Résumé (trouvé ici) : Le narrateur veut confesser son mal au lecteur : il est un bavard. Il évoque donc les circonstances de sa première "crise" violente de bavardage. Un soir dans un bar, il est fasciné par une femme belle et impassible. Il danse avec elle, et, après une altercation avec l'amant de cette femme, un rouquin agressif, il réussi à offrir à celle-ci un verre.
Quatrième de couverture : (que je trouve très compliquée et qui ne donne pas forcément envie de lire le livre !)
Publié en 1946, remanié lors d'une nouvelle édition en 1963,
Le Bavard, pure contamination des mots les uns avec les autres, étend cette contagion avec une rage qui offre peu d'exemples à l'ensemble des protagonistes du drame, gagne à sa cause délétère les figures mêmes de l'auteur et du lecteur, provoquant de la sorte un rare et extraordinaire malaise. Il ramasse de la façon la plus éprouvante et la plus sarcastique la destruction, le saccage, le désir de silence autant que l'envie de perdre et de mourir. Il rappelle à la mémoire les interminables et prodigieux jeux vains, obligatoirement perdants, du désaveu, auxquels la langue dans laquelle il s'enferme oblige parfois, en le terrorisant, un enfant qui fait vœu de se taire. Enfin il révèle un désir plus général et plus obscur : désir d'une médiation pour elle-même, dénuée de toute fin.
Véhicule qui ne véhicule plus rien, que rien ne subordonne que lui-même, qui se consomme totalement en soi autant qu'il consume avec intensité les forces qui le sous-tendent. Telle une offrande. Le caractère exemplaire, presque " catégorique ", qu'un tel écrit présente est renforcé par la violence, qu'on peut dire désastreuse, qui le porte. Au sein de ce récit qui reproduit et détruit en effet intensément des textes célèbres de H. von Kleist et de F. Dostoïevski, c'est la langue même qui se résout en retournant ses armes contre elle-même, qui se porte en avant et s'expose dans le dessein insensé de perdre définitivement la bataille. Qui s'escrime à défaire, à détruire les fonctions dont les sociétés et les cultures la prétendent porteuses. Défi et carnage.
Mon avis : un livre à lire pour la fac, dans le cadre d'un cours sur le roman réflexif de la seconde moitié du XXème siècle. Dans ce livre le narrateur dit vouloir nous expliquer "sa crise de bavardage" et nous raconte tout cela de façon... très bavarde. Il se passe en vérité assez peu de choses, et par divers moyens le narrateur retarde toujours son récit, et surtout à l'aide de ce qu'il appelle lui-même des "digressions oiseuses" ; la brièveté de ce livre (155 pages) m'a permis de le lire d'une traite, et je me suis retrouvée prise dans ce flot de paroles ; le narrateur ne cesse de préciser à l'infini les circonstances de ce dont il parle, revient sans arrêt sur la situation d'énonciation, s'adresse beaucoup au lecteur (surtout dans la dernière partie), réfutant les remarques qu'il pourrait faire, faisant à la fois les questions et les réponses. Comme il ne cesse des rajouter des éléments, les phrases ont tendance à être longues et emberlificotées, la syntaxe n'est pas des plus simples, c'est donc une lecture qui demande une certaine concentration afin de ne pas perdre le fil...
A cause de la complexité du style, je pense que certaines personnes pourront trouver cette lecture pénible voire même carrément indigeste, mais à partir du moment où on est averti du ton du narrateur (et je l'étais puisque j'ai préalablement assisté à un exposé sur ce livre), si on se sent prêt à user de patience et de bienveillance envers ce narrateur étonnant, alors on a une chance d'être emportée et amusée par tout cela comme je l'ai été. J'ai trouvé sympathique ce narrateur pas toujours tendre envers son lecteur, mais qui surtout joue avec lui avec humour ; le voir déchiré entre son désir de parler et son désir de se taire, et finalement souffrir d'une profonde solitude qu'il essaie de vaincre comme il peut, m'a touchée. Je suis sortie de cette lecture un peu étourdie, en pensant en souriant qu'il y a donc "pire que ma mère" (je m'amuse souvent à lui reprocher de nous saouler de paroles).
Je dirais donc que pour bien apprécier cette lecture (qui reste tout de même rapide), il faut avoir du temps, être de bonne volonté, et dès lors qu'on se place dans ces conditions de lectures favorables, on peut vivre une expérience de lecture assez intense et intéressante ! =)
Quelques extraits qui m'ont plu et qui vous donneront une idée du style dense de ce récit :
"C'est dans le sentiment de ma différence que j'ai trouvé mes principaux sujets d'exaltation."
"Je resterais à l'écart, insoucieux des plaisanteries qu'on ferait sur le fait que je n'ouvrais jamais la bouche ; c'était agréable de penser que je pourrais me livrer en toute quiétude au plaisir de contempler quelque chose de vivant sans être sollicité à y prendre part ; tout ce que je désirais maintenant, c'était rester dans un coin, environné de fumée, de musique et de rires et cependant solitaire, à observer avidement et lucidement un spectacle plein de vie auquel il me plaisait d'être le seul à ne pas participer d'une manière active."
"Et un lecteur, j'insiste, ça veut dire quelqu'un qui lit, non pas nécessairement quelqu'un qui juge. Au reste, je n'interdis pas qu'on me juge, mais si le lecteur brûle d'impatience, s'il se dessèche d'ennui, je le prie de n'en rien laisser paraître, je tiens à lui signifier une bonne fois pour toutes que je n'ai que faire de ses bâillements, de ses soupirs, de ses vociférations à voix basse, des ses coups de talon sur le parquet, est-ce ma faute si j'ai un faible pour les gens polis ? Et notez que je ne vous demande pas de me lire
vraiment, mais de m'entretenir dans cette illusion que je suis lu : vous saisissez la nuance ?"
"(...) éprouvant subitement une répugnance insurmontable pour la vie en société avec son cortège d'intrigues, de méprisables agitations et de paroles creuses, toute cette chaleur d'étuve qui émanait d'une promiscuité que les sinistres obligations de la vie m'imposaient, je n'aspirais qu'à m'en dégager pour goûter aux bienfaits de l'air pur et du silence, mais je n'avais pas plutôt obéi à ce désir qu'effrayé à la perspective de me trouver désormais privé de tout contact humain et cette peur suffisant à justifier à mes yeux l'abandon d'une position que je persiste pourtant à tenir pour la meilleure, je courais me souiller avec délice au contact du monde, véritable cloaque d'où bientôt, faute de ne pouvoir raisonnablement me fixer et sûr une fois de plus que ma vie était inassociable à celle des autres, je sortais précipitamment en m'ébrouant pour me réfugier de nouveau dans le lieu inviolable auquel j'avais rêvé, et ainsi de suite."
"A mesure que j'avançais dans la vie, mon indifférence allait s'accroissant, rien ne me semblait valoir la peine d'aucun effort, et il en résultait que mon avidité n'était plus dirigée comme autrefois vers des idées de revanche ou de conquête : elle aspirait au contraire à ce qui saurait m'en délivrer. C'est qu'aujourd'hui le fracas des combats me répugne et me lasse, et j'en veux à mort à qui m'arrache de force à mon indifférence. Ne rien entreprendre, veiller, attendre, veiller..."