Vendredi 15 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/silbermann.gifQuatrième de couverture / extrait :
" Je suis content, bien content, que nous nous soyons rencontrés... je ne pensais pas que nous pourrions être camarades.
- Et pourquoi ? " demandai-je avec une sincère surprise... Sa main qui continuait d'étreindre la mienne, comme s'il eût voulu s'attacher à moi, trembla un peu. Ce ton et ce frémissement me bouleversèrent. J'entrevis chez cet être si différent des autres une détresse intime, persistante, inguérissable, analogue à celle d'un orphelin ou d'un infirme. Je balbutiai avec un sourire, affectant de n'avoir pas compris : " Mais c'est absurde... pour quelle raison supposais-tu...
- Parce que je suis juif ", interrompit-il nettement et avec un accent si particulier que je ne pus distinguer si l'aveu lui coûtait ou s'il en était fier."

Mon avis : un livre que mon frère (en classe de troisième) était censé lire pour les cours (mais ce petit gredin se vante d'avoir fait son contrôle de lecture sans l'avoir lu -_-) et que j'ai eu envie de lire avant qu'il ne le rende. 123 pages, cela ne m'a donc pas pris longtemps. Je n'avais jamais entendu parler de Jacques de Lacretelle, quelques recherches m'ont appris qu'il a fait partie de l'Académie Française. Ce court roman nous narre l'amitié entre un collégien protestant (le narrateur) et son camarade juif (David Silbermann).

Je savais que l'antisémitisme en France au début du siècle était important, mais je n'avais jamais vraiment réfléchi à la manière dont il pouvait se manifester concrètement, et là on en a un exemple frappant : Silbermann, un adolescent cultivé, curieux, intelligent, doit sans cesse subir des brimades et des mises à l'écart de la part de l'ensemble des élèves. Seul le narrateur s'attache à lui et lui témoigne de l'amitié. Leur amitié les isole bientôt du reste du groupe, et devient exclusive ; elle change complètement la vie du narrateur, en effet Silbermann parvient à lui transmettre l'amour de la littérature et ouvre de nouveaux horizons à son ami. J'ai particulièrement aimé les passages où Silbermann s'enflamme pour des auteurs. Le narrateur est ébloui par l'esprit de son ami, lui est dévoué, le soutient toujours, mais j'ai regretté que ce soutien soit silencieux, il ne le défend jamais ouvertement et considère lui-même l'amitié qu'il a pour Silbermann comme un noble sacrifice.

L'injustice des persécutions dont Silbermann est l'objet est certes clairement dénoncée, mais d'un autre côté, l'auteur n'échappe pas complètement aux préjugés de l'époque en présentant tout de même le personnage de Silbermann comme différent, à cause de son appartenance ethnique (wikipedia dit : "Sans être antisémite, Lacretelle partage pourtant les théories racistes de Gobineau"...) . Le terme de "race" est plusieurs fois employé (mais il était courant à l'époque, cela n'a donc rien d'étonnant qu'il apparaisse dans ce roman), mais ce qui m'a gênée surtout, c'est l'association entre certains traits de caractère, une certaine façon de penser, et le fait d'être juif ; à un moment donné, Silbermann fait tout un discours et parle au nom de son peuple, cela peut paraître étonnant qu'un jeune garçon ait de telles pensées, mais c'est aussi compréhensible : rejeté de tous côtés, il revendique son judaïsme par orgueil, pour se protéger et lutter contre ses ennemis. Ce roman a été écrit en 1922 et certains passages sont vraiment effrayants quand on sait ce qui s'est passé par la suite ! o_O (notamment quand Silbermann parle d"une guerre qu'on prépare contre nous", ma citation est peut-être inexacte mais je n'ai plus le livre sous la main pour vérifier)

L'auteur nous dresse donc un tableau des mentalités de l'époque en nous faisant sentir qu'il existait divers degrés de l'antisémitisme : ainsi le narrateur comprend que sa mère, tout en se défiant d'être antisémite, se méfie tout de même de son ami... et lui-même, malgré son amitié sincère pour Silbermann, finira par renoncer à ses idéaux humanites. Ce livre a quelque chose du roman d'apprentissage puisque peu à peu le narrateur va quitter le monde de l'enfance en voyant de façon plus claire ce qui l'entoure, il va progressivement s'affranchir du cocon familial... même si la fin pessimiste remet beaucoup en question la réussite de cet apprentissage. J'ai aimé ce roman pour son réalisme, la subtilité de ses analyses psychologiques, et parce que cette amitié m'a touchée, de même que la passion de Silbermann pour les livres.

Ce roman m'a fait penser à L'ami retrouvé de Fred Uhlman, et à Aliocha de Henri Troyat, mais de trois oeuvres,  ma préférence va sans doute à Lacretelle dont j'ai particulièrement aimé la plume, classique mais assez soignée et fine pour me plaire.
Par Anne-Laure le Vendredi 15 octobre 2010
Je l'ai lu en classe de troisième et j'ai tout simplement adoré ! Un petit goût de l'ami retrouvé quand même...mais c'est un livre sublime !
Par saverio le Mardi 26 mars 2013
Je suis un italien agé de 65 ans qui connait un peu le francais (mon ordinateur n'a pas les caractères francais). J'ai acheté Silbermann, sans connaitre ni le roman ni l'auteur, à l'occasion d'un bref voyage à Bruxelles. J'ai apprecié beaucoup ce livre, mais non la partie finale, sur l'évolution du garcon qui parle à la première personne après que Silbermann est parti. Si l'on apprécie l'histoire aussi pour son haute valeur historique et civile (qui exalte son valeur littéraire), il semble que l'auteur fasse accepter au garcon d'une facon excessive les compromis avec les principes corrects. Il me semble presque que l'auteur, conscient d'avoir excedé - par rapport aux "bien pensants" - dans la dénonciation des vices et des injustices de la societé, ait voulu rassurer les lecteurs de la societé officielle et traditionelle.
 

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