Jeudi 24 novembre 2011

http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/unsoirdedecembre.jpgQuatrième de couverture : Quarante-cinq ans, une femme, deux enfants, une vie confortable, et soudain l’envie d’écrire, le premier roman, le succès, les lettres d’admirateurs… Parmi ces lettres, celles de Sara, empreintes d’une passion ancienne qu’il croyait avoir oubliée. Et qui va tout bouleverser. Au creux du désir, l’écriture suit la trajectoire de la mémoire, violente, instinctive et trompeuse.

    Delphine de Vigan, je commence à bien la connaître, après avoir lu et aimé No et moi, Jours sans faim et Rien ne s'oppose à la nuit j'ai décidé de lire toutes ses œuvres (et je ne reviens pas sur cette décision d'ailleurs !), et là j'ai encore l'impression de découvrir une nouvelle facette de l'auteur : finalement, le thème si banal en littérature de la relation amoureuse n'avait pas été vraiment approfondi dans les autres œuvres de Delphine que j'ai déjà lues ! Et rien qu'en lisant la quatrième de couverture, on sent bien que c'est ici le thème central autour duquel toute l'histoire se tient. Sujet casse-gueule car déjà abordé des millions de fois et qui peut facilement tomber dans la mièvrerie... ce n'est pas le cas, mais ce roman n'est à mon goût pas exempt de certains défauts malgré tout.

C'est un roman court (moins de 200 pages, avec une grande police), et qui se lit très facilement, et j'ai envie de dire "confortablement" : on n'a pas de mal à suivre, moi qui ai du mal à lire de manière fragmentée et entourée de monde, j'ai fait traîner cette lecture trois jours en picorant des pages dans le bus, dans les couloirs de l'école, et même (chuuut !) en amphi en suivant un cours en même temps, sans que ces conditions défavorables gênent véritablement ma lecture.

    En raison de sa grande fluidité, c'est donc le roman parfait pour les vacances, une petite lecture rapide sans prise de tête (bon je dis ça pour correspondre à un cliché mais en vérité je profite souvent des moments de calme et de solitude en vacances pour me lancer dans des lectures plus longues ou ardues, mais on s'en fiche !). Mais cette "petite lecture" est-elle quand même suffisamment consistante, alors ? ... je ne saurais pas vraiment en juger, mais comme j'ai été vraiment émue par ce roman, qui était exactement ce dont j'avais besoin à ce moment-là, je dirais que oui, même si j'ai eu le sentiment d'un style peut-être un peu moins maîtrisé... je reproche à Delphine d'avoir cédé à certaines tournures un peu faciles : des anaphores surtout, qui permettent de rendre une atmosphère mélancolique à peu de frais, par exemple à l'aide de paragraphes entiers développés autour de la même expression assez simple avec de simples variations (ex : "j'attends...") .

J'ai eu parfois l'impression de me trouver face à une écriture "adolescente", le style m'a paru assez similaire à celui qu'on trouve parfois en parcourant des blogs tenus par des jeunes filles portées sur l'introspection tristounette (attention, je compare le style de Delphine aux blogs les mieux écrits, et il en existe effectivement de qualité !). On a donc une écriture un peu naïve, je comprendrais que ce style puisse agacer mais il a fonctionné sur moi en tout cas (j'espère que cela sera toujours le cas quand je relirai ce roman !)... et je crois qu'on a quand même là une touche propre à l'auteur : comme dans Rien ne s'oppose à la nuit finalement - même si les deux romans sont par ailleurs très différents, qu'il s'agisse du style, du sujet ou de l'ampleur de l’œuvre -  on sent derrière les mots une fragilité, qui peut mettre le lecteur plus ou moins mal à l'aise, mais qui fait en même temps la force du roman, ou en tout cas une grande partie de son charme !

  Et puis si le thème en lui-même n'est pas très original - un homme marié va connaître une lassitude et une nostalgie d'une histoire d'amour ancienne qui va tout remettre en question, en gros - mais c'est quand même assez subtil et poétiquement écrit pour être intéressant... je n'ai pas vraiment réussi à m'attacher au héros, tout en étant proche de ce personnage qui devient de plus en plus secret au fur et à mesure qu'il se retranche en lui-même au sein même de son foyer, on a du mal à savoir quelles sont ses pensées, notamment en ce qui concerne son travail d'écrivain : on sait au début du roman que son premier roman a eu du succès, on voit qu'il a du mal à se remettre à l'écriture, progressivement on en apprend un peu plus sur son rapport à l'écriture, et il y a pas mal de réflexions assez bien trouvées et joliment trouvées sur le pouvoir de l'écriture, sur ce qu'elle permet d'exprimer, mais au fond on ne sait pas trop ce qu'il pense de son travail et de son statut récent d'écrivain... on ignore d'ailleurs tout de ce premier roman qui l'a rendu célèbre ! Ce que je trouve un peu décevant, même si on comprend que ce n'est pas l'essentiel.

    De même, on sait peu de choses sur cette "Sara" qui va revenir dans sa vie et qu'on découvre 'à travers les quelques lettres qu'elle lui a écrites (très belles, je crois que presque tous les passages que j'avais envie de noter sont extraits de ces lettres) et les quelques souvenirs qu'il veut bien nous faire connaître. Cela laisse une certaine distance entre les personnages et le lecteur, qui est assez frustrante mais laisse planer une atmosphère de mystère pas désagréable et finalement bien en adéquation avec le sujet : le héros chez lui ne communique plus avec sa famille, mais celle à qui il pense reste loin de lui... on a tout un tas de barrières, physiques et symboliques, entre les personnages qui ne savent pas trop ce qu'ils veulent et restent toujours isolés les uns des autres d'une certaine façon...

   On sent dans ces personnages un décalage, non seulement entre leur vie réelle et leur vie fantasmée, mais aussi entre leurs rêves et ce qu'ils sont effectivement prêts à réaliser : ni complètement héroïques, ni complètement victimes, ces personnages ne sont pas dénués d'une part de médiocrité qui leur confère une dose supplémentaire d'humanité... et au final je serais bien en peine de les juger. Malgré l'atmosphère un peu ouatée et onirique dans laquelle baigne l'ensemble du roman (les scènes où il est question de désir sexuel par exemple sont plutôt réussies, ni trop prudes, ni trop crues), la fin est plus modérée et réaliste, elle est une façon de ramener le lecteur à terre, certains n'aimeront peut-être pas mais il me semble au contraire que c'est un choix judicieux de l'auteur, qui nous épargne ainsi un "parfait" happy end (ou une fin tragique, je ne vous dis pas comment ça finit !) qui aurait été trop caricatural.

Vendredi 9 décembre 2011

 "D'abord on voit mal la modification. On croit qu'il n'y a qu'un tracas instinctif qui partout vous fait voir l'anormal, l'ambigu, l'angoissant. Puis, soudain, l'on sait, l'on croit savoir qu'il y a, non loin, un l'on sait trop quoi qui vous distrait, vous agit, vous transit. Alors tout pourrit. On s'ahurit, on s'avachit : la raison s'affaiblit. Un mal obstinant, lancinant vous fait souffrir. L'hallucination qui vous a pris vous abrutira jusqu'à la fin.

L'on voudrait un mot, un nom ; l'on voudrait rugir : voilà la solution, voilà d'où naquit mon tracas. L'on voudrait pouvoir bondir, sortir du sybillin, du charabia confus, du mot à mot gargouillis. Mais l'on n'a plus aucun choix : il faut approfondir jusqu'au bout la vision.

L'on voudrait saisir un point initial : mais tout a l'air si flou, si lointain...."


http://bouquins.cowblog.fr/images/livres/ladisparitiondegeorgeperec.gifCela me fait bizarre de mettre ce livre dans la catégorie "romans contemporains" car Perec est l'un de mes classiques, mais ce livre a été publié en 1969, alors soit, il ne peut s'inscrire dans ma catégorie "romans avant 1960". Il est très connu car il s'agit d'un roman sans le moindre e ; c'est un lipogramme (je note ce mot surtout pour ne pas l'oublier !).

Bon, c'est fâcheux. Perec, tu sais que je t'aime. J'évite de relire Un homme qui dort parce que j'ai peur de l'influence qu'il a sur moi mais il reste LE livre à mes yeux. Et quand Lucie m'a lu à voix haute la fin de W ou le souvenir d'enfance, j'ai eu une grosse envie de pleurer qui m'a beaucoup surprise, c'est la seule fois qu'un extrait d'un livre lu m'a autant touchée. Les choses je ne m'en souviens plus très bien mais cela m'avait plu aussi.

Cela n'a pas été du tout une lecture facile - or il commence à faire froid dehors, il fait trop souvent nuit et c'est une période de partiels, je suis un peu fatiguée, je n'ai pas vraiment l'énergie et la concentration suffisantes pour me plonger avec succès dans des lectures ardues. Si cela n'avait pas été toi j'aurais peut-être même renoncé. Cela ne veut pas du tout dire que ton livre est nul. Je crois même que tu as plutôt réussi ton coup en fait. Parfois c'était pénible et ennuyeux, ennuyeux dans le sens "je suis bien embêtée, j'ai oublié qui est ce personnage alors je ne comprends pas très bien de quoi il parle... je lis dans le vide je suis perdue, au secours !". Heureusement, à chaque fois j'ai fini par raccrocher les wagons. De temps en temps je me suis arrêtée avec délices sur certains passages vraiment beaux et étonnants que j'ai relus et notés, cf l'extrait en début d'article.

Je m'attendais à un style plus obscur
que ça en fait... mais ce qui m'a gênée, plus que l'absence de e, c'est la profusion des personnages, le fait que ça parte un peu dans tous les sens : ils racontent des trucs qui leurs sont arrivés, en lien avec d'autres personnages qui viennent s'ajouter, dans des lieux et époques différentes, et puis c'est une sorte d'enquête policière, autour de la disparition d'un personnage puis plusieurs, liée à quelque chose mais on-ne-sait-pas-quoi, enfin tout cela fait évidemment référence à la forme même du livre et à l'absence du e mais les personnages ne le savent pas et on finit par se prendre au jeu en les accompagnant tant bien que mal dans leurs recherches pleins de trous, et qui est finalement peut-être plus profonde qu'on ne le croit au départ... mais il y a beaucoup de non-dits, de trucs qui restent en suspens et qui font que le fil directeur de l'intrigue m'a paru souvent fragile et emmêlé !

Je reproche aussi à l'auteur un certain manque de concision. Bien sûr, pour dire des choses sans utiliser les très nombreux mots sans e, Perec doit avoir recours à des périphrases et ça donne des tournures parfois emberlificotées et biscornues... mais ça c'est plutôt un bon point, d'avoir réussi à écrire un texte lisible malgré cette horrible contrainte. Mais Georges est tellement virtuose qu'il a parfois fait du zèle, de temps en temps j'ai vraiment eu le sentiment qu'il s'est compliqué la tâche encore plus : ses énumérations par exemple auraient souvent pu être plus courtes. On a une phrase pas compliquée, qui se tient, sans e, bravo, mais hop Georges l'enrichit en rajoutant encore deux-trois synonymes ! Générosité stylistique qui rend son exploit encore plus éclatant, mais qui alourdit le texte hélas... (aaah et puis j'ai du mal à supporter la tournure "l'on" mais ça c'est un avis strictement personnel et j'ai fini par m'y habituer)

Mais raaah je dis des bêtises, comment lui reprocher ses formulations sinueuses et qui tournent autour du pot, je pense que ça aussi c'est fait exprès, et ça colle avec le thème, oui... si on se met deux minutes au niveau des personnages : des gens ont disparu on ne sait pas où ni pourquoi, on cherche à comprendre, on sent confusément que c'est lié à un secret, quelque chose qui tue quand on le découvre, quelque chose qui nous manque, on ne sait pas quoi, on veut trouver, mais en même temps on sait que cette quête est très dangereuse, alors que faire ? On cherche, on cherche, ça prend du temps, c'est énervant, on a l'impression de tourner en rond, ou bien au contraire de s'éloigner de la piste de départ au fur et à mesure qu'on avance, rien n'est simple.

Nous, lecteurs, face aux questions des personnages on a d'abord à moitié envie de leur dire "mais enfin voyons vous vivez dans un monde sans e !" mais en s'habituant progressivement à leur monde, on finit par être aussi perdus qu'eux... quand j'ai réussi à lire assez longtemps, à me sentir un peu plus proche de l'univers du livre, lire ce roman est devenu une expérience plus "facile" (dans le sens où lire se faisait enfin tout seul, sans efforts) et prenante, mais en même temps rageante, frustrante, voire assez déprimante. En tout cas, très inconfortable et déstabilisante, le style est vraiment particulier, on comprend certes mais quelque chose cloche, lire n'est plus une activité familière, on ne se sent pas en terrain connu, mais plutôt étranger, limite indésirable dans cette histoire à laquelle on finit pourtant par s'attacher parce que ça a aussi un côté très poétique, le rythme est fascinant, impression de tangage...

Alors je suis loin d'être indifférente, et à mes yeux un bon livre (définition non exhaustive !) est un livre riche, auquel je puisse croire, qui me fasse de l'effet, et c'est bien le cas avec la Disparition ; mais cette atmosphère lourde n'est pas évidente à supporter, même si elle est souvent allégée par le plaisir du jeu avec les mots, la destruction et modification d'expressions "cliché" par exemple est savoureuse ; mais j'admets que cet aspect n'est pas celui qui a le plus compté dans mon ressenti, comme vous avez pu le comprendre !

(enfin on peut bien sûr rapprocher le e manquant et "eux", càd les parents de l'auteur disparus pendant la Seconde Guerre Mondiale... mais je ne suis pas là pour vous faire un cours et on n'a pas besoin de savoir ça pour apprécier le texte !)


Quatrième de couverture :

« Trahir qui disparut, dans La disparition, ravirait au lisant subtil tout plaisir. Motus donc, sur l'inconnu noyau manquant - "un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal" - , blanc sillon damnatif où s'abîma un Anton Voyl, mais d'où surgit aussi la fiction. Disons, sans plus, qu'il a rapport à la vocalisation. L'aiguillon paraîtra à d'aucuns trop grammatical. Vain soupçon : contraint par son savant pari à moult combinaisons, allusions, substitutions ou circonclusions, jamais G.P. n'arracha au banal discours joyaux plus brillants ni si purs. Jamais plus fol alibi n'accoucha d'avatars si mirobolants. Oui, il fallait un grand art, un art hors du commun, pour fourbir tout un roman sans ça ! »
Bernard Pingaud.



Autres extraits :
- Début du roman.

- [autres extraits à venir...]


Remarque personnelle hors-sujet :
Peut-être que ce blog va "encore" changer. La forme de ses articles je veux dire. Je lis moins qu'avant, et de manière différente : plus lentement, j'entretiens depuis quelques mois un rapport plus fort avec les livres que je lis, enfin non, peut-être pas plus "fort", mais j'ai plus de difficultés qu'avant à passer d'un livre à un autre : même des lectures courtes, j'ai tendance à les faire traîner, je me sens moins avide de finir un livre rapidement, quand la fin est imminente j'angoisse presque (mais d'un autre côté je regrette de lire si peu, contradiction quand tu nous tiens !), quand j'ai terminé un livre je veux écrire au moins quelques mots ici à son sujet mais ce n'est plus pressé et il se passe plusieurs jours avant que je parvienne à commencer une nouvelle lecture. Alors peut-être que les articles seront encore plus personnels et blablateux (et donc potentiellement moins intéressants pour vous mais là n'est pas la question), ou au contraire plus courts, je sais pas... mais j'aimerais si je le peux me détacher de cette manière trop "scolaire" à mes yeux que j'ai de parler de mes lectures, manière un peu rigide et qui ne correspond plus forcément à mon rapport aux livres ces derniers temps.

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"Un bon livre est celui qu'on retrouve toujours plein après l'avoir vidé.", Jacques Deval

Un livre au hasard

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