Lundi 18 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lerireducyclope.jpgRésumé : Darius, humoriste célèbre et coqueluche du tout Paris, s’effondre dans sa loge à l’issue d’une représentation à L’Olympia. Quelques minutes avant sa mort, le pompier de garde l’a pourtant entendu éclater de rire…Journaliste au Guetteur moderne, Lucrèce Nemrod est sûre qu’il ne s’agit pas d’une mort naturelle. Son complice, Isidore Katzenberg, qui vit toujours dans son château d’eau, entouré de dauphins, est persuadé qu’il faut remonter aux origines du rire pour mener à bien cette enquête…Un roman werbérien à la fois malin et savant, où l’on retrouve deux de ses héros favoris : Isidore Katzenberg et Lucrèce Nemrod. Après le chaînon manquant et le cerveau, l’étrange phénomène du rire est au centre de leur nouvelle enquête.

Mon avis : comme vous le savez certainement, à l'époque où j'ai créé ce blog (il y a bientôt cinq ans), j'étais très fan de Bernard Werber (il n'y a qu'à voir ma première page...) et mon admiration pour l'auteur n'a pas faibli de tout le lycée. Les deux derniers livres que j'ai lus de lui, Le Mystère des Dieux et Le Papillon des Etoiles, m'avaient beaucoup plu aussi mais avec ces deux livres, Werber a quand même commencé à me décevoir (même si je me rends compte - en les relisant - qu'on ne s'en aperçoit guère en lisant mes avis de l'époque), pour deux raisons : 1) au fil des années le style compte de plus en plus à mes yeux et sur ce plan-là Bernard Werber me semble très décevant (il dit lui-même que ce n'est pas l'essentiel à ses yeux) 2) les thèmes et idées qui m'ont enthousiasmée - et le mot est faible - quand j'ai découvert l'auteur ne se renouvellent guère, et ça devient assez répétitif.

Afin de ne pas prendre le risque de me dégoûter de l'auteur, je n'ai donc pas cherché à lire les livres qu'il a écrit après Le Papillon des Etoiles, à savoir Paradis sur Mesure et Le Miroir de Cassandre. Quand j'ai appris la prochaine publication de celui-ci, je ne pensais pas non plus que je le lirais... mais sachant que ce roman est la suite de l'Ultime Secret (un de mes préférés de l'auteur avec Les Fourmis et Les Thanatonautes), et surtout ayant la possibilité de le lire dès sa sortie sans qu'il m'en coûte un centime, je me suis décidée à donner une dernière chance à Werber... j'ai commencé ma lecture pleine de bonne volonté en espérant vraiment que ce roman signifierait ma réconciliation avec l'auteur fétiche de mon adolescence.

Et ? Il n'y a malheureusement pas eu de miracle, et je suis déçue. Lire ce roman n'a pas été une torture, loin de là, j'ai même finalement pris plus de plaisir que la lecture des 150 premières pages ne le laissait présager, mais Le Rire du Cyclope n'a fait que confirmer les critiques que je commençais à former au fond de moi à la lecture des précédents. J'ai trop eu l'impression, en lisant ce roman, que Werber exploitait toujours le même schéma pour écrire ses livres ; l'alternance entre diverses couches de textes (le récit qui constitue la couche principale càd l'intrigue du roman, et des passages plus autonomes, anecdotes insolites ou amusantes, textes didactiques...) qui m'avait charmée quand j'ai découvert Werber et avait rendu cet auteur exceptionnel à mes yeux me lasse aujourd'hui ; dans ce roman-ci, les passages autonomes qui se mêlent au roman proprement dit sont des blagues (des extraits de sketches de Darius Wozniak), et des passages censés retracer l'histoire de l'humour dans toute l'humanité.

Les blagues sont dans l'ensemble des intermèdes sympathiques ; elles ne sont pas de Werber mais ont été collectées sur son site, si j'ai bien compris, à l'aide d'internautes. J'en connaissais certaines (mais très peu, peut-être trois ou quatre), et la plupart sont vraiment pas mal ; elles m'ont amusée mais aucune ne m'a fait rire littéralement et je trouve ça un peu dommage... je ne ris pas très facilement, certes, mais il m'est déjà arrivé de rire en lisant et je trouve un peu regrettable qu'un livre dont c'est le sujet n'y parvienne pas finalement.

Les passages "historiques" (mettez de gros guillemets) m'ont beaucoup moins plu, je les ai trouvés peu crédibles voire carrément fantaisistes. Werber veut certainement nous faire voyager dans le temps et dans l'espace, on passe par tous les continents, mais le postulat de base semble être : "regardez, en fait, tous les plus grands évènements du monde ont été causés par une blague", ce qui me semble être une manière quand même un peu... légère d'aborder l'Histoire ! Bien sûr, c'est une fiction, il faut prendre du recul, ce n'est que la vision historique proposée par une société secrète imaginaire... mais mêler le vrai et le faux en utilisant les noms de personnages qui ont réellement existé, cela me semble moyen des fois, les passages qui m'ont fait le plus bondir étant sans doute ceux où l'auteur refait l'histoire littéraire à sa sauce, en affirmant (par exemple) que c'est en fait Pierre Corneille qui a écrit la plupart des pièces de Molière ! Certes, cela ne sort pas de nulle part, c'est une thèse qui a été défendue par plusieurs chercheurs, mais il ne faut pas oublier que c'est une hypothèse... la présenter comme une vérité indiscutable, sans nuances, est à mon avis un drôle de raccourci o_O et à plusieurs reprises j'ai eu envie de m'exclamer "Mais n'importe quoi !!!"

L'enquête proprement dite concernant la mort du Cyclope et l'arme du crime, qui serait une blague mortelle, est plutôt bien menée, malgré un démarrage un peu lent, les 100 premières pages m'ont vraiment laissée dubitative... mais les rebondissements sont ensuite assez nombreux et certains passages m'ont tenue en haleine et une fois ma lecture finie, je dois admettre que même si j'ai fréquemment critiqué intérieurement, je ne me suis pas ennuyée.  Mais le début est quand même assez incohérent  : à la fin de du roman précédent Lucrèce et Isidore couchent ensemble (j'ai même relu les dernières pages de l'Ultime Secret pour vérifier), et là nos deux héros sont en froid.... et pendant très longtemps, cet état de fait étonnant ne nous sera pas expliqué (et ça m'a pas mal agacée) !

Le personnage de Lucrèce ne m'a pas trop séduite ; on l'avait déjà rencontrée dans Le Père de nos pères et l'Ultime Secret mais je ne me souvenais pas trop d'elle, elle pourrait être attachante mais justement, l'auteur nous la présente trop comme une héroïne censée nous plaire (et je l'ai dit et redit, je n'aime pas trop quand l'auteur nous pousse sans discrétion à nous apitoyer sur un de ses personnages). En revanche, j'ai été très contente de retrouver Isidore Katzenberg le misanthrope, que j'avais adoré dans les précédents romans. Il est évident que c'est un avatar de l'auteur ; on a même une mise en abyme du roman que j'ai trouvée assez réussie ; vers la fin, Isidore réfléchit à la forme qu'il veut donner à son roman et j'ai trouvé ce passage très révélateur, Bernard Werber nous glisse là son art poétique, ce qu'est selon lui un bon roman : et c'est sans doute parce que nous n'avons pas (plus ?) le même avis sur la question que je ne suis plus convaincue par ses œuvres. Je ne dirais pas que Bernard Werber est vraiment un mauvais écrivain, et je garderai en tête les merveilleux moments que ses premiers romans m'ont vivre il y a des années, mais à présent je décèle trop derrière son écriture une technique bien huilée pour les apprécier encore. Quant à savoir si ses romans sont de moins en moins bons, ou s'il écrit ainsi depuis le début mais que je ne m'en aperçois que maintenant... c'est une autre histoire, mais je ne pense pas que je relirai ses œuvres pour vérifier... (mais je préfère privilégier la première hypothèse)

En conclusion : Malgré ma déception, je suis quand même plutôt contente d'avoir lu ce roman, même si je dois bien admettre aujourd'hui que les romans de Bernard Werber ne sont plus pour moi car ils ne correspondent plus vraiment à ce que je recherche en lisant, et présentent certains défauts qui sont aujourd'hui à mes yeux assez rédhibitoires. Je remercie les éditions Albin Michel qui m'ont permis d'effectuer cette lecture en me proposant ce livre et en me l'envoyant gracieusement !

(Liens vers d'autres critiques en cliquant sur l'image de couverture)

Mardi 26 octobre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lesnocesbarbares.jpgCHALLENGE ABC 2010, 21ème livre lu ♦

Résumé : Nicole a 14 ans quand trois américains, en France pour leur service militaire, la violent. Une nuit comme l'enfer qui fera naître 9 mois plus tard Ludovic. Renié par sa mère trop traumatisée pour aimer, haï par ses grands-parents trop bien-pensants pour accepter un "bâtard", il ne pourra pas grandir comme tous les autres petits garçons.

Quatrième de couverture : (pleine de spoilers !) Fruit d'un viol collectif, Ludovic, enfant haï par sa trop jeune mère - Nicole et ses grands-parents, vit ses premières années caché dans un grenier. La situation ne s'arrange guère après le mariage morose de Nicole avec Micho, brave et riche mécanicien qui cherche à protéger Ludovic. Hantée par ses amours brisées, sombrant dans l'alcoolisme et méprisant son mari, la jeune femme fait enfermer son fils dans une institution pour débiles légers. Mais Ludovic est loin d'être le crétin qu'on suppose. Il ne cesse de rêver à sa mère qu'il adore autant qu'il la redoute. Même une première expérience amoureuse ne parvient pas à l'en détourner. S'enfuyant un soir de Noël, il trouve refuge sur la côte bordelaise, à bord d'une épave échouée, écrit des lettres enflammées qui restent sans réponse. Et c'est là que va se produire entre Nicole et son fils une scène poignante et magnifique de re-connaissance mutuelle.

Mon avis : roman acheté à une Bourse aux Livres il y a un paquet d'années, j'avais essayé de le lire à cette époque mais ça avait été un échec : le viol de Nicole est raconté de façon assez crue au début et cela m'avait tellement choquée (normal, je devais avoir douze-treize ans et n'étais pas du tout habituée aux bouquins parlant de rapports sexuels, alors....) que je n'avais pas dépassé le premier chapitre, il est ensuite resté au fin fond de ma bibliothèque et je n'avais jamais eu envie de l'en déterrer... jusqu'à ce que Maxence m'en fasse l'éloge et que je décide de l'intégrer à mon Challenge ABC.

Je ne suis toujours que moyennement convaincue par la scène du viol : le décalage entre la naïveté de Nicole et la lubricité évidente de celui qui sera un de ses violeurs est pathétique (au sens propre du terme hein) et j'avais peur que tout le roman soit sur ce mode-là, cherchant uniquement à choquer voire à tirer des larmes. Les conditions de vie dans lesquelles Nicole fait ensuite vivre son enfant m'ont aussi d'abord paru peu crédibles.... mais au fur et à mesure, on cerne mieux sa personnalité, et l'aversion qu'elle a envers son fils, sans devenir compréhensible, prend peu à peu une teinte plus réaliste (mais qui reste terrible !) ; et en même temps, on fait plus ample connaissance avec ses parents, pétris de préjugés et terrifiés par le qu'en-dira-t'on, et surtout avec Ludo, qui est sans aucun doute le personnage le plus intéressant du roman ! C'est un enfant si délaissé qu'il en est quasiment sauvage, et il resterait sans doute étranger au lecteur si on n'avait pas accès à ses petites habitudes, ses petites manies, et surtout, à des monologues intérieurs touchants qui nous montrent à quel point il est perdu entre son désir d'être aimé de cette mère cruelle et incohérente, l'image négative que tout le monde lui renvoie de lui, et sa propre conscience de lui-même, qui va à l'encontre de tout ce qu'on lui dit qu'il est.

Le style au début du roman me paraissait un peu trop artificiel, à cause de sa richesse, ce qui n'est pas du tout un inconvénient en principe mais  j'aurais presque envie de dire que je l'ai parfois trouvé trop lourd d'images... mais après un petit moment d'adaptation, je l'ai trouvé agréable dans l'ensemble... surtout parce qu'il est pimenté de dialogues qui rendent vraiment un accent, une façon de parler populaire propre aux personnages qui les rend vraiment vivants, et attachants (le personnage de Nanette, puis celui de Micho notamment m'ont beaucoup plu).

Mon rythme de lecture s'est cependant ralenti à partir du moment où Ludo s'éternise au Centre Saint-Paul, il y a un certain effet d'attente qui n'en finit pas (quand il attend désespérément une visite de sa mère), la description de la vie à  l'asile m'a d'abord beaucoup intéressée, c'est un monde assez simple mais bien réglé, qui fonctionne de manière totalement indépendante par rapport au monde extérieur, avec ses propres codes, mais finalement la monotonie du cadre prime, j'aurais aimé que sa drôle d'histoire avec Lise soit plus développée... il finira par en partir mais j'ai été déçue par la suite des évènements, que j'ai trouvée moyennement crédible (il reste une semaine sans boire ???), et la fin part dans une veine tragique qui m'a touchée sur le coup mais a posteriori je me dis que, même si je ne l'avais pas prévue, il n'aurait pu en être autrement : tout autre dénouement aurait été long à mettre en scène, ou incroyable, et avec cette fin l'auteur choisit en fait une sorte de pirouette un peu facile qui consiste à clore définitivement son récit en essayant de faire ressentir du même coup une émotion très forte à son lecteur.... une fin plus ouverte aurait été frustrante, mais plus réaliste aussi.

Malgré ces réserves, j'ai quand même pris globalement pas mal de plaisir à suivre la destinée de Ludo et de sa mère, leur relation est complexe, assez finement analysée : le style ne manque pas d'intérêt, même si j'ai mis un certain temps à m'y faire (et je regrette un peu le manque de dialogues dans la dernière partie, alors qu'on y avait été habitué et qu'ils apportent vraiment une saveur particulière au texte... mais cette absence de dialogues est justifiée par l'auteur dans une postface, justification pertinente d'ailleurs, mais...). Je pense que j'essaierai de lire un autre livre de l'auteur !

Mercredi 10 novembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/laligneverte.jpg
CHALLENGE ABC 2010, 24ème livre lu ♦
 
Quatrième de couverture :
"Ça s'est passé en 1932, quand le pénitencier de l'État se trouvait encore à Cold Mountain. Naturellement, la chaise électrique était là. Ils en blaguaient de la chaise, les détenus, mais comme on blague des choses qui font peur et auxquelles on ne peut échapper. Ils la surnommaient Miss Cent Mille Volts, la Veuve Courant, la Rôtisseuse."

Dans le bloc des condamnés à mort, au bout d'un long couloir que les prisonniers appellent la ligne verte, la chaise électrique attend John Caffey. Le meurtrier des petites jumelles Detterick, jadis découvert en larmes devant leurs cadavres ensanglantés.

Paul Edgecombe, le gardien-chef, l'accueille comme les autres, sans état d'âme. Pourtant, quelque chose se trame... L'air est étouffant, la tension à son comble. Un rouage va lâcher, mais pourquoi ? Les provocations sadiques d'un maton dérangé, la présence d'une souris un peu trop curieuse, l'arrivée d'un autre condamné ?

Aux frontières du roman noir et du fantastique, ce récit est avant tout une brillante réflexion sur l'exécution capitale.

Mon avis : eh bien... c'est mon deuxième Stephen King (il y a un peu plus de deux ans j'ai lu Shining) et pas le dernier je pense ! Quelle œuvre de King me conseillez-vous ensuite ?

J'ai d'abord été étonnée (comme d'hab' je n'avais pas lu la quatrième de couverture, la seule chose que je savais vaguement, c'est qu'il serait question de la peine de mort dans ce roman) que le narrateur soit un gardien de prison, je m'attendais plus à une confession du condamné lui-même, comme dans le Vagabond des étoiles de Jack London. Et j'ai été touchée par l'humanité de ce personnage, par sa compassion. Non pas que j'imaginais que tous les gardiens de prison sont nécessairement des sadiques heureux de faire ce boulot pour maltraiter les détenus qui leurs sont confiés, mais... ouais, je crois que c'est quand même le genre de cliché qui court sur ce métier et je m'attendais plus à un personnage de ce genre-là. Surtout en 1932, les geôliers ne devaient pas avoir de formation psychologique comme ça doit être le cas maintenant ! Mais à travers sa confession (le terme de confessions n'est pas vraiment juste, il ne cherche pas à "confesser" ce qu'il a fait mais plutôt à raconter enfin ce qui s'est vraiment passé cette année-là) Paul nous fait bien sentir que, tout en étant professionnel et en dirigeant les exécutions, il prenait à coeur les destinées de ses "gosses à problèmes" promis à la chaise électrique. Le style est parsemé d'expressions argotiques, et le ton est clair mais chaleureux, le narrateur ne nous cache rien de ses sentiments de l'époque sans perdre pour autant le fil bien tracé de son histoire. Il développe des anecdotes qui nous permettent de bien imaginer la vie au bloc E, tout ce qui concerne leur étonnement joyeux face au curieux personnage de la souris par exemple nous fait plonger complètement dans leur quotidien !

Même si l'histoire de John Caffey est celle que Paul tient le plus à nous raconter, il nous raconte aussi toutes celles qui y sont plus ou moins directement liées : les histoires des autres détenus de la même époque : Delacroix, William Wharton.... ; celles de ses collègues, son patron Hal Moores, l'affreux Percy Wetmore... et la sienne propre, qu'il raconte assez objectivement (je me suis demandée au début pourquoi il insistait tant sur son infection urinaire avant de comprendre l'importance de ce qui n'aurait pu être qu'un détail insignifiant !) Il nous parle aussi de façon assez développée de sa situation au moment où il écrit tout cela, en maison de retraite... on a donc un décalage entre le Paul âgé qui se met à écrire, et le Paul plus jeune au moment des faits, décalage pas si important car il a peu changé (mentalement je veux dire), et le parallèle qu'il fait peu à peu entre la prison et la maison de retraite, et les habitants des deux endroits, est plutôt effrayant et pas incohérent ! (et c'est la pertinence de ce parallèle justement qui le rend effrayant). Tous les personnages au fond sont rapprochés, les détenus condamnés à mort ne sont pas marginalisés ni diabolisés, et les hommes libres et prétendument innocents ne sont pas si blancs que ça !

Ce roman est divisé en 6 épisodes distincts eux-mêmes subdivisés en une dizaine de chapitres chacun. Au début de chaque épisode (l'épisode précédent finissant sur un gros moment de suspense généralement !), on revient au présent et Paul âge évoque sa vie à Georgia Pines (le nom de sa résidence pour personnes âges), récapitule un peu tout et reprend ensuite la fin de l'épisode d'avant. J'ai d'abord trouvé ce procédé redondant avant de me souvenir que La Ligne Verte avait d'abord été publiée en feuilleton (en France, en édition Librio), et que les 6 parties ont donc été à l'origine publiées tout à fait isolément... en gardant cela à l'esprit, j'ai donc pu apprécier l'intérêt de cette brève mais systématique récapitulation au début de chaque épisode, et j'ai pu en profiter moi-même pour rentrer encore plus facilement dans le récit après des pauses forcées (vraiment forcées, j'aurais bien tout lu d'une traite, mais j'ai lu ce roman en trois jours) entre certains épisodes.

Le registre fantastique présent ne nous fait pas oublier le réalisme du reste du récit, réalisme qui domine très largement de toute façon (même s'il fait preuve d'une certaine compréhension, le narrateur ne nous cache pas les vices des détenus à sa charge et ne nous les présente pas comme des agneaux sans défense !), certains passages m'ont vraiment beaucoup émue, et une fois que j'ai fini ce roman, je me suis posée la même question qu'après avoir visionné le film La Dernière Marche (vu une fois il y a des années mais il m'a marquée, j'aimerais le revoir et lire le roman dont il s'inspire) : Comment peut-on être pour la peine de mort quand on réfléchit vraiment concrètement à ce que tuer un homme représente ? (sans parler du risque toujours présent d'exécuter un innocent...) Je pense que l'histoire de Paul Edgecombe et celle de John Caffey risque de me marquer... j'ai le DVD de l'adaptation ciné avec Tom Hanks chez moi, je pense le visionner bientôt !

Jeudi 18 novembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lachambredesofficiers.jpgQuatrième de couverture :
"La guerre de 14, je ne l'ai pas connue. Je veux dire, la tranchée boueuse, l'humidité qui traverse les os, les gros rats noirs au pelage d'hiver qui se faufilent entre les détritus informes, les odeurs mélangées de tabac gris et d'excréments mal enterrés, avec, pour couvrir le tout, un ciel métallique uniforme qui se déverse à intervalles réguliers comme si Dieu n'en finissait plus de s'acharner sur le simple soldat. C'est cette guerre-là que je n'ai pas connue."
Dans les premiers jours de 14, Adrien F, lieutenant du génie, est fauché par un éclat d'obus sur les bords de la Meuse. Défiguré, il est transporté au Val-de-Grâce où il séjournera cinq ans dans la chambre des officiers. Au fil des amitiés qui s'y noueront, lui et ses camarades, malgré la privation brutale d'une part de leur identité, révéleront toute leur humanité. De cette épopée dramatique, émouvante, mais drôle aussi parfois, on retiendra que des blessures naît aussi la grâce.

Mon avis : J'ai emprunté ce livre (sans en lire le résumé, comme d'hab') parce que j'ai le DVD et que je voulais donc lire le livre avant de le regarder. Etant donné que le DVD fait partie d'un coffret de "films romantiques", je m'attendais à une histoire un peu légère d'amourettes d'officiers pendant la guerre... alors que ce n'est pas du tout le sujet de ce livre, je ne m'attendais vraiment pas à ça ! ^^

Au début, certes, Adrien n'est rien d'autre qu'un jeune homme comme les autres, un peu frivole même puisqu'il séduit Clémence, une femme engagée à un autre homme déjà parti à la guerre la veille de sa propre mobilisation. Mais très vite, cette intrigue sentimentale n'est plus sur le devant de la scène, l'"accident" d'Adrien bouleverse tout. L'originalité de ce roman réside dans le fait de nous parler de la violence de la guerre d'un point de vue peu utilisé dans la littérature (enfin peu utilisé, après tout je n'en sais rien... mais c'est le premier roman de ce genre qui me tombe entre les mains !) : celui des Gueules Cassées. Adrien, narrateur de la guerre, se retrouve défiguré et coincé dans un hôpital pendant toute la durée de la guerre, et comme on suit son histoire et voit tout à travers ses yeux, on n'aura aucun récit de combat par exemple... les horreurs de cette guerre nous sont rapportées d'une façon à la fois indirecte - on reste à l'arrière - et terriblement directe, puisque le héros se retrouve mutilé et donc on ne peut plus concerné par tout ce qui se passe....

La douleur, la répulsion que lui causent ses blessures, la peur du regard de l'autre nous sont racontées. Le lecteur se retrouve dans une situation ambivalente, d'un côté on est nous aussi un peu dégoûté par l'aspect que doit avoir Adrien (je me demande ce que donne le film d'ailleurs, comment cet aspect est rendu, si le réalisateur cherche à épargner le spectateur ou pas...), mais de l'autre, on souffre avec lui, qui partage son intimité avec nous. On s'attache rapidement à cette "chambre des officiers" habitée par des hommes détruits, différents mais unis par une amitié indéfectible qui continuera bien après la guerre.

Le ton est réaliste, assez désenchanté, j'ai surtout aimé l'humour noir assez présent et qui met habilement en évidence l'absurdité de toute cette situation... sans espoir pour son avenir, Adrien doit faire le deuil d'un certain nombre de choses mais refuse malgré tout de renoncer à vivre, et combat ses propres faiblesses par une gaieté touchante. Il manque quand même un petit quelque chose pour que cela soit vraiment un coup de cœur pour moi, j'aurais aimé peut-être encore plus de passages d'introspection (même si on comprend aussi pourquoi il s'efforce de ne pas trop réfléchir, afin de ne pas s'apitoyer sur son sort), ou que l'histoire des autres personnages soit plus développée ? J'aurais aimé en savoir plus sur Clémence par exemple, on la revoit, d'accord, mais j'ai été un peu frustrée par leurs retrouvailles !

J'ai été plutôt émue à la lecture mais je crains déjà que cette histoire ne me marque pas autant que son sujet le mériterait.... il ne me reste plus maintenant qu'à voir le film, et je me demande quand même quelles modifications ont pu être effectuées pour qu'il soit carrément considéré comme un "film romantique"....

Extraits :
"Clémence est en filigrane dans toutes mes pensées. Le sentiment de trahison qu'a fait naître sa lettre ne m'a détourné d'elle que pendant quelques jours. Je sais que je la reverrai, cela dût-il prendre des mois, des années. Je la regarderai se faner, je verrai le temps affaiblir ses contours, creuser sa beauté. Car moi, le mutilé de la face, je ne vieillirai pas. La guerre m'a fait vieillir à vingt-quatre ans. Je n'ai pas eu le courage de me suicider. J'ai eu le courage de ne pas me suicider. La rancœur, l'aigreur menacent. Je fais face à l'ennemi intérieur."

"Les jours se succèdent, tous pareils malgré nos efforts pour animer notre petite communauté. Une vie monacale, la souffrance en plus, l'illumination en moins. Le même renoncement. La même contrainte de rythmes immuables qui apaisent et qui oppressent. L'imaginaire d'un blessé, incarcéré par sa mutilation dans une chambre d'hôpital militaire pendant plusieurs mois, s'ordonne autour d'un petit nombre de pensées répétitives, rarement profondes et que d'autres trouveraient certainement obsessionnelles. La première tâche fut d'éliminer de notre champ de conscience tout ce qui pouvait rappeler que notre vie antérieure s'était normalement organisées autour de nos sens. Le seconde, de nous interdire toute projection dans un avenir autre que celui des petits progrès quotidiens de mastication et de prononciation."

Mardi 7 décembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/Jevaisbiennetenfaispas.jpgRésumé : Une autre lettre de Loïc. Elles sont rares. Quelques phrases griffonnées sur un papier. Il va bien. Il n'a pas pardonné. Il ne rentrera pas. Il l'aime. Rien d'autre. Rien sur son départ précipité. Deux ans déjà qu'il est parti. Peu après que Claire a obtenu son bac. A son retour de vacances, il n'était plus là. Son frère avait disparu, sans raison. Sans un mot d'explication. Claire croit du bout des lèvres à une dispute entre Loïc et son père. Demain, elle quittera son poste de caissière au supermarché et se rendra à Portbail. C'est de là-bas que la lettre a été postée. Claire dispose d'une semaine de congé pour retrouver Loïc. Lui parler. Comprendre.

Mon avis : le film m'avait énormément émue la première fois que je l'ai vu il y a quelques années (il m'a fait moins d'effet les autres fois), et comme je connaissais déjà la fin, je m'étais dit que je ne lirais pas le livre. Mais finalement, les avis pas très positifs que j'ai lus au sujet du livre, au lieu de me conforter dans cette position, ont fini, paradoxalement, par m'intriguer. Le film n'explique pas tout, et en lisant le livre on espère que cela sera plus clair, qu'on en saura plus. Pour avoir lu pas mal de critiques du livre, je savais qu'il n'apporterait pas les réponses qu'on attend.

Dans un sens, le livre est moins pathétique : Loïc et Claire (Lili dans le film) ne sont pas jumeaux, Claire n'ira pas en hôpital psychiatrique... je veux dire par là que les évènements décrits dans le film semblent plus violents, plus tristes, plus propres à faire couler nos larmes. Dans le livre, l'atmosphère est différente, la disparition de Loïc n'est pas la seule source de tristesse, c'est un tout. La première page m'a déstabilisée, j'ai d'abord trouvé le style froid, le quotidien de Claire nous est présenté dans toute sa banalité et son vide, quasiment sans commentaire, et de temps à autre, l'absence du frère vient s'infiltrer, un souvenir, des comparaisons entre Loïc et les hommes qu'elle croise, "Loïc aurait su", etc.

Les personnages sont assez différents entre le livre et le film : les personnages des parents me semblent plus positifs dans le livre (mais ce n'est probablement qu'une impression personnelle pas vraiment fondée)... les personnages masculins, au contraire, sont édulcorés dans le film, ce ne sont pas les mêmes, je trouve que la Claire imaginée par Olivier Adam a moins de chance que l'héroïne du film, sa vie me semble plus dure, plus cruelle, tout en restant d'une cruauté "ordinaire", qu'on ne peut qu'accepter car la vie est ainsi....

Contrairement à une majorité de personnes, je crois bien qu'au final je préfère le livre au film. Bien sûr je n'ai pas eu la surprise de la fin, ayant vu le film avant. Le livre ne complète pas les informations prodiguées par le film, au final on en sait même moins sur les évènements ! Et pourtant, je l'ai trouvé plus profond, plus subtil, plus réaliste. Simplement en montrant la vie telle qu'elle est, avec toutes les déceptions, les petites injustices de tous les jours qu'on subit : la pénibilité du travail de Claire, le désagréable sentiment de solitude au milieu d'une conversation, mais aussi les petites joies qui permettent de tenir, l'espoir, le fait de se sentir bien avec certaines personnes, même quand ces personnes sont silencieuses, distantes et imparfaites... tout cela m'a parlé. Je me suis pas mal retrouvée dans le personnage de Claire, j'ai retrouvé dans ses pensées (auxquelles on a quand même un peu accès, au détour d'une envie de vomir) des choses que je pense aussi, mais que je n'ose pas forcément dire.

Quand j'ai revu le film, il m'a laissée presque froide alors qu'il m'avait déchirée la première fois... mais je suis sûre que si je relis ce livre, j'en garderai la même impression nauséeuse de cafard tenace, impression sourde mais plus lourde, moins éphémère finalement que ce que nous propose le film.

Extraits :
"Elle ne pense pas à l'avenir. Que faire, où s'inscrire. Paul lui dit qu'elle a l'embarras du choix, maintenant qu'elle a son bac. Elle répond qu'elle a surtout le choix de l'embarras. Tu vas bien faire quelque chose de ta vie, dit Irène. Claire n'a jamais vraiment pensé qu'on pouvait faire quelque chose de sa vie, alors la manière d'y parvenir et les buts à se fixer, tout ça devient très flou."

"Ça sent le dimanche soir, la fin des vacances. Claire a un petit pincement au coeur à l'idée de retrouver sa caisse. Sa caisse ou autre chose, vendre des conserves ou des bouquins, c'est égal. Le problème n'est pas là. Le problème est qu'il faut faire autre chose plutôt que rien. Et qu'on doit "s'estimer heureux, avec tous ces gens dans la rue"."

"Ce soir-là Julien n'est pas bien. Sa journée au bureau a été chargée. De travail et d'électricité. D'engueulades en tout genre, d'angoisses diverses. De délais à respecter, de fournisseurs irrespectueux, de défections successives. Il a fini tard et épuisé. Lorsque tout s'accélère ainsi, lorsqu'il est obligé de s'investir dans ce qu'il fait, dans son travail, Julien ne supporte pas. Il n'est pas de taille. N'a pas la carrure ni les épaules. Et encore moins le goût ou la motivation. Ça lui donne immanquablement envie de mourir. Immanquablement. C'est toujours dans ces moments que, sans raison, les larmes lui montent aux yeux sans jamais en sortir. Que l'idée de se donner la mort se fait plus précise, aguicheuse, raisonnable. Et c'est ce qui le fait tenir. L'idée que s'il ne tient pas, s'il n'est pas à la hauteur, si on vient l'engueuler, pfuit, il se barre. La lâcheté lui donne un peu de courage."

Lundi 27 décembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lecharmedesapresmidisansfin.jpgQuatrième de couverture : Le Charme des après-midi sans fin, sans doute le livre de Dany Laferrière le plus autobiographique, nous conte une jeunesse haïtienne en une succession de brefs tableaux sur le cours des jours à Petir-Goâve.
Manifeste d'amour adressé par l'auteur à Da, la grand-mère qui l'a élevé, mais aussi, sur fond de crise politique haïtienne, roman initiatique de l'adolescence, ce livre nous émeut par sa tendresse et sa justesse.

Mon avis : j'ai aimé le découpage en très très brefs chapitres (le terme de "tableaux" de la quatrième de couverture convient mieux d'ailleurs), que j'ai trouvé original et bien choisi, mais je suis dans l'ensemble déçue par cette lecture. Peut-être que je n'ai pas lu ce livre au bon moment, que j'ai besoin d'exaltation et que la douceur de ces "après-midi sans fin" n'est pas ce dont j'ai envie en ce moment. J'ai eu du mal à entrer dans le livre. Le narrateur est un enfant (ou plutôt, un jeune adolescent) mais comme une andouille, je me suis d'abord fiée à son surnom, Vieux Os, et j'ai donc mis un certain temps à comprendre son âge... -_-' c'est un héros assez attachant (ne serait-ce que pour l'amour qu'il porte à sa grand-mère Da, et à la jeune Vava) qui "aime observer les gens".

C'est plutôt agréable de suivre ce personnage, de rencontrer avec lui différents personnages qui nous font découvrir le quotidien de Petit-Goâve, ancienne capitale d'Haïti (merci wikipedia)... mais je me suis demandée pourquoi il accompagnait le notaire Loné pendant presque toute une journée, enfin j'ai surtout trouvé un peu étrange que le notaire n'en ait pas marre de l'avoir dans les pattes... c'est au lecteur de s'adapter, et de plonger à la suite du narrateur dans cet univers qui m'a semblé plus hospitalier que le nôtre, le rituel qui consiste à venir boire du café chez l'un ou chez l'autre m'a fait sourire. Et j'ai surtout aimé les quelques passages (hélas trop rares à mon goût) où il est question de surnaturel... sans que les personnages ne semblent s'étonner plus que ça justement, j'ai trouvé que c'était un des aspects qui nous montrait peut-être le mieux la différence de mentalité  (je me suis sentie une minable petite cartésienne en pensant "hein ? mais quoi, comment ? c'est pas possible ?!" alors que le sujet était simplement accepté, et pas plus développé que ça.)

Un peu après la moitié du livre, un évènement assez important (qui correspond à la "crise politique" évoquée par la quatrième de couverture) vient bouleverser la vie plutôt tranquille de tout ce petit monde et le roman prend alors un tour un peu plus dramatique... mais sans que le rythme ne change vraiment finalement. J'ai eu du mal à situer la période (dans les années 60 si j'ai bien compris), j'ignore encore quelle est exactement la crise politique dont il est question, on a le sentiment que ce qui se passe est vraiment très grave et laisse présager des choses bien pires encore, mais à cause de mon inculture totale concernant l'Histoire d'Haïti, je me suis sentie un peu à côté de la plaque et je suis restée sur ma faim.

Pas désagréable donc, mais je me suis un peu ennuyée parfois, disons que l'aura du livre n'était pas assez forte pour effacer complètement toutes mes pensées parasites, l'évasion n'a pas totalement marché pour moi cette fois-ci, j'ai presque toujours eu la sensation de rester un peu étrangère à ma lecture... et j'ai bien peur qu'au final il ne m'en reste pas grand souvenir dans quelques mois voire semaines. A retenter dans dix ans peut-être, pour voir si cela me fait plus d'effet ?

1er livre que je lis d'un auteur haïtien... j'améliore donc mon "score" à mon challenge "mondial" ;)
Je vous conseille l'avis d'Exxlibris qui a aimé ce livre plus que moi (car même s'il ne m'a personnellement pas emballée, je ne le vous déconseille pas !!!) et qui contient de chouettes extraits ! Je suis d'accord avec elle quand elle nous conseille de lire ce roman "seul, en pleine chaleur d’été, en pleine campagne", je pense que je l'aurais peut-être plus apprécié dans ces conditions...

Extrait :
"Tiens, voilà Fifi là-bas, en train de parler à Gina. Il n'y a pas si longtemps, Rico était fou de cette fille. (...) Rico lui écrivait un poème par jour que je devais donner à ma cousine Didi pour qu'elle le lui remettre en mains propres. Gina ne lui a jamais répondu. Mais depuis deux semaines Rico n'envoie plus de poèmes, et il semble, selon Didi, que ça lui manque. Le problème c'est que Rico ne joue pas à l'indifférent, il n'est tout simplement plus intéressé. La fièvre est tombée. Avant, je savais par Rico ce que faisait Gina toute la sainte journée. Maintenant, c'est comme si elle était morte, comme si elle n'avait jamais existé. Je ne suis pas comme ça. Si j'ai aimé une fille, elle ne me sera jamais indifférente. Mon cœur battra toujours plus vite en entendant son nom. Frantz, lui, n'a pas de cœur. Rico s'enflamme vite, mais pas pour longtemps. J'essaie de ne pas trop laisser paraître mes sentiments. Mon cœur est un volcan en éruption. Cela me tue. Je suis épuisé. Parfois, j'ai l'impression de cracher de la cendre. J'aurais préféré être comme Frantz ou même comme Rico. J'ai un cœur qui ne se repose jamais, même pendant mon sommeil. Je rêve d'elle. Et elle ne sait même pas que je suis amoureux d'elle. Je n'ose pas prononcer son nom."

Vendredi 31 décembre 2010

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lecritureoulavie.gifCHALLENGE ABC 2010, 26ème livre lu ♦

Quatrième de couverture :
Déporté à Buchenwald, Jorge Semprun est libéré par les troupes de Patton, le 11 avril 1945.
L'étudiant du lycée Henri-IV, le lauréat du concours général de philosophie, le jeune poète qui connaît déjà tous les intellectuels parisiens découvre à Buchenwald ce qui n'est pas donné à ceux qui n'ont pas connu les camps : vivre sa mort. Un temps, il va croire qu'on peu exorciser la mort par l'écriture. Mais écrire renvoie à la mort. Pour s'arracher à ce cercle vicieux, il sera aidé par une femme, bien sûr, et peut-être par un objet très prosaïque : le parapluie de Bakounine, conservé à Locarno. Dans ce tourbillon de la mémoire, mille scènes, mille histoires rendent ce livre sur la mort extrêmement vivant.
Semprun aurait pu se contenter d'écrire des souvenirs, ou un document. Mais il a composé une œuvre d'art, où l'on n'oublie jamais que Weimar, la petite ville de Goethe, n'est qu'à quelques pas de Buchenwald.

Mon avis :
Un livre que j'ai prévu de lire depuis la terminale (ma prof de philo nous en avait parlé) mais je ne regrette pas d'avoir attendu maintenant pour le lire... c'est un livre fort, je pense que certains passages me marqueront profondément, mais j'ai eu l'impression de ne pas pouvoir tout saisir encore, je suis sûre que j'aurai tout intérêt à le relire plus tard.

Son séjour à Buchenwald est évoqué tout au long du livre de manière indirecte. Le narrateur se concentre surtout sur les jours qui suivent la libération du camp, et sur son retour à la vie qui est problématique, d'une part parce qu'il a le sentiment d'être mort à Buchenwald, d'autre part parce qu'en tant qu'espagnol expatrié (militant contre le régime de Franco), il ne peut retrouver de véritable foyer par la suite. Tout au long du roman (mais j'ai du mal à  qualifier cet ouvrage de roman, je dirais plutôt qu'il se situe quasiment entre l'autobiographie et l'essai... ?) j'ai ressenti énormément de sympathie pour le narrateur ! J'ai mis trois jours à lire ce livre, et j'ai fait un cauchemar lié à ce livre... un autre soir, je me suis brusquement demandée si Jorge Semprun était encore en vie pendant que je lisais son livre, et alors qu'il était déjà tard, je me suis levée et j'ai importuné mon frère pour qu'il obtienne cette information sur Internet (et si j'en crois wikipedia, il est toujours vivant !).

J'ai été émue par son parcours (évidemment, qui ne le serait pas ?) mais surtout par le ton qu'il prend pour nous parler de tout cela : j'ai surtout apprécié sa sincérité, l'impression que j'ai eue qu'il nous faisait suffisamment confiance pour nous donner à voir une partie de sa vie qu'il avait pourtant cherché à enfouir pendant des années, tout en faisant attention à ne pas nous perdre en cours de route ; il se livre avec franchise, sans pour autant monologuer en oubliant ses lecteurs.

Je serais incapable de parler avec précision de la structure de l'ensemble : vu de loin ça peut sembler décousu tant le narrateur nous fait passer sans arrêt d'un souvenir à l'autre, faisant se rapprocher des évènements qui n'ont a priori rien à voir entre eux, mais sa voix permet de donner du sens à tout cela. Il passe également très facilement d'une langue à l'autre, espagnol, allemand, anglais, français (sa langue d'adoption, dans laquelle il a rédigé la majorité de son œuvre), souvent pour chercher le mot le plus juste pour ce qu'il veut dire.

Les digressions sont multiples, car il nous fait voyager dans sa vie sans linéarité, et tout son discours est émaillé de nombreuses références philosophiques, littéraires, et artistiques de manière plus générale. Il nous fait vraiment connaître son imaginaire, au début j'ai été assez déconcertée (et apeurée) car j'ignore la plupart des oeuvres auxquelles il fait référence... heureusement, il ne les largue pas de façon abrupte en nous laissant nous débattre avec, ça non ! Si à tel moment il nous informe qu'il a eu envie de réciter tel poème, il ne fait pas que citer le titre et tant pis si on ne connaît pas, non : il nous en offre des extraits, explique pourquoi ces vers ont été importants pour lui... et tout ça avec habileté, subtilité, sans pédantisme, je n'ai pas eu le sentiment de me retrouver face à un érudit qui étalerait sa science, mais au contraire face à un homme sensible simplement prêt à partager les mots qu'il aime avec nous, et qui nous donne envie de les découvrir ensuite par nous-mêmes.

La poésie semble avoir été extrêmement importante pour lui, elle lui a été d'un grand secours dans les moments les plus durs, cela correspond tout à fait à l'idée de vitalité que je me fais de la littérature... j'ai donc été très touchée. Son expérience au camp et surtout sa difficulté à vivre après, ses angoisses et questions nombreuses au sujet de l'écriture, de la transmission de cette expérience, qui constituent le coeur de cette œuvre, se mêlent étroitement à son amour de l'art, et le mélange de tous ces éléments donne un résultat que je trouve génial et magnifique car d'une richesse et d'une profondeur incroyables !

J'ai admiré enfin sa capacité à faire part de ses émotions tout en restant lucide, cet équilibre extraordinaire auquel il est parvenu entre l'humanité la plus sensible et l'intelligence la plus pure... je m'emballe, je m'emballe, et je m'aperçois que tout mon article reste assez abstrait et ne vous décrit peut-être pas assez concrètement de quoi il est question dans ce livre, mais je ne vois vraiment pas comment vous en rendre compte étant donné la richesse et la densité de ce chef d'œuvre, que je ne peux que vous conseiller donc.... en ce qui me concerne je me sens toute petite, comme je l'ai dit au début c'est un livre que je comprendrai mieux en le relisant dans quelques années (certains passages philosophiques peut-être trop pointus pour moi m'ont laissée un peu perdue), mais cette première lecture a déjà été formidable ! Un très grand merci à vous, monsieur Semprun.

P.S important : si vous sentez confusément que ce livre vaut le coup (je vous le dis cash d'ailleurs : il vaut le coup, faites-moi donc confiance !) mais que mon article ne vous a pas tout à fait convaincu (ce qui ne serait pas étonnant sachant que mon éloquence est un peu limitée et que j'écris tout cela avant tout pour moi, afin de me souvenir de ce que j'ai ressenti), je vous conseille l'article de Saleanndre !

Extraits :
"Je ne voudrais que l'oubli, rien d'autre. Je trouve injuste, presque indécent, d'avoir traversé dix-huit mois de Buchenwald sans une seule minute d'angoisse, sans un seul cauchemar, porté par une curiosité toujours renouvelée, soutenu par un appétit de vie insatiable - quels que fussent, par ailleurs, la certitude de la mort, son expérience quotidienne, son vécu innommable et précieux -, pour me retrouver désormais, revenu de tout cela, mais en proie parfois à l'angoisse la plus nue, la plus insensée, puisque nourrie par la vie même, par la sérénité et les joies de la vie, autant que par le souvenir de la mort. "

"Je ne possède rien d'autre que ma mort, mon expérience de la mort, pour dire ma vie, l'exprimer, la porter en avant. Il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d'y parvenir, c'est l'écriture. Or celle-ci me ramène à la mort, m'y enferme, m'y asphyxie. Voilà où j'en suis : je ne puis vivre qu'en assumant cette mort par l'écriture, mais l'écriture m'interdit littéralement de vivre."

"(...) L'écriture, si elle prétend être davantage qu'un jeu, ou un enjeu, n'est qu'un long, interminable travail d'ascèse, une façon de se déprendre de soi en prenant sur soi : en devenant soi-même parce qu'on aura reconnu, mis au monde l'autre qu'on est toujours."

Mardi 4 janvier 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/soie.jpgQuatrième de couverture : Vers 1860, pour sauver les élevages de vers à soie contaminés par une épidémie, Hervé Joncour entreprend quatre expéditions au Japon pour acheter des oeufs sains.
Entre les monts du Vivarais et le Japon, c'est le choc de deux mondes, une histoire d'amour et de guerre, une alchimie merveilleuse qui tisse le roman de fils impalpables. Des voyages longs et dangereux, des amours impossibles qui se poursuivent sans jamais avoir commencé, des personnages de désirs et de passions, le velours d'une voix, la sacralisation d'un tissu magnifique et sensuel, et la lenteur, la lenteur des saisons et du temps immuable.

Mon avis : des mois que je lis des avis extrêmement élogieux sur ce très court roman et j'étais presque sûre d'aimer.... mais c'est raté. J'ai été très déçue par cette histoire. J'ai trouvé, dès le départ, qu'elle ressemblait énormément à L'Apiculteur, de Maxence Fermine : une atmosphère de conte, avec un rythme lent, un cadre temporel similaire, un homme jeune pour héros, des voyages lointains, une histoire d'amour mystérieuse... d'ailleurs Matilda (qui a beaucoup aimé Soie) m'avait conseillé le bouquin de Barrico après ma lecture de Fermine.

Mais ça n'a pas vraiment fonctionné avec moi... j'ai bien aimé l'Apiculteur (même si maintenant je ne m'en souviens plus très bien, j'ai complètement oublié la fin par exemple) donc il aurait été logique que j'aime de même Soie... alors quoi ? Est-ce que je n'étais pas dans le bon état esprit ? Est-ce que le fait d'avoir lu l'Apiculteur avant a ôté à mes yeux l'originalité que j'aurais pu trouver à Soie ? Peut-être.... je ne sais pas vraiment en fait. Ceux qui ont aimé Soie (et qui sont nombreux) disent avoir surtout été séduits par le style, et c'est peut-être là le problème, je n'ai pas été vraiment transportée. Au début pourtant, j'aimais vraiment bien, j'étais curieuse de savoir ce qu'Hervé Joncour allait découvrir au Japon, curieuse de savoir s'il allait réussir sa transaction, je me suis demandée qui il allait rencontrer, et ensuite, comment cette rencontre allait évoluer... mais malgré la brièveté du roman, je me suis vite lassée.

Un peu avant la fin, je m'ennuyais carrément, j'ai même interrompu ma lecture avec un soupir en pensant que j'allais terminer uniquement parce que c'était court... et là, j'ai été surprise. Le temps de quelques pages, oui, je me suis dit que j'avais jugé bien trop sévèrement ce livre, j'ai été de nouveau accrochée.... mais cela ne s'est pas développé de la manière dont je l'aurais souhaité, la péripétie inattendue n'est pas  vraiment exploitée, on n'a pas vraiment d'explication... cela me paraît logique d'ailleurs maintenant, si d'un coup on avait eu une explication rationnelle, cela aurait trop tranché avec l'atmosphère ouatée du début.

Comme c'est un conte, et qu'on a 4 voyages au Japon, à chaque fois le même passage est répété, j'aurais pu trouver ça charmant mais ça m'a saoulée... et certaines formules qui sortent de l'ordinaire, comme des "dit-il" après une réplique qui apparaît déjà comme telle grâce à un tiret  m'ont également plus exaspérée qu'autre chose, j'ai eu le sentiment que l'auteur cherchait à donner artificiellement une solennité à des paroles par ailleurs plutôt ordinaires.

Je me sens vraiment de mauvaise humeur, ça me désole d'être peut-être passée à côté de quelque chose de super, de ne pas avoir saisi l'intérêt de cette œuvre, je pense que je donnerai une seconde chance à Alessandro Baricco (j'ai également entendu le plus grand bien de Novecento pianiste, alors je me laisserai peut-être tenter...) mais là je suis assez perplexe.... cette lecture qui aurait dû être douce et rêveuse m'a frustrée et ennuyée. Une dernière hypothèse pour tenter d'expliquer ma déception : je n'ai pas réussi à ressentir de la sympathie pour le héros, je l'ai trouvé assez passif finalement, tout lui tombe dessus comme ça, et quand il doit agir, il ne se presse vraiment pas... et j'ai trouvé que le narrateur nous montrait implicitement une image de lui trop positive, lui trouvait trop d'excuses... et je suis moins indulgente aujourd'hui (je ne suis peut-être pas très claire mais je peux expliquer ce que j'entends par là en commentaire si quelqu'un veut me comprendre et n'y parvient pas...)

Il y a également un film... qui ne me tente pas des masses non plus.
[Challenge ABC 2011, 2/26]

Jeudi 6 janvier 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/marina.jpgQuatrième de couverture :
"Pour une raison bizarre, sans qu'on sache se l'expliquer, on se sent parfois plus proche d'un de ses enfants. De tous les livres que j'ai écrits, Marina est l'un de mes favoris. Au fur et à mesure que j'avançais dans l'écriture, tout dans cette histoire prenait peu à peu le goût des adieux, et quand je l'eus terminée, j'eus l'impression que quelque chose était resté au fond de moi, quelque chose qu'aujourd'hui encore je ne peux définir mais qui me manque chaque jour."
Carlos Ruiz Zafón

Dans la Barcelone des années 1980, Oscar, quinze ans, a l'habitude de fuir le pensionnat où il est interne. Au cours de l'une de ses escapades, il fait la connaissance de Marina. Fascinée par l'énigme d'une tombe anonyme, Marina entraîne son jeune compagnon dans un cimetière oublié de tous. Qui est la femme venant s'y recueillir ? Et que signifie le papillon noir qui surplombe la pierre tombale ? S'égarant dans les entrailles d'une terrifiante cité souterraine, s'enfonçant dans les coulisses d'un inquiétant théâtre désaffecté, Oscar et Marina réveillent les protagonistes d'une tragédie vieille de plusieurs décennies.

Publié il y a plus de dix ans, reparu récemment en Espagne, Marina a conquis un public aussi large que celui de l'Ombre du Vent (Grasset, 2004) et du Jeu de l'ange (Robert Laffont, 2009), traduits en plus de quarante langues et couronnés de nombreux prix.

Mon avis : il y a quelques années, j'ai adoré l'Ombre du vent et l'ai beaucoup conseillé autour de moi. Curieusement, je n'ai pas eu extrêmement envie de lire le Jeu de l'ange du même auteur quand il est sorti, sans doute par peur d'être déçue, et il me semble que la quatrième de couverture m'avait laissée indifférente, je ne sais plus très bien en fait... je m'étais cependant toujours dit que je lirais un jour un autre roman de Carlos Ruiz Zafón, alors quand Livraddict a proposé aux blogolecteurs Marina, en partenariat avec les éditions Robert Laffont, un rapide coup d'œil au résumé m'a laissé pensé que cela pourrait bien me plaire (Barcelone, une époque passée, des adolescents, un cimetière, un mystère, whouhou !)  et j'ai sauté sur l'occasion !  Un grand merci pour ce partenariat, qui m'a permis de découvrir ce roman en avant-première ! :D (Marina a été publié en Espagne en 1999, mais il ne sortira en France que le 20 janvier !...) (nananère)

J'avoue qu'il m'a fallu un certain temps d'adaptation, je ne suis pas complètement entrée dans le roman dès les premières pages. Mon souvenir de l'Ombre du vent est aujourd'hui très flou, mais je me souviens parfaitement que j'avais spécialement aimé le style de l'auteur. Est-il différent dans Marina, ou est-ce mon appréciation qui a changé ? Probablement les deux ! Je suis bien plus critique aujourd'hui à ce sujet, et d'après ce que j'ai lu sur le net, Marina semble être considéré comme un roman plutôt pour adolescents (et il a été écrit avant l'Ombre du vent si je ne me trompe pas !)... ce qui expliquerait pourquoi le style m'a paru moins recherché... je n'ai noté aucun passage, aucun aphorisme remarquable, certaines tournures sont trop peu originales à mon goût, voire légèrement maladroites (exemples qui me viennent à l'esprit : la formule banale "sa gorge se serra" revient à plusieurs reprises, de même qu'un "improvisai-je" que j'ai trouvé peu judicieux) . Bon, ce n'est pas la catastrophe non plus hein, et ça reste quand même assez consistant pour être agréable à lire une fois qu'on est installé dans le livre !

Et puis je dois reconnaître que malgré un style qui m'a paru moins brillant, passé le début, j'ai eu bien du mal à lâcher le livre ! (pour preuve, je l'ai lu en moins de 24 heures). Le héros et narrateur est un peu lisse, même s'il va participer activement aux évènements qui nous sont racontés, on sent qu'il a surtout un rôle de témoin ; les personnages qui attirent toute notre attention sont plutôt le personnage éponyme, Marina, son père peintre, German, et les personnages énigmatiques qui sont au cœur de l'enquête que nos deux jeunes vont essayer de mener pour comprendre qui ils sont réellement : la dame en noir, Mihaïl Kolvenik, le docteur Shelley...

Chacun des personnages du roman (même notre narrateur, dont on sait finalement peu de choses, il n'est pas orphelin mais on n'a aucune information sur sa famille par exemple) a sa part de mystère. L'intérêt du roman est de fouiller dans ce tas de secrets : en partant à la découverte de lieux anciens, de personnages disparus et de leur sombre histoire aujourd'hui ignorée de tous, nos héros vont également apprendre à se connaître eux-mêmes, et ce qu'ils trouveront les fera grandir, et leur permettra de peut-être mieux cerner l'âme humaine... ? J'ai apprécié la relation ambiguë entre Marina et Oscar (prévisible certes, mais bien décrite), la bienveillance et le passé de German... l'histoire de Mihaïl Kolvenik m'a aussi fascinée, car elle nous est racontée progressivement, grâce à divers points de vue, qui peuvent se contredire parfois, il nous est donc difficile d'avoir une vue d'ensemble de sa destinée et de véritablement le juger. Je ne saurais pas dans quelle catégorie ranger ce roman, car il mêle à parts égales une enquête policière, une histoire fantastique parfois même proche de l'horreur, des personnages touchants par leurs sentiments et les drames humains qu'ils traversent... je regrette un peu cette fin, forcément... mais elle était logique, tout autre fin aurait été artificielle, malvenue, alors je l'accepte quand même sans trop de regrets.

Enfin, l'un des points forts du roman réside dans son atmosphère surannée, gothique : l'histoire est censée se passer dans les années 80 mais en réalité elle m'a semblé hors du temps, les personnages ne font que parcourir des lieux anciens étranges, déserts, abandonnés ou à moitié en ruine, à l'image de leurs recherches qui les plongent dans un passé vieux de plusieurs décennies. Le tout donne une aura de merveilleux au roman, mais un merveilleux inquiétant, qui va jusqu'au macabre... à cause de cette atmosphère surtout, j'adorerais que cette histoire soit adaptée au cinéma. Si un réalisateur de talent parvenait à allier des acteurs charismatiques, de somptueux décors, des effets spéciaux satisfaisants pour donner vie aux créatures terribles qu'on croise, une bonne dose de suspense et d'action (car il y en a aussi dans ce roman !), une musique à la fois douce et menaçante... alors je suis persuadée que ce bon livre pourrait donner un film excellent !

Si je n'ai pas eu de second coup de cœur pour le style de Carlos Ruiz Zafón  (ce qui est quand même bien dommage, snif), j'ai en revanche été enchantée par cette histoire prenante et je pense que je lirai avec plaisir un autre livre de cet auteur quand j'en aurai la possibilité... peut-être que je me laisserai quand même tenter par le Jeu de l'ange un jour, finalement.
 
Lecture effectuée grâce aux  http://bouquins.cowblog.fr/images/divers/ROBERTLAFFONT.jpg
et à http://bouquins.cowblog.fr/images/divers/livraddictlogosmall.png, merci !

Lundi 18 juillet 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/journaldudehors.gif« De 1985 à 1992, j'ai transcrit des scènes, des paroles, saisies dans le R.E.R., les hypermarchés, le centre commercial de la Ville Nouvelle, où je vis. Il me semble que je voulais ainsi retenir quelque chose de l'époque et des gens qu'on croise juste une fois, dont l'existence nous traverse en déclenchant du trouble, de la colère ou de la douleur. »  A. E.

Me fait un peu penser à la BD La Vie secrète des jeunes, de Riad Sattouf, sauf que c'est quand même moins vulgaire, et la narratrice, Annie Ernaux, s'implique un peu plus dans le récit que Riad Sattouf qui n'est qu'un regard, un témoin (absolument pas neutre cependant, puisque le choix de s'intéresser à telle ou telle scène est déjà significatif, et ses dessins qui enlaidissent les personnages ont valeur de jugement). Ils s'agit moins d'anecdotes que d'instants banals, qui mis bout à bout donnent une atmosphère générale... comme dans la Vie secrète des jeunes (je ne peux décidément pas m'empêcher de faire le parallèle, même si à bien des égards les deux oeuvres sont très différentes), il y a plein de scènes qui me pincent le coeur, des petits moments d'humiliation, des scènes tristes avec des mendiants qu'on ignore, des caissières qu'on méprise ou des enfants qu'on rabroue... heureusement, l'auteur a aussi capturé des moments tendres et amusants, mais ils sont trop rares...
 
Je ne pense pas, de toute façon, qu'Annie Ernaux ait cherché à privilégier tel ou tel ton ; j'ai l'impression qu'elle a seulement essayé d'enregistrer des instants du quotidien, des moments d'attente et d'ennui (dans le RER, les supermarchés) auxquels on ne prend pas garde quand on les vit - et qu'on essaie même de nier, dans les lieux publics les gens s'ignorent complètement le plus souvent -, et elle a essayé de les observer, de les analyser... j'ai parfois trouvé son point de vue trop encombrant, légèrement condescendant dans certains cas (même si je suis à peu près sûre qu'elle ne serait pas d'accord avec moi).
 
J'apprécie tout de même ce projet de se souvenir de ce qui nous semble sans intérêt... en effet quand notre vie change et qu'on perd nos repères, on se rend compte que toutes ces choses quotidiennes que nous pensions nulles constituaient l'essentiel de notre vie ou presque et je trouve ça triste, quand tout part en fumée sans prévenir, et quand c'est une fois qu'on a oublié quelque chose qu'on se rend compte qu'on aurait aimé lui garder une petite place dans notre esprit.
 
Moi qui connais encore peu Paris, mais qui vais peut-être devoir m'habituer à cette foule mouvante à la rentrée, cela m'a intéressée de lire au sujet de ces "rencontres" un point de vue différent du mien qui reste très flou ; et j'étais contente enfin quand un nom de station croisé il y a quelques jours était évoqué.
 
http://bouquins.cowblog.fr/images/photos/escaliermetro.jpgpage 36 :
Pourquoi je raconte, décris, cette scène, comme d’autres qui figurent dans ces pages. Qu’est-ce que je cherche à toute force dans la réalité ? Le sens ? Souvent, mais pas toujours, par habitude intellectuelle (apprise) de ne pas s’abandonner seulement à la sensation : la “mettre au-dessus de soi”. Ou bien, noter les gestes, les attitudes, les paroles de gens que je rencontre me donne l’illusion d’être proche d’eux. Je ne leur parle pas, je les regarde et les écoute seulement. Mais l’émotion qu’ils me laissent est une chose réelle. Peut-être que je cherche quelque chose sur moi à travers eux, leurs façons de se tenir, leurs conversations. (Souvent, pourquoi ne suis-je pas cette femme ?” assise devant moi dans le métro, etc.)

Jeudi 4 août 2011

http://www.manhattanrarebooks-literature.com/images/Irving%20Garp%201000.jpg
Un peu moins de 600 pages ; j’ai lu les 50 premières en une semaine (ou plutôt, j’ai lu les 50 premières en deux jours, et j’ai ensuite passé 4-5 jours sans lire), mais une fois que j’ai repris ma lecture, je l’ai achevée en deux jours.  Pour apprécier ce livre, il a fallu que j’accepte de me laisser emporter par lui, par ses personnages surtout. Si je devais rapprocher ce roman de l’œuvre d’un autre auteur, je penserais à Paul Auster : un personnage d’écrivain, un univers dense, fourmillant, avec plusieurs degrés qui s’imbriquent. .. mais  à la différence des romans de Paul Auster, j’ai eu le sentiment que dans celui-ci la vie était plus mise en valeur que la littérature, qu’elle n’était pas uniquement un prétexte justifiant l’existence de son personnage d’auteur. J’adore Paul Auster, mais dans un sens, Le Monde selon Garp m’a peut-être paru plus « humain » que la Nuit de l’Oracle, car plus réaliste et plus proche de ses personnages. (au final je préfère peut-être quand même le roman d'Auster... mais cela ne sera peut-être pas le cas de tout le monde !)

 Le roman de John Irving m’a paru très ambitieux, mais il tient ses promesses ; il est généreux avec nous, lecteurs, en nous donnant toutes les clés pour comprendre les personnages et leur vie. Il commence par nous plonger dans la vie de la mère du héros avant sa naissance, et je me suis rapidement attachée à Jenny Fields, au point de regretter par avance qu’on s’éloigne d’elle pour se concentrer ensuite sur Garp. Je crois d’ailleurs que c’est pour ça que j’ai délaissé le livre au bout de 50 pages : Garp étant né, je sentais bien qu’on allait bientôt se concentrer sur lui, et je n’avais aucune envie d’abandonner sa mère ; ce que je ne savais pas, c’est d’abord qu’on ne perdrait la jamais de vue, car Garp resterait proche de sa mère toute sa vie, même quand ils ne vivront plus ensemble… et puis, Garp est aussi (largement) un personnage qui mérite qu’on s’intéresse à lui, même si j’ai eu plus de mal à le cerner, à comprendre ce qui était le plus important pour lui (mais je crois que lui aussi a des difficultés à définir ce qu’il veut vraiment).

Si le roman est long, c’est parce que l’auteur n’hésite jamais à nous raconter une scène en détails,  même s’il s’agit d’une simple anecdote. On a l’impression que pour John Irving, tout sert l’intrigue, il ne se contente pas de raconter ce qu’il est obligé de raconter pour avoir une histoire, non, il donne une épaisseur à tout ça : il crée un monde. En le sentant « digresser » quand il commence à nous raconter un truc concernant un personnage qu’on ne sera probablement pas amené à revoir, j’ai parfois pensé « mais enfin, on s’en fout, de ça » ; mais en fait non, on ne s’en fout pas, et John Irving parvient si bien à donner de l’intérêt à tout ce qu’il raconte, il est un conteur si enthousiaste, qu’on se laisse prendre au jeu et à la fin du passage qui nous semblait inutile, on se dit qu’on est quand même content qu’il existe, et puisqu’il fait partie de la vie de Garp, oui, effectivement, il mérite d’être dans le bouquin. C’est à ça que je pense quand je dis qu’il s’agit d’un roman généreux.

J’ai aussi adoré qu’on ait de larges extraits de la prose de Garp (procédé aussi utilisé par Paul Auster, mais pas de façon aussi développée si mes souvenirs sont bons) ; cela me frustre quand on nous parle d’un personnage d’écrivain sans pouvoir lire ce qu’il écrit, cela le rend trop abstrait. J’ai trouvé amusant le décalage entre le narrateur (externe et omniscient) et les propos de Garp concernant son œuvre ; d’un côté, le narrateur nous fait connaître de long en large la vie de Garp, les rapports qu’il entretient avec sa famille, ses difficultés d’écrivain et l’œuvre qui en résulte malgré tout etc ; de l’autre, on a Garp qui rejette les journalistes et de manière générale tous les partisans de la critique contextuelle, qui prétendent mieux comprendre son œuvre grâce à la connaissance de sa vie. Dans ces conditions, seul le lecteur a une vision globale de Garp et des rapports que sa vie entretient avec son oeuvre : Garp et son entourage manquent en effet de recul, quant aux personnages vraiment extérieurs, ils sont au contraire trop loin du « monde » de Garp pour le comprendre. J’ai été passionnée par  ce thème de l’écriture liée à la vie, suivre les aléas de l’inspiration de Garp, mémoire VS imagination, le voir dénigrer l’autobiographie et pourtant inscrire dans ses romans de nombreux éléments de sa propre vie, comprendre en quoi l’écriture peut être thérapeutique et libératrice pour lui, observer les différentes réactions de son entourage, mère, épouse, amis et éditeur….

Deux (tout) petits bémols : la narration est très fluide, le roman très prenant se lit vite (une fois qu’on a accroché), mais si on s’y arrête, le style m’a parfois légèrement déçue, la faute aux personnages « qui secouent la tête » (cette expression cliché qui sert à rien me met en colère) et à la prolifération de « Bonté divine ! » - mais bon, je pardonne facilement ces quelques maladresses (qui n’en sont peut-être que pour moi) à John Irving, d’autant plus que certaines sont peut-être tout simplement causées par la traduction ! c’est un livre que j’essaierai de lire en version originale, s’il me prend l’envie de le relire dans quelques années.  Je préfère ne pas m’appesantir sur ces détails mais plutôt admirer sa virtuosité de conteur, il maîtrise comme un chef des techniques pour « tenir » son lecteur et le faire bouillir, par exemple en nous mettant sous le nez les conséquences d’un évènement horrible, puis prenant bien son temps pour nous annoncer quel est l’évènement horrible en question ! (car si le roman est linéaire, Irving joue cependant habilement avec les ellipses)

 Autre bémol, la fin, qui m’a ennuyée alors que tout le reste m’avait passionnée : dans un (trop) long épilogue, on apprend la destinée de tous les personnages jusqu’à leur mort ; connaissant John Irving (dans la mesure où on peut connaître un auteur en ayant lu un seul roman de lui), c’est tout à fait logique, il a accordé trop d’attention à tous ses personnages pour terminer son livre sans qu’on sache ce qu’il advient d’eux… mais bon, ça s’étire, ça s’étire, et comme le dénouement principal a déjà eu lieu, pour moi le livre était bel et bien fini et j’ai eu l’impression de subir des bonus pas forcément bienvenus ; mais il faut noter aussi qu’arrivée au dernier chapitre, j’étais exténuée, j’aurais probablement plus apprécié cet épilogue si je l’avais lu à tête reposée ce matin !

Je ne vois pas comment conclure ce billet un peu décousu (j’aime pas les conclusions, raaah), mais si vous avez lu cet article ou au moins les trucs en gras, vous avez sûrement compris que j’ai beaucoup aimé (je n’ose pas lire tout de suite un autre bouquin du même auteur, peur d’être déçue en lisant quelque chose de moins bien ou de trop similaire) et que j’ai été scotchée par sa richesse incroyable ! En plus (aaah, ça y est, je tiens ma conclusion), c’est le livre préféré de Tote.

 
http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lemondeselongarp.jpgBONUS 
(au cas où ma sublime critique ne vous suffirait pas hinhin)

Résumé (trouvé ici) : Jenny Fields ne veut pas d’homme dans sa vie mais elle désire un enfant. Ainsi naît Garp. Il grandit dans un collège où sa mère est infirmière. Puis ils décident tous deux d’écrire, et Jenny devient une icône du féminisme. Garp, heureux mari et père, vit pourtant dans la peur : dans son univers dominé par les femmes, la violence des hommes n’est jamais loin… Un livre culte, à l’imagination débridée, facétieuse satire de notre monde. Né en 1942, John Irving est l’un des plus grands romanciers américains de sa génération. Le Monde selon Garp, partiellement autobiographique, (publié en 1978, NDLB) a connu un succès mondial et a été porté à l’écran.

Quatrième de couverture (= extraits de critiques élogieuses)
« Chaque génération a son livre. Le Monde selon Garp de John Irving pourrait bien être pour les enfants de la crise l'équivalent de l'Attrape-coeurs de Salinger pour ceux des années cinquante. » Jacques Cabau, Le Point
« Un des plus beaux, des plus étonnants monstres de la nouvelle fiction américaine. » Michel Braudeau, L'Express
« C'est peut-être cela un grand livre : une parodie qui se révèle plus vraie que la réalité qu'elle est censée grimacer. » Pierre Lepape, Télérama
 
Extraits :
"- L'art n'aide personne, dit Garp. En fait, l'art n'est d'aucune utilité pour personne ; les gens ne peuvent pas le manger, il ne les habillera pas, pas plus qu'il ne les abritera - et, s'ils sont malades, il ne les aidera pas à guérir.
Telle était, Helen le savait, la théorie de Garp sur l'inutilité fondamentale de l'art ; il rejetait l'idée que, du point de vue social, l'art eût la moindre valeur - qu'il pût en avoir, qu'il dût en avoir. Les deux choses ne devaient surtout pas être confondues, estimait-il ; il y avait l'art, et il y avait l'aide dont les gens avaient besoin. Et il y avait lui, qui, maladroitement, s'essayait aux deux - le vrai fils de sa mère, finalement. Mais, fidèle à sa théorie, il voyait dans l'art et dans l'engagement social deux domaines distincts. Les gâchis éclataient lorsque des imbéciles tentaient de combiner les deux champs. Garp devait toute sa vie garder la conviction, conviction qui d'ailleurs l'exaspérait, que la littérature était une denrée de luxe ; il aurait souhaité qu'elle fût plus utilitaire - et pourtant, dès qu'elle l'était, il en avait horreur."
(p.252)

"Ils laissèrent Garp fulminer en silence. Qu'auraient-ils pu faire d'autre ? Ce n'était pas là l'un des points forts de Garp : la tolérance à l'égard des intolérants. Les fous le rendaient fou. On aurait dit qu'il se sentait personnellement révolté de les voir céder à la folie - en partie, sans doute, parce que lui-même devait si souvent lutter pour se comporter de façon sensée. Lorsqu'il voyait des gens renoncer à lutter pour préserver leur raison, ou échouer, Garp les soupçonnait de ne pas déployer assez d'énergie." (p. 526)

Autres critiques : ici (SC) et (Livraddict)
A propos du film : fiche allociné et fiche SC
Challenge ABC 2001 : +1 !

Jeudi 22 septembre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lautrefille.jpgSamedi dernier, je suis enfin allée m'inscrire dans la petite bibliothèque de ma nouvelle ville. J'y allais surtout pour visiter, ayant déjà des livres à lire je n'avais pas prévu d'en emprunter tout de suite mais la bibliothécaire m'a dit "Vous pouvez aller choisir vos livres pendant qu'on termine l'inscription",  je n'ai pas pu résister ; j'ai donc emprunté l'album Sleeping with Ghosts de Placebo, le DVD Taxi Driver, et deux romans : Seul dans le noir, de Paul Auster, et le livre dont je m'apprête à vous parler, que j'ai emprunté un peu au hasard, parce qu'il était sur le présentoir et parce que sa brièveté - 77 pages - m'a donné bonne conscience. J'ai déjà lu Journal du dehors d'Annie Ernaux, j'étais curieuse de lire autre chose d'elle... et la simplicité du titre (et de la couverture) m'ont également attirée.

Quatrième de couverture (extrait) :

«Car il a bien fallu que je me débrouille avec cette mystérieuse incohérence : toi la bonne fille, la petite sainte, tu n'as pas été sauvée, moi le démon j'étais vivante. Plus que vivante, miraculée. Il fallait donc que je vienne au monde et que je sois sauvée.»

Pas besoin de résumé annexe (cela dit si vous en voulez un, hop), il me semble que l'extrait de quatrième de couverture est assez transparent (Matilda, toi qui as lu assez de livres évoquant le thème de la famille et de la mort ces derniers temps, je ne te conseille peut-être pas de lire ce livre immédiatement...) ! Pas de suspense dans ce livre, pas d'action à proprement parler, mais vous me connaissez bien maintenant, vous savez qu'il ne s'agit pas forcément d'ingrédients essentiels à mes yeux ;)

Au moment d'écrire cet article, je reprends le livre en main et découvre la toute première page (juste avant la page de titre), que je n'avais pas lue, elle présente la collection dans laquelle cette œuvre est publiée, ce qui n'est pas du tout indifférent comme vous allez le voir :
 
   "Quand tout a été dit dans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka aurait préféré la ranger dans un tiroir.
   Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire.
   La collection "Les Affranchis" fait donc cette demande à ses auteurs : "Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite."

.... ce texte, que je range ici dans la catégorie "Romans contemporains" est donc en réalité une lettre autobiographique, ce que je n'avais compris que vers la fin. Ça commence par la description d'une photo d'un bébé qui n'est autre que la sœur de l'auteur, et de fil en aiguille, cette lettre recouvre (à peu près) tout ce qu'Annie Ernaux peut nous dire au sujet de cette sœur morte avant sa naissance, dont elle sait si peu de choses et qui a pourtant énormément marqué sa vie - en creux.

Quel rapport entretient-elle avec cette absente que ses parents lui ont toujours cachée ? Comment a-t-elle appris son existence, comment a-t-elle géré cette nouvelle, comment comprend-elle aujourd'hui les causes d'un tel mystère autour de ce personnage qui aurait dû être si proche d'elle ? Annie Ernaux ne cherche pas à généraliser, elle parle bien de son histoire à elle, et uniquement cela, mais avec une clarté et une finesse qui font que le lecteur s'intéresse à tout cela sans se sentir intrus, plus le récit avance et plus on sent à quel point cet évènement tragique et la dimension de secret qui a tourné autour ont eu de l'importance pour elle.

Ne pas lire ce court texte d'une traite (j'ai en lu les trois quarts dans une laverie) m'a permis de m'en imprégner, j'ai songé à cette petite fille morte en attendant mon train et cela m'a glacée, j'ai eu un moment d'extrême tristesse face à l'injustice et à l'horreur de la chose, comme si tout cela m'avait réellement concernée. Je n'ai pas de petite soeur morte, mais je me suis sentie solidaire d'Annie Ernaux, et son histoire peut faire écho à nos propres ténèbres : d'autres morts, d'autres secrets de famille, et de manière plus large, toutes ces choses difficiles qu'on subit sans pouvoir les contrôler, choses terribles mais avec lesquelles on doit apprendre à vivre tant bien que mal, jusqu'à ce que ces choses s'intègrent à notre identité profonde ; et ainsi, Annie Ernaux rattache ce drame à sa vocation d'écrivain.

En empruntant ce livre, j'avais peur de me retrouver face à ce que j'appelle toujours "un récit larmoyant". Cela n'a rien de drôle, et j'ai été très touchée à un moment donné, mais l'auteur a la sagesse de ne pas jouer avec le pathos qui suinte des faits. Elle semble au contraire très neutre ; cette apparente froideur m'a un peu bloquée au début, mais on la comprend rapidement, c'est la seule manière dont Annie Ernaux arrive à parler de cette sœur qu'elle ne peut pas pas pleurer spontanément, puisqu'elle n'a pas connu directement la douleur de sa perte. Au fur et à mesure que la lettre se déploie, j'ai eu le sentiment d'un rapprochement effectif, d'une sorte de "réconciliation" entre cette sœur inaccessible et l'auteur : alors qu'au commencement elle semble irrémédiablement coupée d'elle, elle finit dans les dernières pages par s'adresser à elle de manière plus systématique, et c'est alors seulement que j'ai compris ce texte comme une lettre... les mots ont finalement rendu un peu plus présente la sœur disparue, et en fermant l'ouvrage je me suis sentie soulagée. J'espère que l'auteur a ressenti un apaisement similaire (cela serait la moindre des choses, et je suppose que c'était le but.)

Jeudi 6 octobre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/divers/morrobay.jpgMorro Bay Rock, source

(critique positive même si on ne dirait pas au début, accrochez-vous !)

Dimanche 25 septembre, il y a donc plus d'une semaine, j'étais dans le train et j'envoyais un texto à Matilda pour lui dire que je venais de finir Et rester vivant, roman de la rentrée littéraire qu'elle m'a conseillé et prêté (comme je suis chouchoutée ! :p), et que j'avais commencé la veille dans un autre train. (je passe ma vie dans des trains, j'adore ça, surtout si ça me permet de rejoindre les gens que j'aime !).

Si Matilda ne m'avait pas forcée poussée, je ne me serais peut-être pas penchée sur ce livre. Je ne connais pas l'auteur. Je ne connais pas la maison d'édition, Buchet/Chastel (ça c'est un détail, et d'ailleurs ça ne va pas durer, surtout si je choisis ce livre pour mon cours de librairie, pour répondre au commentaire d'Envolée-Littéraire : je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé quel livre je vais prendre pour ce travail, peut-être que cela sera celui-ci, peut-être pas !). Et surtout, a priori, je n'aime pas le titre.
 
"Et rester vivant."

Est-ce que ces quelques mots vous font la même impression qu'à moi, quand je ne savais rien du tout sur ce livre ? C'est comme s'ils disaient "Vous allez voir, j'ai vécu plein de trucs horribles, que je vais vous raconter, mais ça se finit bien, parce que je suis tellement courageux que j'ai choisi de rester vivant, finalement, je suis super-fort, héhé !."
Et c'est un peu ce que le narrateur dit au final, si on caricature. Mais il ne le dit pas de cette manière suffisante que j'imaginais, non pas du tout. Et les trucs horribles qu'il vit, d'abord on n'a pas envie d'en rire (parce que c'est vrai... ça ne suffit pas toujours comme argument, les témoignages-choc ne m'attirent pas mais ce n'est pas ça non plus), mais ensuite il ne nous appuie pas sur les paupières pour nous faire chouiner, et les siennes restent sèches - ce qui n'en est pas moins douloureux.

Même si les deux situations sont très différentes - Jean-Philippe Blondel se prend tout de plein fouet -, ça parle de famille et de mort et la démarche vis-à-vis du lecteur ne me semble finalement pas très éloignée de celle d'Annie Ernaux dans Une autre fille (ma lecture précédente pour ceux qui ne suivent pas). Jean-Philippe perd sa mère, son frère et son père dans deux accidents de voiture à 4 ans d'écart (je crois), se retrouvant à peu près seul au monde à 22 ans. Ses seules attaches ? Sa petite amie Laure - nouvellement ex au moment du drame - et son meilleur ami Samuel - avec qui est partie sa-nouvellement-ex-petite-amie, vous suivez toujours ?

L'enjeu du bouquin, c'est un peu celui-ci : comment fait-on pour continuer à vivre avec un jeu de cartes aussi merdique ?
On sait bien que le jeune narrateur ne va pas péter les plombs au point de se foutre en l'air, puisqu'il nous écrit tout ça des années après..... pour autant, il est évident que dans une telle situation, plus rien ne coule de source, tout est à faire. La vie est en quelque sorte ramenée à son plus simple appareil, dévêtue de toutes les habitudes qui la construisent en la faisant tenir dans un cadre. Qu'est-ce qui peut alors nous retenir, à quoi se raccrocher ?

La réponse peut sembler incongrue, mais qu'auriez-vous fait à sa place, franchement ? Jean-Philippe va partir en voyage aux USA avec ses deux acolytes, trio ressoudé par la force des choses alors qu'il s'apprêtait à s'émietter, avec pour objectif ultime de visiter Morro Bay, un lieu qu'il connaît seulement de nom grâce à une chanson qu'il écoute en boucle, et que voici :
 

(je découvre seulement maintenant cette fameuse chanson sans laquelle ce roman n'existerait pas. Amusant de constater que, d'après ce que le narrateur en dit, je ne l'imaginais pas du tout comme ça, je m'étais fait ma propre idée.... on voit bien que ce qui compte, ce n'est pas tant la chanson en elle-même, mais le sens que le personnage lui donne !)

Cette histoire de Morro Bay correspond assez à l'idée que je me fais des micro-perspectives telles qu'elles sont définies dans ma nouvelle préférée, "Voix" d'Antonio Tabucchi (sauf qu'une micro-perspective, normalement c'est petit, simple à faire. Là ça semble un gros morceau, mais quand même, n'est-ce pas a priori une raison de vivre bien mince, quasi-absurde, de rejoindre ce lieu inconnu alors qu'on vient de perdre toute sa famille ???). L'idée, c'est d'avoir un objectif, quel qu'il soit. Et effectivement, partir n'est peut-être pas une mauvaise solution.

Comme vous l'avez compris, ceci n'est pas vraiment une fiction dans la mesure où Jean-Philippe Blondel raconte ce qui lui est réellement arrivé (bon il a peut-être brodé, je n'en sais rien et peu importe, le canevas est là !). C'est donc un récit assez brut où le lecteur doit s'adapter, le road-trip nous est livré tel qu'il s'est passé, il n'est donc pas là pour nous divertir en satisfaisant notre besoin de tourisme par procuration. Ce n'est pas un roman qu'on lit pour voyager aux Etats-Unis, mais pour accompagner l'auteur dans son passé qu'il fait renaître sous nos yeux : les deux points de vue s'entrechoquent, on a à la fois le Jean-Philippe de 22 ans qui se débat comme il peut sans qu'on sache ce qui va advenir de lui, et parfois, la voix de l'écrivain qui nous aide à prendre un peu de recul mais sans qu'on soit bien assuré de la suite... de manière générale, j'ai eu le sentiment de rester collée à l'époque passée quand même : on a aussi beaucoup de flash-backs, de souvenirs de sa famille, les souvenirs d'enfance avec sa mère surtout m'ont touchée.... cela permet bien de cerner de mieux en mieux le personnage, sa vie telle qu'elle a été, et de voir que vraiment, rien n'est simple. Alors les souvenirs sont écrits au présent, les différentes temporalités se superposent en se mélangeant, tout semble plus ou moins hâché, saccadé ; d'un passé bel et bien mort il ne reste que des bribes survivant tant bien que mal dans sa mémoire (quelle responsabilité !), et son présent explosé ne tient plus debout.... pas facile de rattacher les morceaux et de continuer à aller de l'avant au milieu d'un tel cataclysme !

J'ai tout spécialement apprécié l'honnêteté du narrateur qui ne cherche ni à donner une image des défunts plus reluisante que celle qu'il avait vraiment, ni à dorer son propre blason : tantôt il m'a semblé bizarrement froid, tantôt on le voit à nu en pleine souffrance.... pas de logique narrative artificielle derrière, mais la vie, c'est-à-dire les réactions tout aussi vraies qu'invraisemblables que chacun peut expérimenter quand la réalité devient plus folle que la plus grotesque des fictions : chaque chemin est compliqué, et à chacun de faire avec, comme il peut. (et si on est plusieurs pour lutter contre l'horreur, c'est mieux effectivement ! Je pourrais aussi vous parler longuement de l'intérêt que j'ai trouvé à lire son histoire d'amour/amitié avec Samuel et Laure... ce roman m'a vraiment plu pour des raisons diverses, j'applaudis sa richesse dont ma critique ne permet pas vraiment de rendre compte !!!). Si je me laissais aller à une conclusion cliché, je dirais que ce roman est une belle "leçon de courage" ? cela ne serait sûrement pas faux, du courage il n'en est pas dénué ! Mais il n'en fait pas l'étalage et ce n'est certainement pas une leçon - plutôt un encouragement, un livre-médicament qui, sans nous faire la morale, nous aide à relativiser nos malheurs en nous donnant la preuve qu'aucun n'est insurmontable, pourvu qu'on accepte le décalage entre la difficulté des obstacles et la faiblesse de nos moyens, sans pour autant baisser les bras.

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/Etrestervivant.jpgExtrait :
"Parfois, mon frère pleure, la nuit.
Je le sais.
Je crois que je suis le seul à le savoir. (...)
Cela arrive alors que rien ne le laisse présager. Mes parents ont fermé leur porte. Il est deux ou trois heures du matin. Je me réveille parce que quelque chose cloche. Et ce qui cloche, c'est ce son étouffé par l'oreiller. Je feins de dormir.
La seule fois où je me retourne et que je demande ce qui se passe, il ne répond pas. Le lendemain et les semaines suivantes, il m'évite.
Je me dis que j'aurai l'explication plus tard. Je me dis que nous avons la vie devant nous.

Je ne pleure jamais dans la vie quotidienne.

Je pleure silencieusement devant les films, en lisant des livres, en écoutant de la musique. Dans la vie courante, je reste de marbre.
Je me demande de quelle maladie nous souffrons tous les deux."

Quatrième de couverture :
« Depuis, quand on me croise, on compatit. On me touche le coude, on m'effleure le bras, on refoule des larmes, on me dit que c'est bien, que je suis courageux, que ça va aller, hein ? Je ne réponds pas. Je laisse glisser. Je continue d'enchaîner les longueurs dans ma piscine intérieure et je fais attention à ce que le chlore ne rougisse pas mes yeux.»

Avoir vingt-deux ans - et plus aucune attache. Rouler sur les routes californiennes. Vivre des rêves éveillés et des cauchemars diurnes. Comprendre que l'important, désormais, c'est de continuer coûte que coûte. Et de rester vivant.


Mercredi 19 octobre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/riennesopposealanuit-copie-1.jpg
Quatrième de couverture :
Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence.

Encore un article écrit des jours après ma lecture, sur (encore) un livre de la rentrée littéraire où il est question (encore) de famille et de mort.

Et encore une chanson pour illustrer :

(si vous ne voyez pas quel est le rapport entre cette chanson et ce bouquin... eh bien écoutez donc)

Tout d'abord, un grand merci à PriceMinister qui m'a offert ce livre parce que je le vaux bien dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire !

J'aime Delphine de Vigan depuis que j'ai lu No et moi, roman über-chouette qu'elle m'a dédicacé lors de ma première venue au Salon du Livre de Paris il y a trois ans (j'avais osé m'approcher d'elle parce qu'elle était toute seule à son stand et j'avais été extrêmement impressionnée !). que j'ai relu plusieurs fois, et j'ai aussi lu (et relu) Jours sans faim, qui est aussi très bien. [N.B. : elle a aussi écrit Jolis garçons - recueil de nouvelles, Un soir de décembre - que je viens d'emprunter - et Les heures souterraines - que je possède en livre audio mais n'ai toujours pas écouté.]
Si je vous fais cette mini-rétrospective de mon rapport à cet auteur, c'est parce que ça explique en partie mon envie de lire Rien ne s'oppose à la nuit, livre autobiographique où elle parle de sa mère qui s'est suicidée (en photo sur la couverture)... ayant déjà été touchée par sa sensibilité auparavant, j'ai eu envie de me plonger dans celui-ci, après quelques hésitations toutefois, le sujet me semblant très dur, si ce bouquin n'avait pas été signé de Vigan il ne m'aurait peut-être jamais intéressée.

Mon verdict ? J'ai aimé, oui... même si j'ai peut-être préféré les deux autres. No et moi parce qu'il était plus gai, plus léger. Jours sans faim parce que... les livres réussis évoquant l'anorexie ont toujours une place particulière dans mon cœur, je m'identifie énormément à ces héroïnes - alors que je ne suis pas anorexique, mais allez comprendre pourquoi certains livres nous touchent inexplicablement plus que d'autres.... !

Même si cela n'a pas été LA révélation, ce livre est cependant loin de m'avoir laissée indifférente, Rien ne s'oppose à la nuit est un livre fort...  Et on ose à peine le critiquer tant on sent le cœur qu'y a mis l'auteur. Que critiquer vraiment, d'ailleurs ? C'est un livre réussi malgré son sujet casse-gueule - encore un livre sur le deuil, et plus précisément sur le suicide, sujet terrible - comment ne pas aller trop loin dans l'apitoiement et l'horreur ?, un livre qui raconte des histoires de famille, comment intéresser les lecteurs à une histoire touffue et personnelle sans tomber dans l'anecdote people ? Je me méfie généralement des livres qui promettent du trash et de l'authentique, parce que j'ai souvent peur de tomber sur... un témoignage catastrophe qui compte sur son potentiel tire-larmes pour faire oublier son absence totale de style, vous voyez de quel genre de livres je veux parler ? Pis si on s'avise de cracher sur un bouquin de ce type, il va toujours y avoir quelqu'un pour nous traiter de monstre parce qu'on est forcément amputé du myocarde si on a pas été convaincu par cette histoire poignante. Et là vous me répliquerez avec raison : "Oui, mais de toute façon les livres dont tu parles ne prétendent pas être de la littérature...." c'est vrai... mais pas toujours. Et puis n'empêche, je me méfie. A tort cette fois-ci, parce qu'avec Delphine de Vigan bien sûr, on est tranquille, la qualité est au rendez-vous ! (j'espère que je n'aurai jamais à contredire cette phrase...)

Pourquoi ai-je l'air un peu mitigée, alors ?
Ben... je dirais que ce livre a les défauts de ces qualités. A travers l'écriture de cet ouvrage, l'auteur a cherché à comprendre le mal-être de sa mère en retraçant toute sa vie. Et on la suit de très près dans cette entreprise : ce roman n'est pas le résultat policé et artificiel de ses recherches, il ne s'agit pas du tout d'une biographie traditionnelle qui laisserait de côté son narrateur, non, on accompagne au contraire Delphine de Vigan dans son projet, elle nous raconte sa façon d'enquêter (en recueillant notamment des interviews des proches de sa mère), les difficultés traversées au cours de l'écriture de ce livre, les raisons qui la poussent à continuer malgré tout... tout cet aspect nous rend plus proche encore de Delphine, mais d'un autre côté, difficile de s'immerger complètement dans le récit de la vie de sa mère dans ces conditions, on sent toujours une tension entre passé  et présent, la "réalité" décrite (guillemets parce qu'on se rend bien compte de la relativité de cette réalité reconstruite, constituée des souvenirs indirects issus de témoignages, d'interprétations, commentaires personnels...). Tout cela participe à l'inconfort provoqué par cette lecture, inconfort parfois presque pénible - comme il aurait été plus simple de considérer Lucile comme un simple personnage de fiction comme les autres ! on la suivrait plus facilement en prenant finalement son destin moins à cœur... ! - mais qui fait aussi une grande partie de l'originalité et de la force de l’œuvre.

Cette lecture n'est pas non plus exempte de frustrations : il y a ce que l'auteur tait volontairement - la vie commune de ses parents -, et ce qu'elle ne sait pas, ce qu'on ne saura jamais avec certitude, parce qu'on ignore les pensées de Lucile, et parce que certains secrets résistent au temps, surtout ceux que les personnes concernées ont emporté dans leur tombe... et ce roman est aussi une ultime tentative d'accéder enfin à la vérité de cette mère restée bien souvent mystérieuse... tentative qui n'est pas complètement vaine, mais c'est avec peine qu'on voit les limites de ce rapprochement grâce à l'écriture, ce roman est habité par le manque, le flou, les regrets de ne pas pouvoir tout dire parce qu'on ne sait pas tout. Il s'agit d'un roman, mais on sent combien l'auteur a du mal à romancer justement, elle nous fait part de son intention d'être précise et juste, de respecter les faits quand elle les connaît, ce qui est inconnu le restera, les trous ne sont pas comblés artificiellement.
Il reste toutefois beaucoup de matière : la famille Poirier a eu une histoire riche, tout à fait romanesque, avec une récurrence d'évènements tragiques qui nous rappelleraient presque les malédictions familiales zoliennes ! Ce qui m'a surtout frappée, ce sont les réactions des personnages face à tous ces drames : alors que le moindre de ces "problèmes" pourrait faire l'objet d'un roman psychologique, ils n'en font pas tout un plat et continuent d'avancer malgré tout... et en effet, dans la vie, c'est comme ça que ça se passe : quand quelque chose de vraiment grave arrive, on évite généralement de rester bloqué dessus et on essaie au contraire de tourner la page, parce qu'il le faut bien. Cela donne quand même lieu à des passages un peu surréalistes où sont évoqués en 2 lignes des évènements vraiment choquants mais qui ne feront l'objet d'aucune remarque supplémentaire.... et j'admire Delphine de Vigan d'avoir justement été capable de rendre compte de tous ces détails horribles mais vrais (qu'il n'a pas dû être facile de dévoiler pour certains), sans pour autant tomber dans la surenchère en utilisant ces éléments de manière pathétique alors qu'ils n'ont pas été traités comme tels dans les faits !

Le roman est assez long pour qu'on s'attache vraiment aux différents personnages, qui sont nombreux et dont la personnalité se déploie sous les yeux du lecteur au fil des années. Il s'agit des parents de Lucile, Liane et Georges, et de ses frères et soeurs : Lisbeth, Barthélémy, Antonin, Jean-Marc, Milo, Justine, Violette et Tom (si j'ai bien compris, les prénoms ont tous été changés ; eh bien je les trouve particulièrement bien choisis). Au début je craignais de ne pas réussir à m'intéresser vraiment à la destinée de chacun, mais c'est venu et au final, ils m'ont marquée bien plus que je ne l'aurais pensé : ce roman m'a attristée, et même parfois dégoûtée. L'auteur aux prises avec ce passé trouble ne nous épargne ni les évènements les plus durs, ni le récit de sa propre fragilité face à cette histoire lourde à porter. Je lui en ai parfois presque voulu de nous imposer ça, mais au final, malgré / grâce aux allers-retours entre présent et passé et aux manques du récit, qui m'ont gênée mais qui sont évidemment nécessaires à ce roman en affirmant sa singularité, je pense avoir été touchée assez profondément.... (plus d'une semaine que je repousse la rédaction de cet article en me disant que je ne vais pas savoir quoi dire, que j'ai déjà dû oublier bien des choses... mais tout m'est revenu en tête en écrivant, et j'admets que des bribes du roman m'ont hantée chaque jour depuis que je l'ai fini)

[alors finalement, je serais bien incapable de répéter que ce roman m'a déçue. Disons plutôt qu'il est moins facile à digérer que les autres... mais c'est peut-être justement son point fort ?]

Mercredi 16 novembre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/lafemmeetlours.gifEncore une fois, un bouquin issu de la rentrée littéraire que je n'en finis pas de goûter... ! Philippe Jaenada, j'avais aimé sa verve, ses parenthèses, la complicité avec les personnages qu'il nous avait offerts avec le Cosmonaute ; j'en attendais autant avec ce petit dernier... j'avais sans doute mis la barre trop haut... c'est sympa, mais c'est moins bien.

Il me semble qu'il s'est pas mal calmé avec les parenthèses... vous me direz (pour ceux qui connaissent le Cosmonaute) que c'est peut-être un bon point, car les nombreuses parenthèses du Cosmonaute rendaient son discours peut-être un peu dur à suivre par moments. Là, pas de problème de ce genre, c'est très fluide, mais on perd en originalité, et en humour, c'est certain. Ce qui m'avait tant plu dans le Cosmonaute (désolée si ça vous ennuie, mais je suis bien partie pour comparer les deux œuvres tout au long de cet article car dans ma tête elles sont vraiment liées), c'était la distance teintée de raillerie espiègle entre le narrateur et lui-même, si je puis dire. Dans la Femme et l'ours, on a toujours un narrateur à la première personne, mais que j'ai trouvé moins facétieux, même s'il s'agit au final du même genre de personnage - un avatar de l'auteur apparemment, j'ai lu je-ne-sais-plus-où que La Femme et l'ours est le roman le plus autobiographique de Jaenada, le narrateur est effectivement un personnage d'écrivain...

... mais ce qui lie le plus fortement La Femme et l'Ours et le Cosmonaute - seul autre roman de l'auteur que j'ai lu mais je précise qu'il en a écrit bien d'autres, donc on pourrait peut-être faire de multiples autres liens avec le reste de son œuvre, je vous redirai ça quand je connaîtrai tout de lui -, c'est le personnage de la femme de l'auteur, qui semble absolument identique dans les deux romans : il s'agit d'une femme tyrannique et maniaque à laquelle notre narrateur doit se soumettre afin d'éviter les situations explosives.... et là forcément je ne peux m'empêcher de me demander si la femme de l'auteur est vraiment comme ça ! Si oui 1) je le plains et je me demande comment il fait pour la supporter 2) il serait très improbable qu'il ose en faire un tel portrait publiquement ! J'en déduis donc qu'il doit y avoir une bonne part de fiction là-dedans (ou alors, c'est son ex-femme et il se venge mouahaha), bref, on tombe dans des considérations un peu trop people à mon goût alors je ne vais pas épiloguer là-dessus, n'empêche que ce personnage féminin diabolique ne manque pas de charisme et malgré son effet plutôt malfaisant, j'ai été contente de la retrouver ici, au point d'avoir un peu l'impression que la Femme et l'ours est une sorte de suite du Cosmonaute !

Dans le Cosmonaute, on avait surtout un tableau du couple formé par les deux personnages ; là, le personnage de la femme (la femme du titre n'est d'ailleurs pas forcément la femme du narrateur...) est beaucoup plus effacé, on se centre sur le narrateur, qui va d'ailleurs s'éloigner physiquement du foyer conjugal en tentant une sorte de rébellion par la fuite. Je ne continue pas trop sur cette lancée sinon on va m'accuser de tout spoiler (je-m'en-tape !) mais en gros, la narrateur va être entraîné dans des aventures qui l'emmèneront toujours un peu plus loin de chez lui ; ça part d'une broutille réaliste et pffffuit, d'un évènement à un autre il se retrouve embarqué dans une histoire qui pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes que tout ce qu'il pouvait imaginer au départ.

La fantaisie qui manquait au début de ce dernier roman (à mon avis) se retrouve au fur et à mesure que les pages se tournent, on sent que l'auteur laisse progressivement libre court à son imagination, ça devient de plus en plus déjanté, au point de m'avoir rendue assez réticente à le suivre dans ses pérégrinations loufoques au bout d'un moment, je me suis vraiment demandée jusqu'où on irait, des scènes crues que le début n'annonçait pas du tout (noooon je ne suis pas mijaurée, seulement, je ne m'y attendais pas c'est tout !) m'ont fait poser le bouquin une minute, le temps de déclarer à ma mère - qui n'en avait strictement rien à faire mais c'est pas grave, j'avais besoin de partager mon ressenti en direct : "Ouuuhlàlà, ça part carrément en vrille là !" Les personnages et l'objet de la "fuite" sont différents, mais ce roman m'a  fait beaucoup penser à Eyes Wide Shut (et donc à l’œuvre littéraire qui a servi de base au film de Kubrick, La nouvelle rêvée, d'Arthur Schnitzler) : on suit le narrateur en se demandant jusqu'où tout cela va le mener !

Le dérapage est cependant contrôlé, le narrateur/auteur retombera sur ses pattes (d'ours), la fin m'a plutôt réconciliée avec les passages que j'ai trouvés excessifs, et une fois le roman terminé, je me dis qu'aller aussi loin était sans doute nécessaire. Le tout est bien ficelé, et à la fin du roman, on considère la situation initiale différemment : nous (enfin, au moins "me")  faire reconsidérer complètement une situation que je jugeais pourtant de manière tranchée et sans tergiverser au début est à mon avis une sorte d'exploit qu'il convient d'applaudir. Si la fin du Cosmonaute me faisait chérir le célibat, celle de la Femme et l'Ours me démontre que les choses ne peuvent pas être jugées de manière aussi simpliste. Un roman qui manque un peu de pêche et s'enlise quelquefois  - toujours en comparant avec le Cosmonaute, mais je crois que vous avez compris à force - un peu plus triste, un peu plus proche de nos vies peut-être ? avec un narrateur très humain qui n'hésite pas à embrasser la déchéance (au moins temporairement, je ne vous dis pas comment ça finit - mais bon sang que d'alcool, c'en est presque saoulant !), l'aspect rocambolesque de ses frasques pimente la lecture et la rend plutôt prenante, et si la fin du roman en décevra forcément certains, pour ma part je trouve que l'évolution du personnage au cours du roman tient tout à fait debout et fait plutôt réfléchir...

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"Chaque lecture est un acte de résistance. Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même." Daniel Pennac

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