Résumé / extrait :
- Naturellement, vous savez ce que c'est, Rieux ?
- J'attends le résultat des analyses.
- Moi, je le sais. Et je n'ai pas besoin d'analyses. J'ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j'ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d'années. Seulement, on n'a pas osé leur donner un nom, sur le moment... Et puis, comme disait un confrère : " C'est impossible, tout le monde sait qu'elle a disparu de l'Occident. " Oui, tout le monde le savait, sauf les morts. Allons, Rieux, vous savez aussi bien que moi ce que c'est...
- Oui, Castel, dit-il, c'est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste.
Mon avis : un livre que j'avais prévu de lire depuis longtemps et dont j'avais entendu pas mal de bien, je pensais vraiment l'adorer sachant que j'ai beaucoup aimé presque tous les autres livres de Camus que j'ai déjà eu l'occasion de lire (La Chute, Les Justes, L'Etranger...). Les extraits qu'on entend dans le film La Tête en Friche m'avait plu et m'ont donné encore plus envie de le lire... et je suis en effet toujours charmée par le style de Camus, le lire me fait souvenir pleinement pourquoi j'aime ma langue, et pourquoi j'aime lire de manière générale, je trouve que son style est à la fois prenant et reposant, clair sans être trop simple... je pourrais m'étendre encore sur plusieurs lignes en impressions positiives au sujet de l'écriture de Camus, impressions tout à fait subjectives et donc pas forcément parlantes pour ceux qui n'ont encore jamais lu de Camus ou n'ont pas simplement pas la même réaction que moi face à son écriture !
Je n'ai pas été déçue, mais je n'ai pas adoré non plus, parce qu'il me semble impossible de dire "whaouh j'ai passé un trop bon moment à lire ce bouquin c'était trop fun". Je ne sais pas bien comment exprimer ce que j'ai ressenti, j'ai peur que cela soit mal interprété.... disons que c'est un roman que je vous conseille, mais qu'à plusieurs reprises j'ai trouvé cette lecture pénible, et c'est pourquoi j'ai étalé cette lecture sur une semaine, je n'aurais pas pu en lire 4 heures d'affilée, j'ai eu besoin de "pauses" conséquentes. Cela n'a pas été une lecture dans le sens "chiante", pas du tout, mais dans le sens "éprouvante", inconfortable. J'ai connu à travers ces pages diverses émotions négatives : peur, dégoût, malaise... j'ai vraiment eu le sentiment d'être "dans" la peste, d'étouffer, d'être prisonnière avec eux dans cette ville close.
J'avais lu, il y a des mois voire des années, que cette peste était le symbole du nazisme. Mais je suis tout à fait d'accord avec Matilda, et je comprends bien ce qu'elle a voulu dire, quand elle a écrit dans son article qu'on ne peut pas seulement réduire La Peste à cela. On a en effet beaucoup de descriptions concrètes des symptômes de la maladie, de la douleur physique qu'elle entraîne.... tous ces passages m'ont fait froid dans le dos, je ne m'attendais peut-être pas à de tels détails (n'oubliez pas que je suis une petite chose impressionnable ; cela n'a pas franchement de rapport avec Camus mais je doute d'avoir un jour le courage de lire American Psycho - qui est pourtant dans ma PAL).
Les passages où on nous raconte (le narrateur semble extérieur, objectif, il ne s'appesantit pas en commentaires personnels mais il s'inclut pourtant dans la population, et utilise toujours l'expression "nos concitoyens", on ne saura qu'à la fin de qui il s'agit) les comportements des gens, ce que l'épidemie va changer dans leur mode de vie, m'ont vivement intéressée et je pense que c'est plutôt ça qu'on peut assimiler à la vie, à l'état d'esprit d'un peuple en temps de guerre / face à un fléau. Mais ces passages ne m'ont pas non plus permis de "souffler" car je les ai trouvés plutôt désespérants, la description de la douleur des personnes séparées par la fermeture de la ville notamment m'a touchée. J'ai apprécié l'humanisme qu'on sent à travers la plume de Camus, le courage qu'il prône, courage qui n'est pas non plus magnifié mais qui est nécessaire pour tenir dans une telle situation. J'ai cependant trouvé certains passages un peu longs ou répétitifs, mais en même temps cette lenteur, cette relative monotonie nous fait pleinement comprendre ce qu'ont dû supporter les personnages, isolés, piégés dans une situation infernale et qui ne fait qu'empirer, forcés de tenter de combattre malgré leurs faibles moyens, obligés de survivre malgré tout...
J'ai trouvé que Rieux (médecin, et le personnage auquel je me suis le plus attachée), qui est un peu le "sage" du livre, celui qui se conduit de la façon la plus raisonnable, cherchait une sorte d'équilibre salutaire mais difficile à trouver : il savait qu'il était inutile et dangereux de chercher à se révolter, à s'évader... il fallait donc se résigner suffisamment pour rester calme, sans non plus renoncer à combattre l'horreur.
Comme j'ai souvent interrompu ma lecture, il m'est arrivé de perdre de vue un ou deux personnages, d'oublier subitement à quel personnage exactement correspondait ce nom, seul Rieux finalement a retenu toute mon attention. C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire que je relise plus tard ce livre, je suis loin de l'avoir épuisé.
Extraits : (nombreux, mais le livre n'est pas à moi, je ne veux pas perdre ces passages et je veux les garder sous le coude parce que j'adore ! - et encore je n'ai pas tout noté ici)
"Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. (...) Quand une guerre éclate, les gens disent : "Ça ne durera pas, c'est trop bête." Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l'empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s'en apercevrait si l'on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est iréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils n'ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n'étaient pas plus coupables que d'autres, ils oubliaient d'être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l'avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux."
" - (...) Maintenant je sais que l'homme est capable de grandes actions. Mais s'il n'est pas capable d'un grand sentiment, il ne m'intéresse pas.
- On a l'impression qu'il est capable de tout, dit Tarrou.
- Mais non, il est incapable de souffrir ou d'être heureux longtemps. Il n'est donc capable de rien qui vaille.
Il les regardait, et puis :
- Voyons, Tarrou, êtes-vous capable de mourir pour un amour ?
- Je ne sais pas, mais il me semble que non, maintenant.
- Voilà. Et vous êtes capable de mourir pour une idée, c'est visible à l'œil nu. Eh bien, moi, j'en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l'héroïsme, je sais que c'est facile et j'ai appris que c'était meurtrier. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime."
"Rien n'est moins spectaculaire qu'un fléau et, par leur durée même, les grands malheurs sont monotones. Dans le souvenir de ceux qui les ont vécues, les journées terribles de la peste n'apparaissaient pas comme de grandes flammes somptueuses et cruelles, mais plutôt comme un interminable piétinement qui écrasait tout sur son passage."
"Des épouses lui prenaient le poignet et hurlaient : "Docteur, donnez-lui la vie !" Mais il n'était pas là pour donner la vie, il était là pour ordonner l'isolement. A quoi servait la haine qu'il lisait alors sur les visages ? "Vous n'avez pas de cœur", lui avait-on dit un jour. Mais si, il en avait un. Il lui servait à supporter les vingt heures par jour où il voyait mourir des hommes qui étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous les jours. Désormais, il avait juste assez de cœur pour ça. Comment ce cœur aurait-il suffi à donner la vie ?"
"Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu'il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d'un être et le cœur émerveillé de la tendresse."
Bonus : (pour le challenge Tête en Friche), un mot que ce livre m'a appris :
fuligineux, adj. 1) qui rappelle la suie, qui donne de la suie, qui en a la couleur. 2) d'une obscurité épaisse.
- Naturellement, vous savez ce que c'est, Rieux ?
- J'attends le résultat des analyses.
- Moi, je le sais. Et je n'ai pas besoin d'analyses. J'ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j'ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d'années. Seulement, on n'a pas osé leur donner un nom, sur le moment... Et puis, comme disait un confrère : " C'est impossible, tout le monde sait qu'elle a disparu de l'Occident. " Oui, tout le monde le savait, sauf les morts. Allons, Rieux, vous savez aussi bien que moi ce que c'est...
- Oui, Castel, dit-il, c'est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste.
Mon avis : un livre que j'avais prévu de lire depuis longtemps et dont j'avais entendu pas mal de bien, je pensais vraiment l'adorer sachant que j'ai beaucoup aimé presque tous les autres livres de Camus que j'ai déjà eu l'occasion de lire (La Chute, Les Justes, L'Etranger...). Les extraits qu'on entend dans le film La Tête en Friche m'avait plu et m'ont donné encore plus envie de le lire... et je suis en effet toujours charmée par le style de Camus, le lire me fait souvenir pleinement pourquoi j'aime ma langue, et pourquoi j'aime lire de manière générale, je trouve que son style est à la fois prenant et reposant, clair sans être trop simple... je pourrais m'étendre encore sur plusieurs lignes en impressions positiives au sujet de l'écriture de Camus, impressions tout à fait subjectives et donc pas forcément parlantes pour ceux qui n'ont encore jamais lu de Camus ou n'ont pas simplement pas la même réaction que moi face à son écriture !
Je n'ai pas été déçue, mais je n'ai pas adoré non plus, parce qu'il me semble impossible de dire "whaouh j'ai passé un trop bon moment à lire ce bouquin c'était trop fun". Je ne sais pas bien comment exprimer ce que j'ai ressenti, j'ai peur que cela soit mal interprété.... disons que c'est un roman que je vous conseille, mais qu'à plusieurs reprises j'ai trouvé cette lecture pénible, et c'est pourquoi j'ai étalé cette lecture sur une semaine, je n'aurais pas pu en lire 4 heures d'affilée, j'ai eu besoin de "pauses" conséquentes. Cela n'a pas été une lecture dans le sens "chiante", pas du tout, mais dans le sens "éprouvante", inconfortable. J'ai connu à travers ces pages diverses émotions négatives : peur, dégoût, malaise... j'ai vraiment eu le sentiment d'être "dans" la peste, d'étouffer, d'être prisonnière avec eux dans cette ville close.
J'avais lu, il y a des mois voire des années, que cette peste était le symbole du nazisme. Mais je suis tout à fait d'accord avec Matilda, et je comprends bien ce qu'elle a voulu dire, quand elle a écrit dans son article qu'on ne peut pas seulement réduire La Peste à cela. On a en effet beaucoup de descriptions concrètes des symptômes de la maladie, de la douleur physique qu'elle entraîne.... tous ces passages m'ont fait froid dans le dos, je ne m'attendais peut-être pas à de tels détails (n'oubliez pas que je suis une petite chose impressionnable ; cela n'a pas franchement de rapport avec Camus mais je doute d'avoir un jour le courage de lire American Psycho - qui est pourtant dans ma PAL).
Les passages où on nous raconte (le narrateur semble extérieur, objectif, il ne s'appesantit pas en commentaires personnels mais il s'inclut pourtant dans la population, et utilise toujours l'expression "nos concitoyens", on ne saura qu'à la fin de qui il s'agit) les comportements des gens, ce que l'épidemie va changer dans leur mode de vie, m'ont vivement intéressée et je pense que c'est plutôt ça qu'on peut assimiler à la vie, à l'état d'esprit d'un peuple en temps de guerre / face à un fléau. Mais ces passages ne m'ont pas non plus permis de "souffler" car je les ai trouvés plutôt désespérants, la description de la douleur des personnes séparées par la fermeture de la ville notamment m'a touchée. J'ai apprécié l'humanisme qu'on sent à travers la plume de Camus, le courage qu'il prône, courage qui n'est pas non plus magnifié mais qui est nécessaire pour tenir dans une telle situation. J'ai cependant trouvé certains passages un peu longs ou répétitifs, mais en même temps cette lenteur, cette relative monotonie nous fait pleinement comprendre ce qu'ont dû supporter les personnages, isolés, piégés dans une situation infernale et qui ne fait qu'empirer, forcés de tenter de combattre malgré leurs faibles moyens, obligés de survivre malgré tout...
J'ai trouvé que Rieux (médecin, et le personnage auquel je me suis le plus attachée), qui est un peu le "sage" du livre, celui qui se conduit de la façon la plus raisonnable, cherchait une sorte d'équilibre salutaire mais difficile à trouver : il savait qu'il était inutile et dangereux de chercher à se révolter, à s'évader... il fallait donc se résigner suffisamment pour rester calme, sans non plus renoncer à combattre l'horreur.
Comme j'ai souvent interrompu ma lecture, il m'est arrivé de perdre de vue un ou deux personnages, d'oublier subitement à quel personnage exactement correspondait ce nom, seul Rieux finalement a retenu toute mon attention. C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire que je relise plus tard ce livre, je suis loin de l'avoir épuisé.
Extraits : (nombreux, mais le livre n'est pas à moi, je ne veux pas perdre ces passages et je veux les garder sous le coude parce que j'adore ! - et encore je n'ai pas tout noté ici)
"Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. (...) Quand une guerre éclate, les gens disent : "Ça ne durera pas, c'est trop bête." Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l'empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s'en apercevrait si l'on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est iréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu'ils n'ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n'étaient pas plus coupables que d'autres, ils oubliaient d'être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l'avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux."
" - (...) Maintenant je sais que l'homme est capable de grandes actions. Mais s'il n'est pas capable d'un grand sentiment, il ne m'intéresse pas.
- On a l'impression qu'il est capable de tout, dit Tarrou.
- Mais non, il est incapable de souffrir ou d'être heureux longtemps. Il n'est donc capable de rien qui vaille.
Il les regardait, et puis :
- Voyons, Tarrou, êtes-vous capable de mourir pour un amour ?
- Je ne sais pas, mais il me semble que non, maintenant.
- Voilà. Et vous êtes capable de mourir pour une idée, c'est visible à l'œil nu. Eh bien, moi, j'en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l'héroïsme, je sais que c'est facile et j'ai appris que c'était meurtrier. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime."
"Rien n'est moins spectaculaire qu'un fléau et, par leur durée même, les grands malheurs sont monotones. Dans le souvenir de ceux qui les ont vécues, les journées terribles de la peste n'apparaissaient pas comme de grandes flammes somptueuses et cruelles, mais plutôt comme un interminable piétinement qui écrasait tout sur son passage."
"Des épouses lui prenaient le poignet et hurlaient : "Docteur, donnez-lui la vie !" Mais il n'était pas là pour donner la vie, il était là pour ordonner l'isolement. A quoi servait la haine qu'il lisait alors sur les visages ? "Vous n'avez pas de cœur", lui avait-on dit un jour. Mais si, il en avait un. Il lui servait à supporter les vingt heures par jour où il voyait mourir des hommes qui étaient faits pour vivre. Il lui servait à recommencer tous les jours. Désormais, il avait juste assez de cœur pour ça. Comment ce cœur aurait-il suffi à donner la vie ?"
"Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu'il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d'un être et le cœur émerveillé de la tendresse."
Bonus : (pour le challenge Tête en Friche), un mot que ce livre m'a appris :
fuligineux, adj. 1) qui rappelle la suie, qui donne de la suie, qui en a la couleur. 2) d'une obscurité épaisse.