on fasse de nouvelles connaissances avec elle, qu'on la suive dans ses travaux de laiterie, dans ses réflexions un peu désespérées... (au début ses sentiments me semblaient un peu lisses, mais par la suite, on s'enflamme, on a de la passion violente, des menaces de suicide, le top. Elle essaie toujours de se modérer, dommage pour nous, mais quand même.)

Non, ce qui à mon avis a un peu alourdi inutilement le texte, c'est qu'à chaque début de chapitre (et les chapitres sont courts, il y en a 59 pour 400 pages), on a presque systématiquement un paragraphe descriptif plus ou moins long, soit pour nous présenter un nouveau lieu si Tess s'est déplacée, soit pour nous parler de la météo ; ce sont surtout le passages météo qui ont fini par me barber, au début je les lisais attentivement, ils sont même plutôt poétiques, mais ils reviennent trop souvent pour que je les accueille à chaque fois sans lassitude, et j'en ai sauté quelques-uns pour finir. Ce n'est qu'un détail, mais qui m'a empêché d'être vraiment emportée par ma lecture, ces pauses dans le récit l'ont freiné un peu trop souvent à mon goût.

Même si l'intrigue reste assez simple (machin lui pardonnera-t-il ? sera-t-elle un jour heureuse ?) je n'ai pas réussi à prévoir la fin, et plus de cent pages avant la dernière, j'ai applaudi un beau rebondissement qui, personnellement, m'a laissée sur les fesses. Je n'ai pas vraiment eu de coup de cœur pour le style, qui est pourtant bien particulier, ni pour l'héroïne, qui m'a assez régulièrement exaspérée, même si je l'aime beaucoup au fond (petite mère !), mais je ne regrette en aucun cas cette lecture qui m'a tenue occupée plusieurs jours, qui a réussi à m'angoisser et m'extasier en même temps à certains moments, et à m'emmener loin de ma chambre.... maintenant, il faut que j'emprunte le DVD pour juger le film !

Extrait :

"La société des volatiles dont Tess avait été nommée surveillante, pourvoyeuse, infirmière, chirurgien et amie, avait pour quartier général une vieille chaumière située dans un ancien jardin, maintenant sablonneux et piétiné. Le lierre envahissait la maison, et ses branches en élargissaient la cheminée, lui donnant l'aspect d'une tour en ruine. Les pièces du bas étaient complètement abandonnées aux oiseaux, qui s'y promenaient d'un air de propriétaires, comme si cet endroit avait été bâti par eux et non par certains tenanciers réduits en poussière qui gisaient maintenant dans le cimetière."

Mercredi 21 juillet 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/Nadja.jpgQuatrième de couverture : Nadja est un récit autobiographique d'André Breton. Avec le ton neutre du « procès-verbal », du document « pris sur le vif », Breton rend compte « sans aucune affabulation romanesque ni déguisement du réel » des événements quotidiens survenus durant 9 jours entre lui et une jeune femme inconnue rencontrée le 4 octobre 1926 à Paris.

"J'ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s'attacher, mais qu'il ne saurait être question de se soumettre... J'ai vu ses yeux de fougère s'ouvrir le matin sur un monde où les battements d'ailes de l'espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n'avais vu encore que des yeux se fermer.


Mon avis : Quelle lecture étrange. Il y a deux ans (je crois), j'avais emprunté ce livre, qui était en mauvais état, je n'ai rien compris à la première page que j'ai détestée et j'ai rendu ce livre. C'était donc non sans appréhension que j'ai de nouveau emprunté ce bouquin (dans une édition plus récente), et que je me suis relancée dedans.

Le titre et la quatrième de couverture nous font croire que cette femme, Nadja, est le centre de ce roman... ce qui n'est pas faux, sauf que sur 190 pages, Nadja n'apparaît qu'à la 71ème. Et autant dire que les 70 pages ont été difficiles pour moi.... surtout les dix premières. André Breton part dans des digressions (je ne sais pas pourquoi je dis "pars" car impossible de vraiment discerner le fil conducteur, tout ne m'a semblé être que des digressions, donc, ces réflexions peuvent-elles porter le nom de digressions ? Je ne sais pas.) J'ai saisi, en très gros, qu'il commençait par poser la question "qui suis-je ?", et, à partir de là, il se demande ce que cette question implique, etc, et j'ai été très souvent larguée. Au milieu de tout ça, on a quelques réflexions de critique littéraire, puis il évoque une pièce de théâtre, des relations qu'il a avec d'autres écrivains... le tout m'a semblé très mondain et incompréhensible. Je ne dis pas que tout cela est dénué d'intérêt : seulement, tout ces passages ne sont pas encore pour moi. Mais je persévère, je reste intriguée et j'espère qu'un jour, qui ne surviendra peut-être que dans quelques décennies, je relirai tout cela en ayant l'impression que c'est beaucoup plus clair.

Heureusement, l'apparition (enfin !) de Nadja a bien avivé mon intérêt pour ce livre. Tout ne s'est pas éclairci, loin de là, et encore fréquemment, André s'égare (ou plutôt, M'égare) dans des réflexions obscures pour moi, mais tant pis, je me suis accrochée et je me dis que ce flou donne aussi un certain charme au roman (mais est-ce un roman ?). Mais qui est Nadja ? Une inconnue qu'il va rencontrer par hasard à Paris, à plusieurs reprises... là, au moins, je me suis sentie presque l'égale de l'auteur, qui ne la connaissait pas avant  (lui qui auparavant ne cessait d'évoquer des choses qu'il semblait parfaitement maîtriser et qui m'étaient inconnues !) et nous fait connaître ses impressions sur elle.... nous les suivons tous les deux, tout le livre est régulièrement illustré de photographies des lieux parcourus, des personnalités dont il est question, d'affiches, de dessins...  et on essaie, nous aussi, de comprendre qui est Nadja, question peut-être un peu vaine puisqu'il s'agit d'une femme mystérieuse, fascinante, je ne saurais pas du tout comment la définir ni résumer sa relation avec André.

Même si je me suis très souvent sentie perdue, suite à la première apparition de Nadja je me suis laissée emporter par ma lecture, je me suis "décrispée" je dirais, et j'ai eu envie de noter de nombreux passages que j'ai trouvés très beaux (du coup j'ai noté les pages pour les retrouver après ^^)

Une lecture qui m'a déconcertée, dont j'ai bien du mal à parler de façon satisfaisante (mais de toute façon, parler d'un livre de façon satisfaisante, qu'est-ce que ça veut dire ?), mais qui m'a plongée dans une ambiance étrange et finalement, pas désagréables, malgré les 70 premières pages qui ont pour moi été assez pénibles. J'ai bien peur que cet avis ne vous décourage, et pourtant, je pense que cela vaut le coup de dépasser ces difficultés... d'autant plus que certaines personnes ont peut-être compris ce livre bien mieux que moi, qui suis passée forcément à côté de tant de choses que je ne désespère pourtant pas d'atteindre plus clairement un jour.... cette rencontre avec Nadja n'a pas été tout à fait manquée pour moi étant donné que certaines pages m'ont ravie et que le tout m'a perturbée, mais pour tout apprécier, c'est encore bien trop tôt pour moi. Pour l'heure, j'ai envie de continuer ma découverte à tâtons du surréalisme (dont je n'avais jusqu'à aujourd'hui qu'une connaissance théorique, en-dehors de quelques poèmes), peut-être avec L'Amour fou du même auteur ?

Quelques extraits :
"J'ai toujours incroyablement souhaité de rencontrer la nuit, dans un bois, une femme belle et nue, ou plutôt, un tel souhait une fois exprimé ne signifiant plus rien, je regrette incroyablement de ne pas l'avoir rencontrée."

"Je suis contraint d'accepter l'idée du travail comme nécessité matérielle (...). Que les sinistres obligations de la vie me l'imposent, soit, qu'on me demande d'y croire, de révérer le mien ou celui des autres, jamais. Je préfère, encore une fois, marcher dans la nuit à me croire celui qui marche dans le jour. Rien ne sert d'être vivant, le temps qu'on travaille."

"Qui étions-nous devant la réalité, cette réalité que je sais maintenant couchée aux pieds de Nadja, comme un chien fourbe ?"

"Ne pas alourdir ses pensées du poids de ses souliers."

"Toi qui fais admirablement tout ce que tu fais et dont les raisons splendides, sans confiner pour moi à la déraison, rayonnent et tombent mortellement comme le tonnerre."

Lundi 2 août 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lesfauxmonnayeurs.jpgRésumé : Qu'un jeune garçon apprenne qu'il n'est pas le fils de son père, qu'il décide de ne pas se présenter à ses examens et de partir au hasard de certaines rencontres : jusque-là, rien que de très commun. Mais qu'il croise la route tordue de faussaires en tout genre, d'enfants qui trafiquent de la fausse monnaie ou de tricheurs ès sentiments, et l'histoire se transforme en une folle épopée où les différents fils se mêlent et s'emmêlent pour mieux finir par démêler tous les mensonges.

Singulier roman que cette croisée de destins et de personnages : il surprend et fascine, tant il ne ressemble à rien de connu tout en conservant une structure parfaitement attendue. Manière de symphonie, où Gide, qui tenait Les Faux-Monnayeurs pour l'un de ses textes les plus aboutis, orchestre les thèmes qui lui sont chers : l'adolescence et ses tourments, les troubles d'identité, mais surtout le mensonge, le faux sous toutes ses facettes, qu'il débusque avec acharnement, pour qu'enfin les masques tombent.

Mon avis : il y a quelques mois j'ai étudié ce livre à la fac, sa structure surtout, alors même si je ne l'avais pas lu, je connaissais déjà pas mal l'histoire. Le style est particulier, différent de ce à quoi je m'attendais à vrai dire, je m'attendais à quelque chose de plus classique, de moins impertinent, j'ai donc été agréablement surprise. Le fait que ce roman mette en scène des adolescents (entre autres)participe sans doute à cette impertinence, on a pas mal de langage familier, d'expressions argotiques qui ne sont aujourd'hui plus guère utilisées et qui par conséquent, assez paradoxalement, passeraient presque pour être des expressions soutenues (exemple : "faire le marlou" pour "faire le malin") : le tout donne une atmosphère spéciale au roman, ces lycéens et écoliers se prennent au sérieux, jouent les pédants, mais ils sont plus amusants qu'exaspérants, car on sent bien que toute cette frime n'est là que pour les soutenir, ils cherchent à se donner de l'importance, alors qu'au fond, ils se cherchent, voire, sont paumés.

Pas vraiment de héros dans ce roman, différentes intrigues s'entremêlent, plusieurs personnages sont d'importance similaires ; au centre tout de même, il y a Bernard, le jeune fugueur, Olivier, son ami, et Edouard, l'oncle d'Olivier, très lié aux deux adolescents, et personnage d'écrivain, qui correspond plutôt à Gide (si on cherche à mettre en évidence ce genre de correspondances) : on a plusieurs extraits de son journal ; et parmi tous les passages que j'ai appréciés et que j'ai eu envie de prendre en note, nombreux sont ceux qui en sont extraits. Le narrateur (externe et qui fait mine de ne pas être omniscient), qui intervient assez souvent, nous fait suivre tour à tout les différents personnages ; à certains moments, il fait même une pause dans son récit pour nous dire ce qu'il pense de l'avancée du roman, d'untel ou untel... un jeu souriant avec le lecteur s'instaure alors.

Les personnages sont nombreux, l'histoire part un peu dans tous les sens, tantôt on s'intéresse de près à tel personnage, pour ensuite quasiment l'oublier par la suite... oh, je sais bien que tout cela est très construit, que rien n'est là par hasard, mais au moment de tourner la dernière page, je me sens déchirée, entre une impression de trop, et de trop peu : l'impression d'avoir suivi quelque chose de très riche, mais d'avoir été stoppée dans mon élan. J'ai trouvée la fin trop abrupte, j'aurais aimé que le roman continue, que vont devenir tous ces personnages ? Je ne suis pas d'accord.

Je reste un peu perplexe, en fait, la densité de ce roman m'a plu, mais finalement je me sens presque dupée. Je pense aussi que je n'ai pas lu ce livre de la façon dont il le méritait, ma lecture n'a pas été assez attentive, elle a été trop traînante, et sans avoir eu de difficulté à suivre, j'ai parfois eu la sensation que je n'avais pas tout en tête, et je me déçois, sur ce coup-là. Même au moment de me demander ce que j'ai finalement vraiment pensé de ce roman, que je suis embrouillée... une lecture agréable, des personnages attachants, un style savoureux, délicieusement ampoulé pour-de-faux, qui sert de nombreux très beaux passages, et je me suis successivement identifiée à plusieurs personnages amoureux ou à la recherche d'attention.... mais j'ai un goût d'inachevé, à relire pour moi dans quelques années, et c'est pourquoi je me félicite de l'avoir acheté au vide-greniers. Je crois bien en attendant que c'est une œuvre qui risque de me marquer. De Gide, j'avais déjà lu La Symphonie pastorale*, et j'ai infiniment préféré les Faux-Monnayeurs. (deux oeuvres vraiment très différentes, mais je dois aussi admettre que la Symphonie pastorale m'a laissé bien peu de souvenirs !)

Extraits : (nombreux, mais je me contiens, j'en ai noté bien plus !)

"Tout ce qui n'est créé que par la seule intelligence est faux."

"Incapable de pénétrer les sentiments secrets de Laura, il prenait pour de la froideur son retrait et ses réticences. Il eût été bien gêné d'y voir clair et c'est ce que Laura comprenait ; de sorte que son amour dédaigné n'employait plus sa force qu'à se cacher et à se taire."

"Je voudrais, tout le long de ma vie, au moindre choc, rendre un son pur, probe, authentique. Presque tous les gens que j'ai connus sonnent faux. Valoir exactement ce qu'on paraît ; ne pas chercher à paraître plus qu'on ne vaut... on veut donner le change, et l'on s'occupe tant de paraître, qu'on finit par ne plus savoir qui l'on est..."

"Il me semble parfois qu'écrire empêche de vivre, et qu'on peut s'exprimer mieux par des actes que par des mots."

"Je crois que c'est le propre de l'amour, de ne pouvoir demeurer le même ; d'être forcé de croître, sous peine de diminuer ; et que c'est là ce qui le distingue de l'amitié."

"Le scepticisme n'a jamais rien donné de bon. On sait de reste où il mène... à la tolérance ! Je tiens les sceptiques pour des gens sans idéal, sans imagination ; pour des sots..."

"Lorsque j'étais plus jeune, je prenais des résolutions, que je m'imaginais vertueuses. Je m'inquiétais moins d'être qui j'étais, que de devenir qui je prétendais être. A présent, peu s'en faut que je ne voie dans l'irrésolution le secret de ne pas vieillir."

Samedi 7 août 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lenfant.jpgCHALLENGE ABC 2010, 15ème livre lu ♦
 
Quatrième de couverture : Fils de professeur de collège et d'une paysanne bornée, Jacques Vingtras, double de Vallès, est dès le plus jeune âge, instruit à l'école du malheur. Sous prétexte de l'aguerrir, on s'ingénie à lui rendre la vie dure, on finit par lui reprocher le pain qu'il mange. Et il brûle du désir de quitter cette maison maudite.

Mon avis : un livre autobiographique qui m'a rappelé Poil de Carotte de Jules Renard et Vipère au poing d'Hervé Bazin, puisque le héros et narrateur est un enfant maltraité et que sa mère n'aime pas... la narration m'a un peu surprise au début, le narrateur évoque successivement ses parents, d'autres personnes de sa famille, des voisins, des lieux... diverses anecdotes s'enchaînent en formant différents chapitre mais cela m'a semblé d'abord plutôt décousu et un peu trop décousu, on a certes un aperçu vivant de la vie du petit Jacques, mais cela reste quand même assez descriptif, je n'ai véritablement accroché qu'après, quand on passe à une narration un peu plus linéaire, quand on suit le personnage dans ses différents déménagements ; on le suit en fait jusqu'à ses 16 ans, ce qui m'a aussi un peu étonnée, sachant que les deux autres livres suivants s'intitulent Le Bachelier et L'Insurgé, je pensais que ce tome-ci ne parlerait que de l'enfance du héros, alors qu'en fait dans ce tome on le connaît également adolescent (même si tout le monde semble encore le considérer comme un enfant), il est question de son baccalauréat et à travers ses premières révoltes, on a les prémices de son engagement politique d'adulte.

Comme dans Poil de Carotte et Vipère au poing, la violence maternelle (et paternelle également, dans l'Enfant le personnage du père n'est en aucun cas un soutien, il apparaît même à plusieurs reprises comme aussi mauvais que la mère) est terrible et elle se cache souvent sous un masque de bonne éducation. Le point fort du discours du jeune héros, c'est certainement son ironie, son ton railleur ; ironie qui semble d'abord dédramatiser la situation, mais qui en même temps, ne fait que dénoncer avec plus de force l'absurdité des comportements parentaux, et leur cruauté. J'ai donc été touchée par ce livre, le style est très agréable, même si j'ai trouvé qu'il y avait quelques longueurs, le début surtout manquait d'entrain à mes yeux (mais pas le tout tout début, l'incipit est formidable) ; et comme c'était surtout le regard d'enfant du héros qui m'intéressait, je ne pense pas que je lirai tout de suite Le Bachelier ni L'Insurgé... peut-être dans quelques années, si je me réconcilie avec les livres où il est question d'engagement politique ! (car il me semble que c'est surtout cette direction-là que la trilogie de Vallès prend, à la fin de l'Enfant)

Extrait : (le début, que j'ai étudié il y a quelques années et que j'aime beaucoup)

Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m’a donné son lait ? Je n’en sais rien. Quel que soit le sein que j’ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit : je n’ai pas été dorloté, tapoté, baisotté ; j’ai été beaucoup fouetté.
Ma mère dit qu’il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous les matins ; quand elle n’a pas le temps le matin, c’est pour midi, rarement plus tard que quatre heures.
Mademoiselle Balandreau m’y met du suif.
C’est une bonne vieille fille de cinquante ans. Elle demeure au-dessous de nous. D’abord elle était contente : comme elle n’a pas d’horloge, ça lui donnait l’heure. « Vlin ! Vlan ! zon ! zon ! – voilà le petit Chose qu’on fouette ; il est temps de faire mon café au lait. »
Mais un jour que j’avais levé mon pan, parce que ça me cuisait trop, et que je prenais l’air entre deux portes, elle m’a vu ; mon derrière lui a fait pitié.
Elle voulait d’abord le montrer à tout le monde, ameuter les voisins autour ; mais elle a pensé que ce n’était pas le moyen de le sauver, et elle a inventé autre chose.
Lorsqu’elle entend ma mère me dire : « Jacques, je vais te fouetter !
– Madame Vingtras, ne vous donnez pas la peine, je vais faire ça pour vous.
– Oh ! chère demoiselle, vous êtes trop bonne ! »
Mademoiselle Balandreau m’emmène ; mais au lieu de me fouetter, elle frappe dans ses mains ; moi, je crie. Ma mère remercie, le soir, sa remplaçante.
« À votre service, » répond la brave fille, en me glissant un bonbon en cachette.

(pour en lire plus, cliquez ici)

Jeudi 26 août 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/mitsou.jpg(lu le 14 août)

Résumé :
Un mois de mai de la guerre. Mitsou, petite danseuse de l'Empyrée-Montmartre, s'apprête à entrer en scène quand surgit dans sa loge son amie Petite-Chose, accompagnée de deux jeunes sous-lieutenants, un kaki et un bleu horizon. Mitsou se montre froide et réservée. Mais elle est bien jolie et le Lieutenant Bleu, avant de retourner au front, lui adresse une lettre. Une correspondance s'établit. Malgré les fautes d'orthographe, des tournures quelque peu populaires, les lettres de Mitsou enchantent le jeune homme; elle s'y révèle d'une grande pureté de cœur. Chacune des lettres les rapproche et ils finissent par oublier tout ce qui les sépare, jusqu'au jour où le Lieutenant Bleu arrive en permission...

Mon avis : un court roman qui commence comme une amourette frivole ; au début le style est très théâtral, ce sont surtout les répliques pleines d’espièglerie (mais qui restent toujours superficielles) de Mitsou et son amie Petite-Chose qui sont amusantes – et savoureuses, puisque c’est une façon de parler aujourd’hui désuète, même si cela reste assez proche de nous ; imaginer une héroïne un peu sotte, dont l’auteur n’hésite pas à se moquer gentiment, est aussi une situation assez originale, le lecteur ne sait pas bien quel parti prendre : cette petite Mitsou est-elle aussi simple qu’elle le paraît, ou bien cache-t-elle un trésor enfoui  ? (le titre peut également nous orienter dans cette direction) Pourquoi faire de cette fille légère et banale une héroïne, est-elle censée représenter son milieu, ou bien est-elle au contraire exceptionnelle ? Voilà le genre de questions que j’ai pu me poser.
 
J’aurais aimé qu’on en sache un peu plus sur le Lieutenant Bleu – même si c'est vrai que les nombreux commentaires sur son attitude qui nous informent sur son état d’esprit lors de sa deuxième rencontre avec Mitsou nous permettent de bien le cerner – mais il est assez clair que c’est Mitsou le véritable sujet du roman, Mitsou, et surtout, la relation qu’elle tisse avec le Lieutenant Bleu, relation ambigüe puisque les sentiments qu’il éprouve à son égard ne sont jamais très clairs ; les différentes lettres qu’ils s’échangent avant de se revoir sont de petits bijoux, on voit de quelle façon leurs sentiments évoluent et s’expriment, tout en gardant un style réaliste et propre à chaque personnage (les lettres de Mitsou sont parsemées de fautes d’orthographe...)
 
Leurs retrouvailles, dont Mitsou comme le lecteur attendent beaucoup, ne se passent pas tout à fait comme prévu, ce qui donne de l’originalité à l’intrigue, mais ce qui la rend vraiment hors du commun et en fait tout le sel, à mon avis, c’est la dernière lettre de Mitsou, qui nous fait connaître sa réaction et nous fait penser qu’elle est peut-être plus fine, et meilleure qu’on n’avait pu le penser jusque-là en suivant nos préjugés. La fin est cependant très abrupte, je n’avais pas surveillé le nombre de pages qu’il me restait et sur le coup j’ai été très frustrée, mais en y réfléchissant cette fin ne me paraît pas non plus dénuée de sens, elle laisse au lecteur le soin de faire plusieurs interprétations, qui peuvent s’opposer mais se tiennent toutes ! Une jolie découverte donc, le ton ne semble pas sérieux mais finalement c'est assez émouvant !
 
Mon extrait préféré : « Ma chère Mitsou, j’ai envie de vous voir. J’ai envie de vous voir. Que vous dirais-je d’autre ? J’ai envie de vous voir. Je me sens doux, faible, vague, penché vers quelque chose de moelleux, de profond, d’indistinct qui m’attire. Je me sens à la fois heureux et privé de tout. C’est une anxiété, et en même temps une paresse, l’une comme l’autre pleine de charmes. Un état d’adolescence… »

Jeudi 26 août 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lavraieviedesebastianknight.jpg(lu le 19 août)

CHALLENGE ABC 2010, 16ème livre lu ♦
 
Quatrième de couverture : Deux mois après la mort du célèbre romancier Sebastian Knight, son jeune frère entreprend d'écrire sa biographie, de démêler le vrai du faux d'une destinée hors du commun. Qui était Sebastian Knight ? L'écrivain respecté, salué par ses pairs, ou l'homme secret profondément marqué par deux étranges histoires d'amour ?
Sous la forme d'une enquête haletante, le premier roman que Nabokov signa en anglais constitue une réflexion amère sur l'impossibilité de parvenir à connaître la vraie vie d'un autre être, fût-ce du plus proche.
 
 
 
Mon avis : de Vladimir Nabokov, j’avais seulement lu (et cela fait quelques années déjà) l’époustouflant Lolita ; j’étais censée étudier ce livre-ci en première année de licence mais une grève, ou plusieurs absences du prof (j’ai oublié) nous en ont empêché, et si je ne l’avais pas choisi pour le Challenge ABC, probable qu’il aurait dormi encore un moment dans ma bibliothèque.

Cette biographie imaginaire d’un écrivain fictif est un très bon exemple de roman réflexif (qui réfléchit sur sa propre création, sur un personnage d’écrivain, donc sur la littérature, l’écriture, le rapport entre la réalité et l’écrit, etc) ; ceux qui suivent ce blog assidûment se rappelleront peut-être qu’il y a quelques mois je vous ai parlé d’un cours que j’ai suivi où nous étudiions une série de romans de ce genre ; eh bien, La Vraie Vie de Sebastian Knight aurait pu parfaitement être au programme.

Sebastian Knight est donc un écrivain (fictif, mais c’est un détail dont on a du mal à se souvenir parfois tant cette recherche de vérité autour de cet être et la situation d’énonciation sont bien mises en scène) dont le demi-frère, narrateur de ce roman, va chercher à nous dresser la biographie ; or malgré leur proche parenté, ils se sont finalement peu connus, et le narrateur (on ignorera toujours son nom, tout au plus on apprendra au passage que son prénom comme par un V…) va donc partir, deux mois après la mort de son illustre demi-frère, à la recherche de personnes qui l’ont connu afin de comprendre quelle a été sa vie… c’est donc une biographie paradoxalement sensible et riche en anecdotes personnelles, et incomplète, : Sebastian Knight a bien eu un lien avec son biographe (sans jamais savoir qu’il serait son biographe bien entendu), ce qui nous permet d’avoir un point de vue particulier sur lui, mais il reste toutefois toujours plutôt mystérieux et distant.

Cet aspect m’a agacée d’abord ; au début, il tâche de nous présenter les souvenirs d’enfance qu’il a concernant Sebastian Knight, mais ils sont peu nombreux (mais considérablement développés), et on s’aperçoit que leur lien fraternel a toujours été très ténu puisque Sebastian a toujours paru indifférent à l’égard de son demi-frère qui l’admirait pourtant depuis son plus jeune âge ; le narrateur commence par nous dire pendant des pages et des pages qu’il l’a peu à peu perdu de vue, qu’il le regrette mais qu’il n’a pas suivi sa vie de très près etc… dans ces conditions, je me suis un peu demandée en quoi son entreprise était légitime ; il la justifie bien sûr (le lien qu’ils ont eu était quand même unique, il a la connaissance de certains de ses papiers, leur parenté fait qu’il se sent à même de le comprendre…), mais, vu la maigreur de ses connaissances préalables je me suis demandée ce qu’il allait bien pouvoir nous raconter pendant 300 pages et ce n’est qu’à partir du moment où il évoque une compagne qui a été importante dans la vie de Sebastian que mon attention a été maintenue de façon durable (je suis une grosse niaise, collez-moi une histoire d’amour pour m’intéresser…)
 
Ce n’est surtout pas une biographie romancée, le narrateur abhorre ce genre qu’il qualifie de « pire littérature jamais inventée » ; ce qu’il nous présente, c’est moins les résultats de ses recherches, que les moyens mis en œuvre pour cette recherche ; comme je l’ai déjà dit le biographe ne nous cache en rien ses lacunes, au contraire, il nous les raconte et les commente. J’ai eu souvent un sentiment de frustration, et l’impression que Sebastian Knight restait toujours un peu abstrait, mais je ne peux qu’applaudir le talent de Nabokov qui nous fait croire à sa réalité de telle sorte qu’on se souvient ensuite avec regret qu’il s’agit d’un écrivain imaginaire.

Le narrateur évoque assez longuement (pas d’une traite, mais à plusieurs reprises) ses différentes œuvres, certains passages sont de purs textes de critique littéraire, et plusieurs fois j’ai bêtement pensé : « mais enfin, je comprendrais bien mieux qui est Sebastien Knight en lisant ses œuvres, ou au moins, j’apprécierais mieux cette biographie humaine mais pleine de trous si je connaissais d’abord son œuvre ! » Le texte est fréquemment entrecoupé de relativement longues citations d’œuvres de Sebastian (ce qui diminue notre frustration en quelque sorte), citations qui éclairent le discours et que j’ai beaucoup aimées pour la plupart, elles renforcent donc la légitimité de la biographie.
 
Ce roman réflexif très original nous montre donc de façon assez extrême qu’il est tout à fait possible de s’interroger sur une œuvre et un auteur imaginaires ; la réflexion est en fait sans objet préalable, elle crée son objet au fur et à mesure, la rédaction de cet ouvrage a dû être une sacrée gymnastique pour l’auteur qui a dû créer d’une part Sebastian Knight et sa vie, d’autre part, son demi-frère et son projet biographique, faisant se rejoindre les deux de façon tout à fait réaliste, et pas du tout monotone ; si certaines pages du début m’ont ennuyée, le livre m’a semblé beaucoup plus vivant dès que le narrateur rencontre des proches de Sebastian ; sa quête de l’amour le plus mystérieux de Sebastian ne manque pas d’effets d’attente ni de piquant, l’évocation de la relation entre le narrateur et Sebastian à la fin de la vie de l’écrivain sont aussi très humaines, la voix du biographe est alors beaucoup plus présente, et elle est touchante… au-delà de la dimension de pure recherche littéraire, on sent tout la dimension humaine que recouvre cette entreprise (et voilà que je me reprends à commenter comme si les personnages étaient réels… mais n’est-ce pas ainsi que je procède tout le temps de toute façon ?)

Extraits :
"La célébrité est, de nos jours, chose trop commune pour qu'on la confonde avec le rayonnement durable d'un livre digne d'intérêt."

"Il va sans dire que je ne saurais effleurer le sujet du côté intime de leur rapports, parce que ce serait ridicule de parler de ce que personne n'est en mesure d'affirmer catégoriquement, et en second lieu parce que le son même du mot "sexe", avec sa sibilante vulgarité et le ricanement du son final "ks, ks", me paraît tellement inepte que je ne peux m'empêcher de craindre qu'il n'y ait aucune idée véritable derrière le mot."

"Notre vie fut toujours pleine d'allitérations, et quand je songe à toutes les petites choses qui vont mourir dès l'instant où nous n'allons plus pouvoir les partager, il me semble que nous aussi, nous sommes morts. Et peut-être le sommes-nous." (extrait d'une lettre de rupture qui est tout simplement divine)

Mercredi 1er septembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/clarissa.jpg(lu le 20 août)

Quatrième de couverture : « Le monde entre 1902 et le début de la Seconde Guerre mondiale, vu à travers les yeux d'une femme » : ainsi Stefan Zweig résumait-il le thème de ce roman, entrepris dans les derniers temps de sa vie et retrouvé dans ses archives.
Clarissa, fille d'un militaire autrichien, est née en 1894. A l'aube du premier conflit mondial, elle rencontre à Lucerne, en Suisse, un jeune socialiste français, Léonard, qui n'est pas sans évoquer Romain Rolland. La guerre les sépare, mais Clarissa attend un enfan
t. Dans l'Europe déchirée, en proie à l'hystérie nationaliste, son acceptation de cette maternité va devenir, plus qu'une décision personnelle : un destin et un symbole. Une œuvre testamentaire où le grand écrivain autrichien résume, de façon poignante, son idéal humaniste et son désespoir.
 
Mon avis : ah, mon très cher Zweig, cela faisait un moment que je ne l’avais pas lu, cela m’avait manqué ! (Stefan Zweig fait vraiment partie de mes chouchous) ; ce roman m’a été conseillé par une camarade de fac, je n’en avais jamais entendu parler avant et c’est en le commençant que je me suis aperçu qu’il s’agissait d’un roman, et non pas d’une nouvelle (c’est vrai que souvent en ce qui concerne les œuvres de Zweig – et d’autres auteurs d’ailleurs – la limite entre nouvelle et roman est fine).

Une histoire d’amour au cœur de la guerre, voilà qui promettait un beau moment de passion, ai-je pensé, mais mes attentes ont en quelque sorte été détournées, sans être déçues. L’héroïne, Clarissa, est une jeune femme très posée, et donc, a priori, pas le personnage qu’on s’attend à vivre une folle histoire d’amour ; le récit – assez rapide mais également assez détaillé pour qu’on puisse bien se l’imaginer – de son enfance et adolescence au couvent, de sa relation avec un père militaire statisticien, est un bon préambule qui nous permet de bien voir le contexte, de bien comprendre la personnalité de Clarissa.

J’ai alors pensé « eh bien, justement, sa grande histoire d’amour  va lui faire perdre les pédales et apporter un peu de folie à sa vie ! » (comme l’héroïne de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme par exemple), mais là encore j’ai été détrompée ; la quatrième de couverture m’avait déjà appris que son amour s’appelait Léonard, aussi dès leur rencontre je savais qu’ils finiraient par être amants, mais sinon je ne l’aurais certainement pas deviné ! Il ne s’agit pas d’un coup de foudre, je ne pensais pas du tout que leur relation pourrait évoluer en autre chose qu’en une amitié tendre, et sur le coup j’ai été presque déçue, j’attendais en vain un moment de passion vibrant qui n’est presque jamais venu…. Mais je me suis rendu compte que leur amour sans emphase et sans déclaration flamboyante n’en était pas moins profond ! Et c’est donc finalement une histoire hors des sentiers battus que nous offre Stefan Zweig ; la guerre n’est pas non plus centrale pendant une bonne partie de l’œuvre, nos deux héros se rencontrent et s’aiment avant qu’elle ne débute ; leur liaison n’a donc pas l’aura d’urgence dramatisante à laquelle on aurait pu s’attendre, et c’est ce qui explique aussi qu’elle m’a paru si « calme ».
 
La guerre et leur séparation forcée survient cependant très rapidement après le début de leur idylle, et si Léonard ne quitte pas le cœur de Clarissa, il quitte la scène du roman, qui nous raconte ensuite la vie à l’arrière de Clarissa comme infirmière… le pic dramatique (ah ! enfin un peu de larmes ! – non, je suis dure, des larmes il y en a déjà eu au moment où ils ont dû aller chacun de leur côté) est atteint quand Clarissa s’aperçoit qu’elle est enceinte (là vous allez me dire d’arrêter de spoiler, mais c’était dans la quatrième de couverture, et pas d’inquiétude je n’irai pas plus loin !). On sent bien qu’elle est toujours la même femme raisonnable qu’au début, et même si certains de ses choix m’ont parus surprenants par la suite, ils sont en fait parfaitement justifiés.
 
Cette histoire d’amour m’a donc surtout plu pour son réalisme ; ici, pas de romantisme exacerbé, mais de vraies gens qui vivent et se débattent comme ils peuvent au milieu d’un monde désorienté par la Grande Guerre ; je ne pense pas que c’est l’œuvre de Zweig qui me marquera le plus (j’avoue que j’aurais souhaité parfois un regard un peu moins objectif, un peu plus d’intrusion dans l’esprit des personnages, mais là je chipote, parce qu’on sait quand même bien ce qu’ils pensent, seulement… comme ils ne s’agit guère de personnages tourmentés, leur intimité semble moins « compliquée » que celle des personnages survoltés auxquels les romans nous ont habitués), et j’ai été assez frustrée de m’apercevoir à la toute fin qu’il s’agissait d’un roman inachevé ! (mais on a quand même un peu de chance… même si on ne connaîtra jamais la fin de cette histoire d’amour, les dernières lignes de l’avant-dernier chapitre nous donnent des informations capitales qu’on attendait depuis un moment et qui dénouent certains tensions, même si elles sont loin de les dénouer toutes)

Extraits : à venir

Mercredi 1er septembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/dessourisetdeshommes.jpg(lu le 21 août)
Quatrième de couverture / extrait : "Lennie serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
- Lâche-moi, cria-t-elle. Mais lâche-moi donc.
Lennie était affolé. Son visage se contractait.  Elle se mit à hurler et, de l'autre main, il lui couvrit la bouche et le nez.
- Non, j'vous en prie,  supplia-t-il. Oh, j'vous en prie, ne faites pas ça. George se fâcherait.
Elle se débattait  vigoureusement sous ses mains...
- Oh, je vous en prie, ne faites pas ça, supplia-t-il.  George va dire que j'ai encore fait quelque chose de mal.  Il m'laissera pas soigner les lapins."

Mon avis : ce roman nous raconte l’histoire de Lennie, un homme costaud au bon cœur mais simple d’esprit, et George, son ami, qui veille sur lui et travaille avec lui de ranches en ranches, pour cinquante dollars par mois ; une vie dure et sans avenir comme celle de bien d’autres travailleurs qui vont croiser leur route ; ils sont ensemble depuis longtemps mais le roman se concentre sur une de leurs étapes, celle qui sera décisive.

La préface de Joseph Kessel (que je vous conseille de lire, elle est très réussie) m’avait un peu mis la puce à l’oreille, et comme Kessel le dit, la fin est « atroce et magnifique ». En fait je sors de cette lecture un peu sonnée, je ne vois pas trop quoi dire de plus, il me semble que tout a été dit ; comme le dit Kessel (avec qui je suis décidément bien d’accord), pas de monologues intérieurs ici, on n’a pas accès aux pensées des personnages ; cependant, l’essentiel est capté, les actes sont si significatifs qu’ils recouvrent des non-dits, on n’a pas besoin d’autre chose, et c’est pourtant très fort. Aucune anecdote n’est inutile, comme si tout concourrait vers cette fin.
Ce qui semble distinguer d’abord Lennie et Georges, c’est d’abord leur amitié, qui semble bizarre aux autres (Lennie étant une charge), et ensuite leur rêve, qui soutient chacune de leurs actions : s’acheter ensemble une maison avec une terre qu’ils pourront cultiver, libres et heureux – rêve qui deviendra réalité seulement si Lennie dans sa maladresse ne leur provoque d’ « embêtements », s’il est un obstacle, il n’aura pas le droit de s’occuper des lapins, la tâche au monde qui lui tient le plus à cœur et qu’il évoque sans cesse.

Il s’agit donc de personnages simples, pauvres, qui n’ont rien d’héroïque, et pourtant, leur histoire m’a fait penser à une sorte de conte moderne et effrayant ; les méchants ne sont pas ceux qu’on croit, malgré les insultes grossières qu’il lui balance sans cesse, Georges aime Lennie ; malgré les actes affreux qu’il commet par mégarde, Lennie est un personnage profondément bon et innocent ; et ce que fera Georges à la fin, acte terrible et ambigü, doit être interprété de la manière opposée à celle qui viendrait à l’esprit du témoin ignorant de toute le reste... et une telle histoire nous montre que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent, même quand elles mettent en scène des personnages qui semblent les plus ordinaires et les moins complexes qui soient….

Mais (oui, j'arrive à vous pondre un mais, que moi-même je ne comprends pas !) bizarrement, j'ai la sensation que cette histoire ne m'a pas émue autant qu'elle aurait dû, qu'elle aurait pu ; et je pense pour le coup que le problème vient de moi parce qu'objectivement, j'ai beaucoup aimé (mais justement, "beaucoup aimer" ce n'est pas une réaction objective normalement !). En fait je me dis que j'aimerais le relire, plus tard, et en VO, j'ai une petite voix qui me dit que peut-être, il me touchera peut-être plus alors, les ingrédients pour que ce livre soit un de mes coups de coeurs sont réunis et pourtant ce n'est pas le cas, et je ne parviens pas à m'expliquer pourquoi... je ne peux que vous le conseiller cependant, je ne vois pas de défauts à ce livre. (c'est peut-être ça le problème, c'est un livre trop parfait ?)

Extrait :
"Y'a pas besoin d'avoir de la cervelle pour être un brave type. Des fois, il me semble même que c'est le contraire. Prends un type qu'est vraiment malin, c'est bien rare qu'il soit un bon gars."

Vendredi 10 septembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/LecomtedeMonteCristo1.jpgRésumé : Au début du règne de Louis XVIII, Edmond Dantès, marin, second du navire Le Pharaon est accusé à tort de bonapartisme et enfermé dans une geôle du château d'If, sur l’île du même nom, au large de Marseille. Après quatorze années, il réussit à s’échapper et s’empare du trésor de l’île de Monte-Cristo, dont l’emplacement lui a été révélé par un compagnon de captivité, l’abbé Faria. Devenu riche et puissant, il entreprend, sous le nom de « comte de Monte-Cristo », de se venger de ceux qui l’ont accusé ou ont bénéficié directement de son incarcération pour s’élever dans la société.

Mon avis : je ne connaissais quasiment que de nom ce livre, je savais qu'il y avait une histoire de trésor, de captivité et de vengeance, mais c'était tout ; et connaître si peu l'intigue m'a permis sans doute de faire une lecture plus pleine de surprises que celui qui connaît déjà mieux l'histoire parce qu'il a déjà lu des critiques, a vu des films etc. Je ne vais pas vous raconter toutes les péripéties, je vais tâcher de ne pas "trop" spoiler mais je vais quand même évoquer l'histoire assez précisément, aussi si vous avez l'intention de rester vierge de tous renseignements avant de lire ce livre, ne lisez pas ce qui suit !

Voilà un excellent livre d'aventures, avec des rebondissements si extraordinaires qu'ils changent complètement la situation du héros, si bien qu'on croirait avoir plusieurs livres en un : au début, Edmond Dantès est heureux, son avenir est plein de promesses, et ce tableau joyeux nous rend les personnages sympathiques, on les voit sous leur meilleur jour ; le complot ignoble qui va vite se tramer et tout bouleverser, la malchance qui va frapper notre héros nous indigne d'autant plus.
J'ai adoré tout le passage (assez long) qui raconte la vie d'Edmond Dantès en prison : son désespoir, sa peur de devenir fou, ses envies de suicide, et ensuite sa rencontre inespérée avec l'abbé Faria qui va être une vraie renaissance pour lui, et lui permettre de forger son esprit, toute cette parte du livre m'a profondément charmée... et alors même que nous étions installés, habitués à cette situation passionnante d'un point de vue psychologique, mais très calme au niveau des faits mêmes, l'action reprend brusquement d'une façon surprenante, avec un très beau revirement de situation. Evasion, rencontre avec des contrebandiers, chasse au trésor... ça n'arrête pas.

Par la suite, j'ai d'abord été un peu déçue que l'histoire ne suive plus Edmond Dantès d'aussi près qu'au début, en nous privant de son intimité : quand il était en prison, nous étions au courant de chacun de ses tourments, de toutes ses pensées, de son désir de vengeance naissant... après son évasion, l'auteur nous éloigne volontairement d'Edmond Dantès, qui n'est plus jamais désigné sous ce nom, mais sous celui de "comte de Monte-Cristo" ; oh, bien sûr, il est toujours au centre de l'action, puisqu'il a toujours un rôle dominant dans les aventures que vont connaître des personnages secondaires auxquels on va alors s'intéresser, mais notre statut de lecteur s'est un peu modifié : on voit son retour au monde de façon plus indirecte, de loin ; on voit s'exécuter lentement, mais de façon réfléchie (tellement réfléchie qu'on se demande parfois où il veut en venir) son plan, dont nous ignorons tous les détails ; alors que nous avions été si proches de lui, ses pensées deviennent indécelables ou presque... mais être ainsi coupé des pensées du héros a son intérêt, cela nous permet d'apprécier encore plus le génie  de son plan (qui reste encore très flou à la fin du tome 1), qu'on découvre en même temps que tous les autres personnages car on n'arrive pas à le deviner... mais la connaissance préalable qu'on a eu du personnage nous permet aussi de voir le second degré de certaines de ses paroles, de saisir l'ironie de certaines situations.

Le changement de personnalité d'Edmond Dantès est assez étonnant : avant son incarcération, il était un jeune homme de belle humeur, amoureux, mais vulnérable ; il deviendra un homme  immensément riche et puissant, doté d'une aura de merveilleux qui nous fait songer à un prince de conte oriental, mais surtout, mystérieux : on n'arrive pas trop à savoir si ses actions splendides, qui en déconcerteront plus d'un, découlent de sa philantropie, ou s'il est pas au contraire un misanthrope qui cache ses véritables intentions pour mieux réussir, s'il n'agit pas ainsi que pour faire connaître sa puissance, et manipuler son monde...

On a donc une atmosphère générale très riche, dense, et, comme je l'ai déjà dit, souvent empreinte de merveilleux, qui se développe pourtant dans un cadre tout à fait réaliste : l'évocation de la vie politique en France (j'avais peur de ne pas avoir assez de connaissances historiques en tête et de m'y perdre mais ça n'a pas été le cas), et surtout de la vie mondaine à Rome et à Paris, sont très intéressantes et bien menées. Le tout est soutenu par un style très élégant, qui reste tout à fait fluide sans jamais être trop simple (ce que je reprochais aux Piliers de la Terre par exemple) : c'est un style assez minutieux, avec pas mal de descriptions, que cela concerne les personnages, les lieux, les objets, mais en même temps assez vif, puisqu'on a aussi suffisamment de dialogues, qui ne manquent ni d'esprit ni de verve.

Seul petit regret : j'aurais aimé que les personnages féminins aient plus de place, et soient autre chose que les fiancées ou épouses des autres  personnages qui ont bien plus d'importance... et j'ai notamment été très étonnée (et un peu déçue) que le premier soin d'Edmond Dantès à sa sortie de prison n'ait pas été de chercher à rejoindre Mercedes ! Mais à la fin de ce premier tome, les bases de la vengeance de notre héros sont à peine posées, et sans nul doute, mes questions et attentes trouveront leur réponse dans le tome 2.

 
Ce livre a fait l'objet d'une Lecture Commune
avec d'autres membres de Livraddict
(liens vers d'autres billets à venir)

Vendredi 17 septembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lecomtedemontecristo2.jpgRésumé (oui, c'est le même que pour le tome 1, mais en même temps c'est la suite alors...) : Au début du règne de Louis XVIII, Edmond Dantès, marin, second du navire Le Pharaon est accusé à tort de bonapartisme et enfermé dans une geôle du château d'If, sur l’île du même nom, au large de Marseille. Après quatorze années, il réussit à s’échapper et s’empare du trésor de l’île de Monte-Cristo, dont l’emplacement lui a été révélé par un compagnon de captivité, l’abbé Faria. Devenu riche et puissant, il entreprend, sous le nom de « comte de Monte-Cristo », de se venger de ceux qui l’ont accusé ou ont bénéficié directement de son incarcération pour s’élever dans la société.

Mon avis : ne diffère pas énormément de l'avis que j'ai sur le premier tome alors j'ai envie de vous dire : cf mon avis sur le tome 1 !

Plusieurs choses à noter tout de même : la lecture du début de ce second tome n'a pas été aisée. Mais j'explique : après avoir fini le tome 1, je n'ai pas lu pendant deux jours, et puis j'ai eu envie de relire Jours sans faim de Delphine de Vigan (que j'ai encore plus aimé que lors de ma 1ère lecture soit dit en passant), je m'étais donc un peu extraite de l'univers construit par Alexandre Dumas... et j'ai eu du mal à ré-entrer dedans parce que certaines choses étaient devenues légèrement floues, j'avais emmêlé les noms de deux ou trois personnages, oublié qui était bidule et quel était son lien avec machin, et il y a donc eu un moment de flottement où j'étais un peu paumée, il a fallu que je me pose pour me récapituler tout ça ! ^^ c'est pourtant pas extrêmement compliqué (d'ailleurs j'ai quand même retrouvé assez rapidement le fil), et c'est très logique, mais bon, je suis un peu un boulet (pour info, quand je lis une pièce de théâtre j'ai tellement peur de m'embrouiller que je recopie la liste des personnages en dessinant leur arbre généalogique, c'est souvent inutile mais ça me rassure). Et puis, j'avais hâte que la vengeance minutieusement amenée par le comte porte enfin ses fruits !

Et quels fruits ! Comme dit dans mon avis sur le tome 1, c'est une vengeance subtile et terrible, j'avais peur qu'elle soit répétitive, mais ce n'est pas le cas, le comte de Monte-Cristo ne réserve pas le même sort à tous, et quand enfin elle survient, progressivement mais de tous côtés, j'ai trouvé la lecture complètement prenante et mon plaisir a été encore plus grand qu'à la lecture des passages que j'ai préférés dans le tome 1 !

Côté personnages féminins, je suis un peu déçue par Mercédès, j'aurais aimé qu'elle reprenne le pouvoir dans le tome 2 mais elle garde son rôle de victime et c'est triste. Haydée est bien, elle a une certaine prestance, mais je l'aime pas trop, je ne saurais pas vous expliquer pourquoi, c'est comme Valentine,  que j'ai trouvée gentille mais sans plus. Non, étrangement, celle qui m'a agréablement surprise (alors qu'au début je trouvais qu'elle ne servait à rien et elle m'agaçait, mais c'était parce que je ne la connaissais pas encore), c'est Eugénie, la fille de Danglars ! Enfin une femme indépendante qui refuse la vie qu'on veut lui imposer, sans tomber pour autant dans le schéma bêbête de l'héroïne classique ! J'ai l'impression que l'auteur ne l'adore pas, et donc, tant mieux pour nous, il nous épargne les éloges ridicules que font souvent les auteurs de leurs personnages favoris (je suis un peu de mauvaise foi, Dumas ne fait pas trop ça). Et puis, je suis persuadée qu'Eugénie finira en couple avec Louise d'Armilly (si elle ne l'est pas déjà dans le livre), et ça me fait plaisir (mais bon peut-être que c'est juste moi qui fantasme hein).

Un dernier mot pour exprimer mon admiration pour le comte : je l'aime tellement que sur Livraddict je l'ai cité dans mon top 3 héros masculins (le n°1 bien sûr c'est Heathcliff, dans les Hauts de Hurlevent, et le n°2 c'est Alceste, héros du Misanthrope). Edmond Dantès a la classe absolue sans être déshumanisé pour autant puisqu'il fait aussi des erreurs et a des émotions (même s'il essaie souvent de les cacher, il me semble qu'elle sont quand même plus perceptibles dans le tome 2, j'ai aimé sa relation avec Albert et surtout celle avec Maximilien Morrel). Bon, je suis pas d'accord avec un choix qu'il fait à l'extrême fin, mais tant pis pour moi, il est libre hein ! (et je n'en dirai pas plus pour ne pas spoiler. Et puis si j'ai bien compris de toute façon, certaines adaptations cinématographiques - j'en ai vu aucune, mais j'ai vu des extraits - ont une fin un peu différente, qui me plaira plus). J'ai aussi trouvé pas mal de similitudes entre Edmond Dantès et V (qui admire Edmond Dantès, d'ailleurs, donc c'est normal) (dans le film V pour Vendetta bien sûr), et c'est chouette ! :D

Citations :
"Quand on vit avec des fous, il faut faire aussi son apprentissage d'insensé."

"Les gens qui ne questionnent pas sont les plus habiles consolateurs."

"J'aime la mer comme on aime une maîtresse, et quand il y a longtemps que je ne l'ai vue, je m'ennuie d'elle."

"Les hommes vraiment généreux sont toujours prêts à devenir compatissants, lorsque le malheur de leur ennemi dépasse les limites de leur haine."

"Je ne serais pas artiste s'il ne me restait pas quelques illusions."

Samedi 2 octobre 2010


Quatrième de couverture : L'histoire se passe au Moyen Age, à la cour du roi Arthur, pendant le festin de l'Ascension. Un prince étranger, le noir Méléagant, vient troubler la fête : il lance un défi au roi, bat en duel son malheureux sénéchal et, pour prix de sa victoire, enlève la reine Guenièvre.
Alors paraît un chevalier venu de nulle part, le vaillant et preux Lancelot, qui entreprend de la délivrer...
Le récit de cette quête initiatique est, au même titre que la légende de Tristan et Iseut, une bible romanesque de la pensée courtoise. Plus qu'un art d'aimer, c'est un art de vivre.

Mon avis : troisième œuvre de Chrétien de Troyes que je lis, et je crois bien que c'est celle que je préfère !!! Perceval et le conte du Graal était assez sympathique à lire mais l'aspect religieux prenait trop de place à mon goût ; et j'ai reproché à Yvain, héros du Chevalier au lion, de parfois préférer son honneur à sa dame... les valeurs chevaleresques peuvent être très belles mais je trouve que Perceval et Yvain sont plus vaillants que galants, et ça m'avait quand même un peu déçue... tandis que Lancelot est à mes yeux le chevalier parfait puisqu'il n'hésite pas à tout faire pour séduire celle qui fait battre son cœur (vous voyez que je peux être niaise, des fois), quitte à subir le blâme des autres chevaliers trop conventionnels !

La religion, et même la morale, m'ont semblé moins écrasantes que dans les deux autres contes que j'ai déjà lus ; les références à Dieu sont finalement assez rares. Les hyperboles propres au style moyen-âgeux, m'ont paru moins lourdes, peut-être parce qu'elles sont formulées de façon moins répétitive ? (ou alors c'est moi qui me suis habituée à ce style, je ne sais pas....) Et on peut deviner parfois une certaine distance entre l'auteur et son discours, les exploits de Lancelot sont parfois loués avec une telle emphase qu'on sent une touche d'ironie ! Ironie qui apparaît aussi sous d'autres formes, dans les paroles mêmes des personnages, qui ne sont pas si vertueux que ça.

J'ai adoré le personnage de Guenièvre, malgré son air impitoyable elle n'est pas si farouche que ça (mais elle est sadique quand même, ahah) (et un peu masochiste aussi, mais vous comprenez, un amour aussi absolu que le leur entraîne bien un peu de soumission, d'un côté comme de l'autre !). J'ai d'ailleurs été très surprise et amusée par la scène de la "nuit d'amour", je ne pensais pas du tout trouver une scène de ce genre chez Chrétien de Troie (bon, rien de porno non plus hein, qu'est-ce que vous allez imaginer... mais quand même) ! J'ai aussi été étonnée de constater que personne ne semble d'offusquer du caractère illégitime de l'amour entre Guenièvre et Lancelot, alors qu'elle est la femme du roi Arthur, rien que ça ! On a même droit à un quiproquo scabreux que j'ai trouvé plutôt drôle. De manière générale, j'ai aimé le rôle que tiennent les personnages féminins dans ce conte, elles agissent et ne sont pas simplement des "lots de récompense".

Les aventures que connaît Lancelot, même si elles ne sont pas très originales (on garde le schéma classique du roman de chevalerie), ne m'ont pas ennuyée, les scènes que j'ai le moins appréciées sont celles qui décrivent les combats, mais je les ai trouvés quand même relativement variées et inventives, on visualise facilement la scène. Ces scènes d'action, et le fait que le narrateur s'adresse assez régulièrement au lecteur/à son auditoire, animent le texte et j'imagine bien à quel point ces récits pouvaient avoir de succès au Moyen Âge !

Les notes de mon édition (pas trop longues, pas trop fréquentes, pertinentes... j'ai apprécié celles que j'ai lues !) m'ont permis de mieux comprendre le second degré du texte, on voit que chaque épreuve est significative, et  que le tout représente un vrai cheminement symbolique ; les analyses psychanalytiques proposées ne m'ont pas semblé dénuées d'intérêt (même si j'avoue que je ne les ai pas toutes lues jusqu'au bout, je n'avais pas envie de faire une lecture très poussée). J'ai trouvé la traduction satisfaisante (j'ai eu à traduire des textes d'ancien français à la fac et je peux vous assurer que ce n'est pas évident de trouver des formulations en français moderne qui restent fidèles au texte original sans être lourdes !), un peu plus archaïsante que ce mon prof nous recommandait mais rien qui choque vraiment à la lecture.

Extraits :
"Parler l'importune car il préfère s'enfoncer dans ses pensées. Amour ravive fréquemment la plaie qu'il  lui a faite. Jamais on n'y mit d'emplâtre pour la guérir et lui faire recouvrer la santé car le blessé n'a cure des remèdes et des médecins tant que sa plaie ne porte pas atteinte à sa vie ; on dirait au contraire qu'il recherche avec délectation à en souffrir..."

"Puisqu'il est mort, je suis bien lâche de rester encore en vie. Mais la vie ne doit-elle pas m'être moins insupportable si en lui survivant je tire tout mon bonheur des tourments que j'endure pour lui ? Si après sa mort, je trouve là ma consolation, alors, quel bonheur lui aurait causé, quand il était encore en vie, cette souffrance dans laquelle je me délecte ! Elle est bien lâche celle qui préfère mourir plutôt que de souffrir à cause de son ami. Certes il m'est doux de supporter le plus longtemps possible ma douleur : je préfère vivre et souffrir la rigueur du destin que de mourir pour trouver un repos éternel."

Vendredi 15 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/silbermann.gifQuatrième de couverture / extrait :
" Je suis content, bien content, que nous nous soyons rencontrés... je ne pensais pas que nous pourrions être camarades.
- Et pourquoi ? " demandai-je avec une sincère surprise... Sa main qui continuait d'étreindre la mienne, comme s'il eût voulu s'attacher à moi, trembla un peu. Ce ton et ce frémissement me bouleversèrent. J'entrevis chez cet être si différent des autres une détresse intime, persistante, inguérissable, analogue à celle d'un orphelin ou d'un infirme. Je balbutiai avec un sourire, affectant de n'avoir pas compris : " Mais c'est absurde... pour quelle raison supposais-tu...
- Parce que je suis juif ", interrompit-il nettement et avec un accent si particulier que je ne pus distinguer si l'aveu lui coûtait ou s'il en était fier."

Mon avis : un livre que mon frère (en classe de troisième) était censé lire pour les cours (mais ce petit gredin se vante d'avoir fait son contrôle de lecture sans l'avoir lu -_-) et que j'ai eu envie de lire avant qu'il ne le rende. 123 pages, cela ne m'a donc pas pris longtemps. Je n'avais jamais entendu parler de Jacques de Lacretelle, quelques recherches m'ont appris qu'il a fait partie de l'Académie Française. Ce court roman nous narre l'amitié entre un collégien protestant (le narrateur) et son camarade juif (David Silbermann).

Je savais que l'antisémitisme en France au début du siècle était important, mais je n'avais jamais vraiment réfléchi à la manière dont il pouvait se manifester concrètement, et là on en a un exemple frappant : Silbermann, un adolescent cultivé, curieux, intelligent, doit sans cesse subir des brimades et des mises à l'écart de la part de l'ensemble des élèves. Seul le narrateur s'attache à lui et lui témoigne de l'amitié. Leur amitié les isole bientôt du reste du groupe, et devient exclusive ; elle change complètement la vie du narrateur, en effet Silbermann parvient à lui transmettre l'amour de la littérature et ouvre de nouveaux horizons à son ami. J'ai particulièrement aimé les passages où Silbermann s'enflamme pour des auteurs. Le narrateur est ébloui par l'esprit de son ami, lui est dévoué, le soutient toujours, mais j'ai regretté que ce soutien soit silencieux, il ne le défend jamais ouvertement et considère lui-même l'amitié qu'il a pour Silbermann comme un noble sacrifice.

L'injustice des persécutions dont Silbermann est l'objet est certes clairement dénoncée, mais d'un autre côté, l'auteur n'échappe pas complètement aux préjugés de l'époque en présentant tout de même le personnage de Silbermann comme différent, à cause de son appartenance ethnique (wikipedia dit : "Sans être antisémite, Lacretelle partage pourtant les théories racistes de Gobineau"...) . Le terme de "race" est plusieurs fois employé (mais il était courant à l'époque, cela n'a donc rien d'étonnant qu'il apparaisse dans ce roman), mais ce qui m'a gênée surtout, c'est l'association entre certains traits de caractère, une certaine façon de penser, et le fait d'être juif ; à un moment donné, Silbermann fait tout un discours et parle au nom de son peuple, cela peut paraître étonnant qu'un jeune garçon ait de telles pensées, mais c'est aussi compréhensible : rejeté de tous côtés, il revendique son judaïsme par orgueil, pour se protéger et lutter contre ses ennemis. Ce roman a été écrit en 1922 et certains passages sont vraiment effrayants quand on sait ce qui s'est passé par la suite ! o_O (notamment quand Silbermann parle d"une guerre qu'on prépare contre nous", ma citation est peut-être inexacte mais je n'ai plus le livre sous la main pour vérifier)

L'auteur nous dresse donc un tableau des mentalités de l'époque en nous faisant sentir qu'il existait divers degrés de l'antisémitisme : ainsi le narrateur comprend que sa mère, tout en se défiant d'être antisémite, se méfie tout de même de son ami... et lui-même, malgré son amitié sincère pour Silbermann, finira par renoncer à ses idéaux humanites. Ce livre a quelque chose du roman d'apprentissage puisque peu à peu le narrateur va quitter le monde de l'enfance en voyant de façon plus claire ce qui l'entoure, il va progressivement s'affranchir du cocon familial... même si la fin pessimiste remet beaucoup en question la réussite de cet apprentissage. J'ai aimé ce roman pour son réalisme, la subtilité de ses analyses psychologiques, et parce que cette amitié m'a touchée, de même que la passion de Silbermann pour les livres.

Ce roman m'a fait penser à L'ami retrouvé de Fred Uhlman, et à Aliocha de Henri Troyat, mais de trois oeuvres,  ma préférence va sans doute à Lacretelle dont j'ai particulièrement aimé la plume, classique mais assez soignée et fine pour me plaire.

Dimanche 31 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/dominique.jpgCHALLENGE ABC 2010, 23ème livre lu ♦

Quatrième de couverture : Un jour de chasse, le narrateur lie connaissance avec M. de Bray, que tout le monde appelle Dominique, et qui vient d'abattre un coq de perdrix qui revenait à son voisin. Les relations intimes bientôt nouées entre les deux hommes conduisent Dominique à faire à son ami le récit enchâssé, la confidence mélancolique de sa vie tourmentée et de son impossible amour de jeunesse pour Madeleine. Notable aimé de tous, père de famille comblé et paisiblement retiré sur ses terres, Dominique tourne le dos à son siècle, et son énigme n'est pas dans le récit qu'il nous fait, mais dans la conclusion qu'il n'en tire pas : est-il heureux comme il le semble, et vraiment guéri de son passé ? En 1863, Eugène Fromentin, qui est peintre, donne avec Dominique, son premier et unique roman.

Mon avis : un assez beau roman, des critiques plutôt négatives que j'avais lues il y a quelque temps m'avaient fait un peu peur, je craignais de m'ennuyer, mais finalement j'ai pu le lire dans la journée sans problème. Le début n'est pas des plus palpitants cependant, j'aurais aimé que le récit enchâssé arrive un peu plus vite. Comme c'est un récit rétrospectif et qu'on connaît donc la situation de Dominique à la fin du roman (marié avec une femme qui n'est pas son grand amour de jeunesse, retiré en province...), on se doute que l'histoire d'amour qu'il va nous raconter est vouée à l'échec, mais j'ai quand même été agréablement surprise ! Le Dominique plus âgé qui conte son histoire semble d'un tempérament très calme, peu propre à s'enflammer, mais on comprend vite que ce n'est que résignation, tant cet état d'esprit contraste avec le caractère plus vif qu'il a eu dans sa jeunesse... et son histoire d'amour n'est pas si décevante que ça.

J'aurais quand même aimé le voir plus combattif, le ton est souvent plaintif... mais comme son amour est impossible et que le personnage n'est qu'un adolescent quand il rencontre sa Madeleine, ses craintes et sa timidité sont touchantes. Ma quatrième de couverture (différente de celle que je vous propose) parle d'"un chef d'oeuvre du roman psychologique", il est vrai que l'analyse des sentiments des personnages fait l'intérêt du roman mais j'aurais aimé que l'auteur aille plus loin, que le dénouement soit plus développé surtout, entre la fin de son histoire d'amour de jeunesse et la situation présente du personnage il n'y a pas vraiment de transition, j'aurais aimé par exemple que sa rencontre avec celle qui sera sa femme soit racontée, qu'on connaisse les sentiments de Dominique à ce moment-là.... et les personnages secondaires (Augustin et Olivier, précepteur et ami de Dominique) ont un caractère opposé et un bon potentiel romanesque, mais j'aurais aimé aussi qu'on connaisse plus en détail leur vie, on les perd un peu de vue au fur et à mesure du récit, même si sera mis plus tard au courant de leur situation.

Les notes ont m'ont aussi un peu gâché le plaisir, je les ai trouvé trop critiques, sans arrêt des parallèles sont faits entre ce roman et des oeuvres de Flaubert, Musset, Balzac, Chateaubriand, Stendhal... avec l'impression à chaque fois que le roman qu'on est en train de lire ne sort pas gagnant de ces comparaisons et que celui qui a rédigé ces notes voulait pointer le manque d'originalité de Fromentin (et je trouve pas ça très cool, d'autant plus que personnellement je n'aurais pas fait ces parallèles de moi-même, même si on sent bien que les thèmes de ce roman ne sont pas nouveaux).

Une particularité de ce roman quand même : le personnage dit lui-même avoir une grande mémoire des sensations que des lieux et des atmosphères ont provoqué chez lui, et on a donc pas mal de descriptions de paysages, souvent en accord avec l'état d'esprit du héros, ce qui donne une ambiance particulière au texte. Dominique a un domaine au bord de la mer, mais il s'intéresse bien plus à ses forêts et à ses champs - ce qui peut sembler dommage, des descriptions maritimes m'auraient plus plu, mais c'est logique : la campagne un peu plate, un peu triste est à l'image du personnage résigné, et il parvient assez bien à exprimer ce qui fait pour lui le charme de ce paysage. (bon je suppose que ce n'est pas extrêmement original, cela fait penser notamment aux "paysages intérieurs" des poèmes romantiques, mais au moins ces passages-là n'ont pas été sans arrêt comparés à des passages d'autres œuvres et je les ai trouvés bien faits).

Ma quatrième de couverture présente aussi ce roman comme un "roman politique" : je n'ai pas lu l'introduction qui développait cette thèse mais je pense comprendre de quoi il est question : ce roman fait écho aux désillusions dans le domaine politique que de nombreuses personnes retirées suite à des espoirs déçus ont connu à cette époque... mais ce rapprochement est plutôt métaphorique, on n'est (et j'ai envie de dire, heureusement !) pas écrasé par cet aspect des choses ; certes, Dominique a été l'auteur d'écrits politiques, mais cette thématique reste assez implicite, aucun nom n'est évoqué, il y a peu de dates, le récit est rythmé par la succession des saisons et ce sont bien les sentiments amoureux de Dominique qui restent toujours au premier plan... et j'ai été soulagée que l'aspect historique et politique ne soient pas trop développé.

Mon avis est un peu en demi-teinte, je ne pense pas que ce roman me marquera énormément et la plume de Fromentin dans son ensemble ne m'a pas éblouie (même si certains passages m'ont plus spécialement plu !), mais ça a été une lecture agréable et intéressante, et plus chargée en émotions finalement que ce à quoi je m'attendais !

Extrait : (d'une lettre d'Augustin à Dominique adolescent)
"Ecrivez-moi plus souvent. Ne dites pas que je connais d'avance votre vie et que vous n'avez rien à m'en apprendre. A l'âge où vous avez et dans un esprit comme le vôtre, il y a chaque jour du nouveau. Vous souvenez-vous de l'époque où vous mesuriez les feuilles naissantes et me disiez de combien de lignes elles avaient grandi sous l'action d'une nuit de rosée ou d'une journée de fort soleil ? Il en est de même pour les instincts d'un garçon de votre âge. Ne vous étonnez pas de cet épanouissement rapide, qui, si je vous connais bien, doit vous surprendre et peut-être vous effrayer. Laissez agir des forces qui n'auront chez vous rien de dangereux : parlez-moi seulement pour que je vous connaisse ; permettez-moi de vous voir tel que vous êtes, et c'est moi, à mon tour, qui vous apprendrai de combien vous aurez grandi. Surtout soyez naïf dans vos sensations. Qu'avez-vous besoin de les étudier ? N'est-ce point assez d'en être ému ? La sensibilité est un don admirable ; dans l'ordre des créations que vous devez produire, elle peut devenir une rare puissance, mais à une condition, c'est que vous ne la retournez pas contre vous-même."

Dimanche 5 décembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/LesTroisMousquetairesok.jpg
Article publié le 5 décembre
parce que c'est une lecture commune
mais écrit pour de vrai le 23 nov.
juste après ma lecture)


D'autres avis :
Florel, Caelina, Lynnae, latite06, Avalon


Résumé : Le roman raconte les aventures d'un Gascon désargenté de 18 ans, d'Artagnan, monté à Paris faire carrière afin de devenir mousquetaire. Il se lie d'amitié avec Athos, Porthos et Aramis, mousquetaires du roi Louis XIII. Ces quatre hommes vont s'opposer au premier ministre, le Cardinal de Richelieu et ses agents, dont la belle et mystérieuse Milady de Winter, pour sauver l'honneur de la reine de France Anne d'Autriche. Avec ses nombreux combats et ses rebondissements romanesques, Les Trois mousquetaires est l'exemple type du roman de cape et d'épée.

Mon avis : Yeah ! Mirifique ! Sérieusement, après avoir beaucoup beaucoup aimé Le Comte de Monte-Cristo (t.1 / t.2), j'avais d'un côté envie de retrouver le style de Dumas qui m'avait enthousiasmée, et de l'autre, j'avais peur d'être déçue, car malgré tout le bien qu'on (et particulièrement Matilda) m'avait dit, Les Trois Mousquetaires me tentait a priori moins, cela fait des années d'ailleurs que ce livre attend dans ma bibliothèque ! (j'ai une édition que trouve très belle, moi qui ne jure que par les poches, je dois admettre  que c'est quand même fichtrement agréable d'avoir un si bel objet dans les mains, je pense que ça a accru le plaisir que j'ai pris à cette lecture ! (bon, je dis ça parce que je l'ai lu chez moi, parce que cela n'aurait pas été très pratique dans les transports en commun ^^))

Dans mon esprit inculte, les trois mousquetaires - dont je connaissais quand même les noms, Athos, Porthos, Aramis... et d'Artagnan - sans oublier Albeeeert, le 5ème mousquetaire ! (pardon, j'ai pas pu m'en empêcher XD) - étaient un peu les héritiers des chevaliers du Moyen Âge : des militaires courtois, prêts à se battre pour leur honneur et tout le toutim. Bon, je n'étais pas si éloignée que cela, mais j'ai quand même été très surprise par la personnalité et le comportement des personnages, je les ai trouvés.... étonnamment turbulents ! Je les imaginais beaucoup plus calmes, posés et .... retirés du monde, je ne sais pas pourquoi ^^ (maintenant que j'y repense ça me semble idiot, je ne sais pas du tout d'où m'était venue cette image des mousquetaires mais elle était fermement ancrée dans mon esprit en tout cas !)

Ce sont en fait des hommes tr�s � l'aise dans la vie mondaine, au fait de toutes les intrigues qui se nouent, courageux et prêts à défendre leur honneur en effet.... mais leur courage m'a paru souvent être de l'inconscience, tant ils semblent parfois chercher les conflits, se lançant sans arrê dans des duels, avec une joie et un entrain qui ne parvient pas à nous faire oublier qu'ils peuvent à chaque fois y perdre la vie ! Je les ai trouvés dépensiers, excessifs, ils en font un peu voir de toutes les couleurs à leurs pauvres laquais, même dans le cas où ils sont amoureux leur constance est douteuse.... et là vous vous dites que ce portrait n'est pas très flatteur et que je condamne ces personnages ? Mais non ! Disons qu'ils n'incarnent pas un idéal de perfection.... mais leurs défauts les rendent tout à fait humains et sympathiques !
Chacun des personnages a sa propre personnalité ses propres travers.... Athos (peut-être mon préféré ?) le bon compagnon cache un passé mystérieux, Porthos est peut-être le plus fanfaron, Aramis le faussement vertueux jure de rentrer dans les ordres à chaque fois que sa maîtresse le laisse trop longtemps sans nouvelles, et d'Artagnan enfin, qui est le personnage principal mais n'est pas mousquetaire au début, est un peu le petit jeune qui vient apporter une touche de fraîcheur en plus à cette joyeuse bande ! L'inconséquence et l'impertinence des mousquetaires m'a souvent fait sourire ! J'ai été complètement séduite par l'humour des personnages - et du narrateur - et j'ai trouvé cette lecture encore plus entraînante que le Comte de Monte-Cristo.

L'action en effet ne manque pas, et j'ai apprécié le dosage équilibré entre les évènements qui relèvent de la vie privée des mousquetaires - tout ce qui concerne leurs amours et leurs manigances afin de se procurer suffisamment d'argent pour mener à bien leurs missions et avoir la belle vie - et ceux qui découlent de leurs aventures "publiques", missions liés à leur métier de mousquetaires (= gardes royaux, je le précise parce qu'avant de commencer ma lecture je ne le savais même pas ^^). Les deux niveaux vont d'ailleurs vite s'entremêler, ce qui donne plus de richesse et de profondeur à l'intrigue : les aventures personnelles des personnages sont liées au contexte politique, ce qui leur donne une certaine envergure, ce ne sont plus simplement des petites histoires insignifiantes de militaires... et vice-versa, les évènements historiques dont il est question, en ayant une forte résonance dans la vie des personnages, sont rendus romanesques et nous paraissent donc plus proches, plus réels ! Ma connaissance du contexte historique était assez floue mais je n'ai pas été perdue ; je ne peux encore une fois qu'admirer le talent de Dumas qui, tout en faisant comme si le lecteur savait bien de quoi il parlait, nous donne assez d'informations-clé pour qu'on suive sans problème.... et c'est cet aspect qui rend le roman assez facile d'accès et universel ! :D Le cardinal de Richelieu, la reine Anne d'Autriche, le duc de Buckingham... tous ces personnages illustres prennent vie sous nos yeux en intervenant directement dans la vie de nos chers mousquetaires ! :') (je m'emballe, je m'emballe, mais c'est parce que j'ai grave kiffé voyez-vous !)

Mais venons-en à ce qui a été pour moi la cerise sur le gâteau (promis après je me tais). Vous vous souvenez (ou pas, mais faisons comme si), j'avais été un peu déçue par l'absence de personnage féminin vraiment frappant dans le Comte de Monte Cristo.... mais alors là Alexandre Dumas se rattrape, et plutôt deux fois qu'une, et me comble en nous offrant le sublime personnage de Milady !!!! Dangereuse Milady, personnage fort et effrayant, femme fatale à mort et qui donnera bien du fil à retordre à nos pauvres mousquetaires ! Vu ce qu'elle fait je l'ai détestée.... mais j'ai adoré son côté machiavélique, c'est un personnage exceptionnel, qui mérite une bonne place dans mon top 10 des grands-méchants-qui-tuent (je n'ai pas établi de tel top mais si j'en avais un, dedans il y aurait aussi Voldemort, ça vous donne une idée du niveau !).

J'ai donc adoré ce roman, et quand je ferai le bilan de l'année fin décembre je devrai nommer Alexandre Dumas dans la liste des auteurs extraordinaires découverts en 2010 ! C'est donc un livre que je vous recommande ! Des adaptations cinématographiques dignes de ce nom à me conseiller ? :)

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"Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé.", Montesquieu

Un livre au hasard

Il ne se passait rien...
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